La violence est à la politique guinéenne, ce que la bauxite est à son économie. Omniprésente, mais ne profitant qu’aux seuls dirigeants et à leurs proches, sans effets bénéfiques pour le reste de la population.
La violence est une donnée constante qui infiltre toutes les dimensions de la politique en Guinée. Le dernier évènement qui justifie ce propos est la violence qui vient de se loger au cœur de la campagne politique en cours à Labé et à Kankan. Avant le 18 octobre, date de tenue de l’élection présidentielle, on se demande quelles autres localités seront encore sur la liste des violences préélectorales et avec quelle intensité ? Et ce n’est pas fini, car nombreux sont ceux qui redoutent déjà en Guinée et à l’étranger, la survenue d’autres violences le jour même de l’élection et les jours qui suivront.
L’inquiétude est d’autant plus grande que ce pays, au tissu social fragilisé par l’instrumentalisation ethnique, risque de sombrer dans une profonde crise politique dont elle aura à se remettre aussitôt, en cas de désaccord persistant entre les parties en compétition après la proclamation définitive des résultats du scrutin présidentiel.
Il en est ainsi en Guinée, politique et violence font bon ménage, car la politique dans ce pays se nourrit constamment de la violence tout comme le cœur se nourrit du sang pour continuer à battre.
De 1958 à nos jours, le pouvoir des présidents qui se sont succédé à tête de l’État, s’est exercé dans la violence. Combien sont morts sous Sékou Touré, sous Lansana Conté, sous Dadis Camara et maintenant sous Alpha Condé ? Pas de chiffres officiels bien sûr, mais les victimes doivent se compter par milliers. Cependant, rien n’a été entrepris et rien n’est encore fait pour mener des enquêtes sérieuses et indépendantes afin d’identifier les auteurs des violences à caractère politique et de les punir en vertu de la loi. L’impunité face aux crimes politiques est donc devenue la règle.
Tout ceci parce qu’en politique guinéenne, la violence est banalisée, légitimée et même considérée comme un procédé normal d’exercice du pouvoir. « On ne peut pas gouverner sans tuer » dit-on souvent en Guinée, ou encore « chaque régime a ses propres victimes ». À force d’être systémique, la violence est finalement devenue l’ADN de la politique guinéenne. D’où vient alors cette accommodation à la violence en politique ?
Déterminants socioéconomiques de la violence politique
Différentes raisons expliquent cette entrée en enfer. Il y a avant tout l’acquisition des privilèges économiques et sociaux. Le pouvoir en Guinée est synonyme d’un accès garanti aux ressources publiques et aux moyens d’État. Son exercice suppose une appropriation privée des richesses publiques par les gouvernants et leurs privilégiés, au détriment du reste de la population. Le pouvoir est également un moyen d’élévation de son rang dans la société avec tous les honneurs et avantages induits par ce positionnement social.
Ainsi, la perception autocratique du pouvoir dans la société est incompatible avec les valeurs de la démocratie. En effet, la démocratie suppose le respect de la loi, une justice équitable, la transparence dans la gestion des ressources publiques, la prise en compte des voix majoritaires, une confrontation d’idées, et la soumission de l’État à la règle de droit. En revanche, le pouvoir autocratique dominant en Guinée d’un régime à un autre, suppose l’anéantissement même physique de son adversaire politique, la main basse d’un groupe restreint sur les ressources publiques et l’utilisation de celles-ci à des fins personnelles, ainsi que la négation de la loi face à la volonté du chef. Les violences en politique trouvent leur siège dans le choc entre le « pouvoir autocratique sacralisé » qui est la perception sociale dominante du pouvoir, et le « pouvoir démocratique » qui est la perception désirée du pouvoir.
Il y a ensuite le facteur ethnique, un déterminant qui vient au secours des déterminants économiques. Les politiques ont systématiquement recours à leur communauté́ d’appartenance pour conquérir le pouvoir et pour le conserver. Il suffit de voir la composition des partis politiques et de suivre les débats politiques dans les médias pour s’en convaincre. L’État étant sélectif et partial dans ses choix et opérations, chaque guinéen compte avoir son « homme » au sein de cette Institution pour se sentir protégé́. Il y a donc une sorte de pacte non écrit entre un leader et sa communauté d’origine au terme duquel celle-ci se voue corps et âme à sa cause en contrepartie de la défense de ses propres intérêts et non de l’intérêt collectif.
Il arrive que ce soutien qui prend différentes formes s’affranchisse des règles d’une cohabitation civilisée avec la communauté́ d’appartenance de l’adversaire politique et tombe dans une relation de violence assumée. Dans cette configuration les membres de la communauté agissent comme s’ils étaient dépossédés du contrôle de leurs propres consciences. Autrement dit leur leader politique, par ce fait même, a réussi à aliéner leurs consciences.
À quand la fin du cycle de la violence politique ?
Cette question face à laquelle la Guinée peine à trouver de réponse est pourtant fondamentale pour l’avènement d’une société politique apaisée, condition d’une vie publique épanouie. La question posée n’a jamais été la préoccupation primordiale des dirigeants de ce pays qui ont leur « petite idée » de la paix sociale. Il s’agit pour eux d’une paix imposée par la force des armes et des représailles de toutes sortes. Cette fausse paix sociale prouve cependant à toutes les occasions sa précarité et son inefficacité.
La véritable paix sociale viendra inévitablement de l’abandon de la perception mercantiliste et socialement égoïste du pouvoir au profit de sa perception démocratique. Mais ceci suppose le changement de culture d’un grand nombre vis-à-vis du pouvoir politique. Cette culture qui existe depuis plus de six décennies doit céder la place à une nouvelle culture démocratique du pouvoir.
Un des grands défis que commande ce changement de paradigme est l’action vigoureuse pour une adéquation entre les valeurs démocratiques inscrites dans les textes fondateurs de la République et les attitudes sociales de la collectivité envers le pouvoir politique. Notamment la désacralisation du chef et de l’exercice du pouvoir.
L’abandon de la perception autocratique du pouvoir et l’adhésion à sa perception démocratique dans une société dominée par la première perception n’est évidemment pas une chose aisée. Cette transition exige beaucoup de pédagogie et d’engagement des acteurs influents de la société, en tout premier lieu des acteurs gouvernementaux. Ce qui est loin d’être encore le cas.