Le président Alpha Condé a, à l’occasion de plusieurs sorties, appelé les Guinéens à valoriser les productions locales faites le génie créateur de nos artisans en général et le tissu traditionnel dont entre autres le Léppi, le Kerdeli, la forêt sacrée, etc. L’appel semble être entendu par les Guinéens de l’intérieur et de l’extérieur.
Depuis quelques jours, nombreuses sont les personnes qui emboîtent le pas au président de la République sur les réseaux sociaux en demandant aux Guinéens de privilégier le tissu local à l‘occasion de la prochaine fête de Tabaski prévue dans quelques semaines. L’idée de ces Guinéens, c’est que tout le monde soit habillé en local lors de la fête des moutons. De bouche à oreille, la nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre et comme par magie, tout le monde semble être favorable à la proposition. En tout cas, c’est le constat fait à Labé par la rédaction locale de Guineenews©.
Pour éviter de mauvaises surprises, des citoyens de la commune urbaine de Labé ainsi que des ressortissants de cette partie de la Guinée ont commencé à prendre le devant en se procurant du Léppi le plutôt possible. Ainsi, les marchés de la commune urbaine sont, depuis quelques jours, envahis de clients à la recherche de ce tissu traditionnel, désormais très convoité.
Il n’en fallait pas plus pour voir le prix du complet Léppi qui est stable depuis des années s’envoler. De 120 000 GNF, le Léppi se négocie de nos jours entre 380 et 400 000 GNF au marché central de Labé. Un prix qui ne fait que s’accroître de jour en jour sous l’œil impuissant des citoyens. « Cela prouve que les gens n’ont pas de pitié pour leur prochain dans ce pays. Sinon le complet de Leppi qui se vendait à 120, 140 000 GNF ne peut pas se retrouver en une à deux semaines à 340, 400 000 GNF. C’est incroyable. Il faut que les gens se ressaisissent », estime Habib Barry, citoyen rencontré au grand marché de Labé.
« Aujourd’hui, c’est à 410 000 GNF qu’ils m’ont proposé un complet de Léppi. C’est juste incroyable. Mais, comme ma bourse ne me le permettait pas, j’ai vite fait machine arrière. Je vais attendre de voir peut-être qu’ils vont revoir le prix à la baisse », espère Alpha Amadou Baldé. Ce n’est pas que le Léppi qui a connu une hausse de prix. Le Firsi est vendu ce matin (samedi 22 juin 2019, ndlr) entre 150 et 250 000 gnf le complet. C’est selon la qualité du bazin utilisé pour la coloration.
Mécontent de cette augmentation qu’il juge fantaisiste, Diallo Thierno Moussa ne cache pas sa colère : « s’ils agissent comme ça, on va se passer du Léppi car ce n’est pas obligatoire. Ainsi, on va faire recours à autre chose comme d’habitude. Au moins si c’était une augmentation de 5 000, 10 000, 20 000 GNF, on allait comprendre facilement. Mais tripler le prix en dix jours, je me demande à combien, ils vont nous vendre le Léppi à la veille de la fête », s’interroge-t-il.
La hausse du prix du Léppi ou la loi du marché
Paul Kamano, un économiste de profession aborde le sujet avec mesure : « ainsi évolue le marché. Quand la demande est plus grande que l’offre, on assiste immédiatement à une augmentation du prix et vice-versa. Quand c’est l’offre qui est supérieure à la demande. Je pense que la hausse en soit est normale. Mais à un certain niveau, l’Etat doit s’impliquer pour stabiliser les prix pour ne pas que ça soit fantaisiste comme ce à quoi on assiste aujourd’hui par rapport au Léppi », déclare-t-il.
Pas d’augmentation de prix chez les artisans
Dans le souci d’approfondir ses enquêtes sur cette situation, Guineenews© est allé à la rencontre des artisans qui fabriquent ce tissu traditionnel. A notre grande surprise, ceux-ci nous ont fait comprendre qu’à ce jour, ils n’ont procédé à aucune augmentation sur l’habituel prix d’acquisition qui, depuis des mois, n’a pas connu une hausse de plus de 20 000 GNF par complet. Selon eux, les commerçants sont les seuls responsables de cette flambée du prix du Léppi.
Mamadou Oury Diallo, tisserand trouvé à Popodara (sous-préfecture situé à 18 kilomètres de Labé) parle d’une mauvaise foi des commerçants qui ne font que ternir l’image des artisans : « cette situation nous complique les choses car ça nous donne une mauvaise réputation alors que nous les artisans, nous ne sommes responsables de rien dans cette hausse. C’est vrai que depuis un certain moment, on assiste à une augmentation du prix de la matière première. Mais laissez-moi vous dire dans toute cette hausse, nous artisanats, nous n’avons pas plus de 20 000 comme montant supplémentaire sur notre habituel intérêt. Le reste est organisé et entretenu par les commerçants qui profitent pour s’enrichir sur notre dos », dénonce cet artisan, responsable d’une équipe d’au moins dix tisserands.
Une position partagée par Khalidou Dieng, le président de la fédération préfectorale des artisans de Labé : « je suis parfaitement d’accord avec les artisans car pratiquement, le prix d’achat reste le même à leur niveau. Ce sont des commerçants de mauvaise foi qui sont derrière cette situation de la même façon qu’ils profitent des crises de carburant pour augmenter le prix au marché noir et de la même manière qu’ils augmentent le prix du sucre à l’approche du ramadan. Je pense qu’à ce niveau, l’Etat doit jouer son rôle de régulateur », admet-il.
Joint au téléphone, Idrissa Camara, l’inspecteur régional du commerce qui est en déplacement a déploré la situation avant de promettre une implication de l’Etat pour une éventuelle opération de stabilisation des prix sur le marché. Pour cela, il promet d’abord de faire son propre constat à son retour à Labé avant toute décision.
Pour Amadou Diouldé Diallo, l’abandon de ce métier qui selon lui est reléguer en bas de l’échèle est l’une des causes principales de cette rareté : « à ce jour, il n’y a pas beaucoup de villages dans lesquels on peut trouver un grand groupe de tisserands. En tout cas à ma connaissance, c’est seulement à Popodara et Timbi qu’on trouve de grand groupe de tisserands. Donc, cela démontre qu’on a abandonné la chose. Un métier traditionnel comme le tissage est jeter aux oubliettes au profit des ordinateurs et autre. Donc ne nous étonnons pas qu’il y ait à ce jour manque et hausse du Léppi », déplore-t-il.
De son côté, Bah Ibrahima appelle à une meilleure implication de l’Etat : « l’Etat ne doit pas seulement demander d’utiliser le Léppi mais il doit mettre en place des mesures d’accompagnement afin qu’il y ait d’abord le produit en quantité et en qualité. Ensuite maintenant procéder à la sensibilisation. Sinon, on aura toujours ce genre de problème », estime-t-il.
Coup dur pour le bazin à Labé !
Depuis le déclenchement de cette campagne de valorisation des tissus locaux, le Bazin importé des pays voisins notamment du Mali Bamako qui était très prisé semble être cette fois-ci jeté aux oubliettes à Labé. Un coup dur pour les commerçants de Bazin, qui pour la plupart, ont tendance à s’acclimater aux réalités du temps. « Depuis le début de cette campagne, pratiquement, je l’avoue la vente du Bazin est à l’arrêt. Seuls quelque rares personnes viennent s’intéresser alors qu’on vendait beaucoup. Mais j’avoue que très souvent, on rentre bredouille », reconnait Mariama Dalanda Diallo, commerçante.
« Si ça continue comme ça, je ne pense pas pouvoir importer du bazin cette année car le trafic est au ralenti. Donc, je vais analyser la situation avant de prendre la décision qui s’impose. Mais, on a espoir que ça va vite passer parce que forcément, il y aura certains qui préféreront le Bazin au Léppi », ajoute-t-elle.
Contrairement à cette première, Mamadou Barry lui trouve une solution de rechange en attendant que la tempête passe : « pour ne pas rester comme ça, nous aussi, on a acheté le Léppi qu’on a greffé à la vente du Bazin. Donc, on suit la tendance et on vend les deux produits afin de maintenir notre clientèle. C’est vrai que ce n’est pas facile pour nous vendeurs de Bazin car on ne connaît pas les contours de la vente du Léppi mais on fait avec car c’est ce qui est à la mode », reconnait-il.
Il faut reconnaître que c’est une première que les gens s’intéressent à ce point au Léppi. Si toutefois, on arrive à pérenniser une telle initiative dans notre pays, à l’image du Sénégal avec les boubous communément appelés Macky Sall et le Mali avec le Bamako, notre tissu traditionnel pourrait avoir de la valeur et pourquoi ne pas avoir plus de qualité. Une chose qui pourrait générer plus d’emplois et plus de revenus pour les artisans qui continuent de tirer le diable par la queue.