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La crédibilité de la société civile guinéenne en question : entre indépendance et influence politique

Sujet de nombreux débats, l’indépendance de ces ONG vis-à-vis du pouvoir refait surface, dans un contexte où l’on a fort besoin d’elles aux côtés des populations, prises entre plusieurs feux : crise politique, crise économique et la transition.  La place de la société civile n’a jamais été autant revendiquée. Mais sa responsabilité laisse un arrière goût d’inachevé, un vide à combler. Aujourd’hui, plutôt que de les solliciter, les Guinéens s’interrogent. Sont-elles aussi indépendantes qu’elles le prétendent ? Jouent-elles réellement le rôle qui est le leur ? Ce sont là autant de questions qui taraudent l’esprit des citoyens à propos de leur société civile.

Depuis quasiment toujours, les Organisations non gouvernementales (ONG) et associations se battent pour survivre. Dans cette impitoyable arène, l’arme ultime étant la capacité financière. Très souvent gage de leur crédibilité, hélas, la provenance des financements de la société civile détermine également leur coloration. Que les fonds proviennent de l’international ou du national, les ONG sont redevables à ceux qui leur permettent de fonctionner. « Dis-moi qui te finance, je te dirais qui tu es ». Cette paraphrase pourrait en quelque sorte étiqueter les structures de la société civile en Guinée.

Connotation politique

Un coordinateur national du Forum de la société civile de l’Afrique de l’Ouest, reconnait malheureusement que les raisons ne manquent pas pour charger la société civile. « Quand des partis politiques sont dans l’opposition, il y a un certain nombre d’ONG qui se mettent ensemble pour dénoncer les agissement du régime en place. Et, quand ces partis accèdent au pouvoir, les ONG qui s’étaient mises ensemble pour dénoncer disparaissent étrangement. Elles ne dénoncent plus. Ou en cas de changement du régime, comme c’est le cas actuellement avec l’avènement du CNRD, quand certains membres sont sollicités pour aller à la soupe, on sent un silence radio dans la maison et au niveau des QG des ONG où certains attendent avec espoir d’être appelés ». La lecture qu’il faut faire de cet exemple, d’après ce coordinateur, c’est que de nombreuses organisations de la société civile sont en réalité sous la coupole de dirigeants politiques. Et donc, la plupart des actions menées sont à connotation politique, alors que, par essence, la société civile est censée être apolitique.

D’après Marius Gomou, Directeur exécutif de l’ONG « Démocratie et Transparence », il appartient à ces organisations de se doter de moyens, si elles veulent être dépendantes ou indépendantes du pouvoir. « Comment pouvez-vous être libre si la personne que vous êtes censée surveiller pour ses actions s’avère être celle-là même qui vous finance ? », s’interroge celui qui est également membre du Conseil national des organisations de consommateurs de Guinée.

La Guinée compte plus d’un millier d’ONG, œuvrant dans tous les domaines. Rien qu’au sein des ONG de développement, on en compte près de mille, qui revendiquent plus d’un million de membres, selon les statistiques au niveau du ministère de l’Administration du Territoire. Selon certains observateurs, le pouvoir octroyé, à la société civile détermine en quelque sorte le genre de rapport que les gouvernants désirent entretenir avec leurs populations. « Chaque pays a la société civile qu’il souhaite », résume Gomou. À l’entendre, la question du financement de la société civile déterminera son futur. « Tous les grands projets d’infrastructures ont au minimum un pan de sensibilisation des populations et un budget réservé à la société civile. Où va ce budget ? Il y a un ou deux articles de la Constitution guinéenne qui expliquent ce que doit être la société civile en Guinée. Les autorités ont toujours demandé des appuis financiers dans le PND. Que s’est-il passé ? Rien», s’interroge le syndicaliste.

 Le jour où les autorités décideront de donner à la Guinée la société civile de qualité

  Pour notre interlocuteur, l’état actuel de la société civile est voulu, car cela est dans l’intérêt de ceux qui tiennent les rênes du pouvoir. Une situation que comprend également le président de la coordination nationale du forum de la société civile ouest-africaine « La société civile n’a pas la place qu’elle mérite sur l’échiquier national. Les seules fois où les autorités lui accordent une importance, c’est lorsqu’il des élections pointent à l’horizon. Pour la constitution de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), par exemple,  un certain nombre de postes ont été octroyés à la société civile. Mais cela a été fait non pas par considération, mais par simple  obligation », indique le Coordonnateur national de la FOSCAO, Idrissa Souleymane. L’une des raisons de ce manque de considération, selon lui, c’est le contrôle des ONG par les hommes politiques. Quasiment tous les dirigeants politiques ont en leur possession des structures de la société civile, qu’ils dirigent. Ironiquement, certains sont devenus hommes politiques grâce à leur passage à la tête d’organisations de la société civile. « Le jour où les autorités décideront de donner à notre pays une société civile de qualité, il ne sera plus question de créer des ONG pour les ministres ou les grandes personnalités et de sucer toute l’aide prévue pour les organisations», insiste notre interlocuteur. Ce jour arrivera-t-il ?

Toute la question est là, pour Marius Gomou. L’occasion pour le président de « Démocratie Transparence » d’insister sur un mécanisme réaliste de financement de ces organisations.

Un président d’ONG militant ?

Une société civile efficace, selon lui, est une société civile autonome. Avec l’apparition de la maladie à coronavirus en 2020, les acteurs de la société civile signalent avoir vu apparaître un véritable essaim « d’organisations de la société civile lourdement financées » sur le terrain, mais qui étaient inconnues jusque-là. Elles n’ont aucune expérience, mais ont eu en leur possession un véritable pactole pour venir au secours de la population. « Nous n’avons pas été associés au plan d’urgence, ça c’est un fait. Mais nous avons soutenu les populations avec nos moyens et ceux que nous avons obtenus de nos partenaires. Je connais particulièrement l’attachement singulier du Président de la transition, le colonel Mamady Doumbouya, à la question de la société civile. Et cela augmente mon étonnement face à la propension de certains de ses collaborateurs à donner à la société civile un rôle de faire-valoir ! Quand il y a des travaux réels, tout le monde connaît la société civile réelle. Mais, quand il s’agit de gérer de l’argent ou de bénéficier de l’appui étatique, on entend certains dire : on cherche la société civile », charge Gomou.

La situation est telle, d’après lui, que plus 90% des financements de la société civile provient de l’extérieur. Et, dans ces conditions, renchérit Idrissa, avoir de l’appui extérieur devient de plus en plus difficile. « Parce que les bailleurs de fonds qui vous financent reçoivent des centaines de dossiers. Vous devez présenter quelque chose de différent », explique-t-il. Si l’État ne joue plus son rôle, aux dires du Coordinateur national du FOSCAO, il appartient à la société civile d’être plus professionnelle. Cela commence par une indépendance et des actions de terrain menées efficacement. « Avec un président d’ONG qui est militant, il va s’en dire que cela va déteindre sur sa structure », souligne-t-il.

« Nous avons souvent honte devant nos homologues du Burkina Faso ou du Sénégal, dont les dirigeants savent que la société civile peut être source d’emplois et de développement national », note-t-il.

La société civile n’a pas de ministère de tutelle et c’est l’un des problèmes auquel les acteurs sont confrontés. Au ministère de l’Intérieur, où l’on s’occupe de la constitution légale de ces structures, un proche collaborateur du ministre précise que les Organisations non gouvernementales, par principe, son à but non lucratif. Elles sont d’intérêt public, et par conséquent, ne relèvent ni de l’État ni même des organisations internationales. Malheureusement, beaucoup viennent dans ce créneau en espérant se faire « les poches ».

La seule façon d’obtenir du financement, à l’entendre, sont les apports que vous mobilisez en interne, le mécénat, les dons ou la responsabilité sociétale d’entreprises privées. Dans ce cas, l’État vous fait bénéficier d’allègements fiscaux.

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