C’est un secret de polichinelle, une très grande lueur d’espoir pointe à l’horizon quant à l’enrôlement effectif des enseignants contractuels dans la fonction publique guinéenne. C’est dans cette optique, qu’une liste dite « définitive » des concernés aurait été déposée par la coordination des enseignants contractuels. Une liste dans laquelle plusieurs enseignants en situation de classe depuis plus d’une décennie comme Oury Baillo Diallo sont omis pour des raisons qu’ils ne comprennent pas. Depuis, il a abandonné les cours et la direction de l’école primaire de Tanleinma (Kouramangui) où il préparait l’évaluation finale des enfants du CP1, CP2 et le CE1. C’est dans une déception doublée d’une désolation totale qu’il nous a accordé cette interview dans laquelle il explique les multiples sacrifices qu’il a consentis pour le bien de l’école Guinéenne. Lisez !
Guinéenews : en tant que contractuel, comment avez-vous été omis de la liste officielle ?
Oury Baillo : je suis contractuel depuis 2012, j’ai servi dans plusieurs localités du Foutah. J’ai commencé d’abord par Horé Misside (Balaya/ Lélouma) j’ai fait là-bas 9 mois. C’est un village où vous pouvez trouver sur le mur pas moins de 30 scorpions. J’ai vécu là-bas, Dieu m’a sauvé, j’ai fait tout mon temps là-bas, je n’ai pas été piqué par les scorpions. J’ai passé 9 mois dans cette localité. Après les 9 mois, je suis revenu à Labé grâce aux négociations de mon papa et de l’ex DSEE (directeur sous-préfectoral de l’enseignement élémentaire). Ils m’ont envoyé à Kouramangui précisément à Lafou Yalagué ; un coin reculé encore.
Guinéenews : vous avez passé combien de temps à Lafou Yalagué ?
Oury Baillo : en partant dans ce coin, je ne comptais pas passer la nuit ; mais Dieu m’a maintenu là-bas pendant 5 ans. Finalement je me suis habitué. C’était une école complètement abandonnée que j’ai réussi à relever, j’ai même présenté des candidats à l’examen d’entrée en 7eme année et j’ai eu des admis qui sont pratiquement tous au lycée. De là-bas on m’a envoyé à Teguégnin où une école franco-arabe venait d’être créée. J’ai inauguré cette école. Je suis resté là-bas encore 3 ans ; j’ai même passé la nuit au Bowal mais je me suis vite intégré dans la communauté. Après trois ans, ils ont créé une autre école à Tanleinma, toujours dans Teguégnin. Donc, je suis revenu inaugurer cette autre école avec l’ex DPE de Labé Hadja Mariama école. J’ai servi à ce niveau et on m’a même envoyé un adjoint venant de Boké du nom de Moussa Camara. On a travaillé ensemble pendant un an et après il est parti et on m’a envoyé une dame du nom de madame Oumou avec qui j’ai aussi travaillé deux ans. Maintenant nous avons trois niveaux dans cette école. Nous avons le CP1, le CP2 et le CE1. Je suis en même temps le directeur de l’école car je tiens la direction, j’étais le CE1 et le CP1. Madame Oumou tient le CP2.
Guineenews : alors, comment se fait-il que vous avez été omis avec tous ces efforts ?
Oury Baillo : c’est à mon fort étonnement que je l’ai aussi appris; que nous sommes frappés par l’âge et pourtant parmi les admis, il y en a d’autres qui sont plus âgés que nous. Il y a aussi des gens qui sont rentrés cette année qui ont néanmoins reçu leur code. Il y a d’autres qui n’ont pas leur diplôme qui ont reçu leur code. Vraiment moi je suis inquiet et je suis déçu.
Guinéenews : avez-vous échangé avec les responsables de la coordination des enseignants contractuels ?
Oury Baillo : oui, j’ai appelé monsieur Cellou (le coordinateur régional), j’ai appelé son adjoint monsieur Keita. Pourtant, bien avant ça j’ai pris part à toutes les rencontres. Mais là ils se sont juste contentés de me dire qu’il est fort probable que vous soyez frappé par l’âge. Et parmi ceux qui n’ont pas reçu les codes il y a d’autres qui n’ont pas l’âge demandé encore. Moi, là où je suis, j’ai mes 45 ans parce que je suis de janvier 1977. Ils nous disent que l’âge c’est de 18 à 40 ans mais il y en a d’autres qui sont plus âgés que nous qui ont reçu leur code. Seulement nous comme nous ne sommes pas éduqués dans la malhonnêteté ; lors de la formation nous n’avons pas voulu diminuer l’âge au niveau du diplôme. Donc l’âge que nous avons sur notre extrait de naissance, c’est l’âge-là que nous avons donné là-bas.
Guineenews : Mais ça peut ne pas être la coordination des contractuels ; il se peut que le problème vienne de l’Etat ?
Oury Baillo : c’est possible, voilà pourquoi je suis inquiet. Si nous, qui nous sommes battus pendant 12 ans pour la nation guinéenne, on nous rejette comme des patates chaudes et d’autres qui sont rentrés cette année on les accueille à bras ouvert, c’est ça mon étonnement.
Guineenews : actuellement vous servez où ?
Oury Baillo : Je suis toujours à Kouramangui précisément à Tanleinma. Je suis le directeur de l’école, j’ai une adjointe, j‘ai trois niveaux. A l’heure où je te parle, depuis l’ouverture des classes (après les congés) mes élèves chôment.
Guineenews : ils chôment parce que vous n’êtes pas en service ?
Oury Baillo : oui parce que je ne suis pas en service, je suis déçu.
Guineenews : il y a une direction préfectorale de l’éducation (DPE) et il y a aussi une inspection régionale de l’éducation (IRE) ; est-ce que vous les avez interpellés ?
Oury Baillo : si, je pense que si mon DSEE est informé, la DPE doit être informée, l’IRE doit être informée. Ils ont demandé parce que, lorsque l’enrôlement se faisait, ils n’ont pas associé les DSEE. C’est après constat des erreurs au niveau du département, qu’ils ont associé les DSEE. Maintenant, les DSEE sont associés mais il n’y a toujours pas de suite favorable.
Guinéenews : vous dites que vous êtes déçu, ça veut dire que si rien n’est fait vous abandonnez l’école ?
Oury Baillo : franchement ! Franchement ; après 12 ans d’effort, si on me rembourse comme ça, pourquoi je vais retourner à l’école ? Pourquoi ?
Guinéenews : quelle solution préconisez-vous alors pour éviter l’abandon des élèves de cette école ?
Oury Baillo : j’aimerais que l’Etat revoit cette situation ; voir ceux qui sont réellement sur le terrain pour les prendre en lieu et place de ceux qui ne sont pas sur le terrain. C’est mon souhait. J’aime l’éducation, j’aime les enfants. J’aime les enfants comme mes propres enfants. Mais si ça continue comme ça, je ne pourrais plus me rendre en classe. C’est décevant quand même. Si toutefois, ce n’est pas une évaluation qui est faite ; et si les villageois entendent que tu n’es pas admis, ils vont te minimiser. Donc, tu ne seras plus considéré. Qu’est-ce que tu vas foutre là-bas en ce moment ?
Guineenews : c’est quoi maintenant la réaction des autorités de Kouramangui où il y a un maire et un sous-préfet ?
Oury Baillo : comme on a destitué les maires et c’est une nouvelle équipe qui vient d’être installée. Sinon toutes les autorités de Kouramangui savent que nous sommes là-bas couramment. Et là où je suis, je ne pourrais pas te donner les détails des efforts que je fournis sur cette route. Tout récemment, mon dernier voyage j’ai fait une dépense de 400 000 GNF sur mon engin, parce que j’étais tombé en panne. Franchement je suis déçu. Je fournissais ces efforts dans l’espoir d’avoir l’engagement. Mais si toute fois c’est l’échec, pourquoi je vais retourner là-bas encore ?
Guineenews : ça veut dire que les enfants ne seront pas évalués en cette fin d’année ?
Oury Baillo : moi, je souhaite évaluer les enfants mais ce n’est pas sûr car si je ne reçois pas un résultat clair, ça ne sera pas facile de me rendre sur place. Monsieur j’aime les enfants mais j’aime ma personnalité. Après 12 ans d’efforts et trois ans avec les enfants de ce village. Mais, comment pourrais-je abandonner ma personnalité au profit de ces enfants-là. J’aime les enfants mais j’aime ma personnalité. J’ai mes enfants aussi à l’école. J’abandonne mes propres enfants au profit des autres. Mais si toutefois je vois que ça ne va pas, je préfère rentrer m’occuper de mes propres enfants.
Guinéenews : votre mot de fin!
Oury Baillo : je vais juste vous dire que je ne suis pas seule dans cette situation. Nous sommes nombreux. Ils ont presque laissé la promotion de 2012 et 2013 pour prendre des nouveaux. Et pourtant on s’est vraiment battu pour l’école Guinéenne. Donc je demande aux autorités guinéennes de bien vouloir intervenir dans cette affaire.
Des propos recueillis par Alaidhy Sow, Labé pour Guinéenews.org