Les motos-taxis ne pourront plus circuler à Kaloum. La police leur a interdit l’accès à cette partie de la capitale. Et pour cause. L’absence de respect du code de la route, entraînant des pertes en vies humaines et des nombreux dégâts dans la cité. Elles espèrent ainsi enrayer les accidents mortels liés à ce mode de transport. Comme il fallait s’y attendre, cette mesure fait aujourd’hui polémique. Les usagers ne comprennent pas comment peut-on interdire un tel moyen de transport dans une ville confrontée aux embouteillages et une pénurie des moyens de transports en commun.
Le communiqué est tombé comme un couperet le mercredi dernier sur les antennes des chaînes publiques. Les autorités de la police ont pris la décision d’interdire la circulation des motos-taxis et des tricycles dans la commune de Kaloum, centre administratif et d’affaires. Et ce, suite aux nombres élevés d’accident de la circulation et du désordre que créent souvent les conducteurs.
Pour une ville d’environ 3 millions d’habitants où le système de transport est défaillant, la décision des autorités n’est pas appréciée de l’ensemble des conducteurs… « On ne pourra plus s’occuper de nos familles si ce métier est interdit, s’il n’y a plus de motos-taxis. Allons-nous organiser des cambriolages et des vols à main armée pour subsister ? », s’indigne ce conducteur.
Autre indignation, celle de ce conducteur qui affirme : « Les motos taxis ne dérangent pas Kaloum. Elles contribuent à soulager la population des embouteillages. Nous sommes des jeunes étudiants, beaucoup parmi nous savent conduire et maitrisent le code de route. Mettre fin à notre service de motos taxis ne va aider personne, parce que les embouteillages sont nombreux et il n’y a pas assez de routes. »
Malgré son accident, Alphadjo, inconditionnel du transport à moto est contre cette interdiction. « J’habite à Km-36, j’emprunte la moto quand l’embouteillage est monstre. J’ai une mauvaise expérience à partager : un jour, de retour chez moi, j’ai fait un accident avec la moto. J’étais au sol, le tuyau d’échappement était sur mon pied, le conducteur de la moto criait « Pourquoi Dieu, pourquoi Dieu ? ». Mais cela ne m’empêche pas de remonter sur une moto. Hier encore, j’ai emprunté une mototaxi. Interdire les motos taxis n’est pas la meilleure des solutions », dit le jeune homme.
Au nom de la sécurité
Le gouvernement a déclaré que cette interdiction est nécessaire en raison des décès, des troubles et désordre causés par les taxis-motos chaque jour à Kaloum, commune phare de la capitale. Pour le commissaire Ahmadou, rencontré au département de la sécurité à coléah, la décision des autorités est compréhensive : « Je voudrais vous apprendre que tout le monde vient ici, à Conakry, parce qu’il y a c’est l’occasion de se faire de l’argent. C’est pour le business. Pire encore : il est possible de pratiquer le vol à la tir à moto et partir librement sans être inquiété. Je ne parle même pas des personnes qui sont mortes du fait des accidents. Sinon, j’ai travaillé à Kissosso, dans la commune de Matoto pendant quatre ans, j’ai vu des gamins qui devraient être à l’école, mais qui faisaient le transport à moto. Ces enfants n’avaient pas de maison, ils dormaient sur les motos, et dès 5 heures du matin, ils se mettaient au travail. Donc si nous voulons créer une cité modèle, il y a un prix à payer. »
Pour l’heure, ceux qui travaillent ou qui se rendent à Kaloum chaque jour s’adaptent difficilement au changement de leur mode de transport, en attendant la promesse des autorités sur des mesures d’accompagnement avec notamment la mise en circulation des bus pour remplacer les motos et autres tricycles.
Selon toujours le commissaire Sampil, l’interdiction visait également à pousser les jeunes à trouver de meilleurs emplois car le moto-taxi pour lui, n’est pas une activité durable. « Nos jeunes n’apprennent plus les métiers dont nous étions autrefois fiers – couture, maçonnerie, imprimerie, peinture et autres. Aujourd’hui, nous faisons venir des artisans des pays voisins« , a-t-il déclaré.
Malgré la descente de la police dans les carrefours, le lendemain de la décision, les exploitants et conducteurs de taxis-motos et de tricycles de Kaloum, circulent toujours. Ils refusent de quitter les rues. Cette mesure censée enrayer le nombre d’accidents mortels, est loin d’être bien accueillie dans le milieu.
Une décision « catastrophique » ?
Embouteillages monstres, files d’attente interminables aux arrêts de bus, foules de piétons : se rendre au travail et retourner aisément est devenu un cauchemar depuis l’interdiction des taxis-motos et des tricycles dans le quartier administratif de Conakry. « Les Guinéens sont les personnes les plus résistantes au monde ! », assure un passant, au carrefour Palace à Boulbinet : « mettez une politique en place, les Guinéens s’adapteront, peu importe à quel point elle est débile, nous sommes très patients. Sinon se déplacer à Conakry en temps normal est déjà un casse-tête. Ça vous donne la migraine, c’est stressant », souligne-t-il, avant de continuer « mais là, c’est vraiment devenu un enfer ».
Ceux qui n’ont pas d’autre choix, arpentent le bitume sans trottoir, par milliers, malgré la chaleur et l’air irrespirable. « Depuis jeudi dernier, cela a vraiment changé ma forme physique, maintenant je fais beaucoup de randonnée », ironise Mayéni Soumah, 34 ans, dénonçant la flambée des prix du déplacement des taxis depuis l’interdiction. Avant un trajet me coutait entre 10 et 15.000GNF, là je dois débourser 20 à 25.000GNF, c’est trop ».
C’est vrai. Il faut reconnaître que les motos-taxis et les tricycles à moteur, sont des moyens de transport utilisés par des millions de personnes, parmi les plus pauvres, face au manque criant de transports en commun.
Mais hélas ! Malgré les avantages qu’ils offrent, les taxis-motos sont très controversés en raison de la dangerosité qu’ils représentent à la fois pour les conducteurs eux-mêmes, les passagers et les automobilistes.
Les jugements négatifs des autorités administratives portés à l’encontre de cette forme de transport viennent du fait que ces engins, on ne cessera de le dire, sont responsables d’environ 80% des accidents de circulation sur nos routes, en raison des surcharges et de la non-maîtrise du Code de la Route.
En général, les gens s’insèrent dans cette activité sans avoir le permis. Pour les autorités, les nombreux avantages qu’offre ce transport en termes de mobilité, de rapidité, de coût, d’accessibilité, etc. s’opposent aux jugements négatifs qui ne militent pas en faveur de leur maintien. Toutefois, elles reconnaissent être impuissantes face à ce phénomène amplifié par l’exode rural.