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Justice de Paix de Lélouma : avancées, obstacles et perspectives, le juge Ousmane Koulibaly à cœur ouvert sur Guinéenews! Entretien

Depuis son installation à la tête de la justice de paix de Lélouma, il y a un peu moins d’une année, des avancées significatives ont été enregistrées. De la rénovation du palais de justice, en passant par l’équipement du local, des rapports entre les services de sécurité et la justice d’un côté et de l’autre, entre cette dernière et les justiciables, les lignes semblent bouger. La vétusté de la prison civile,  les problèmes rencontrés ou encore les perspectives d’avenir, le juge de paix Ousmane Koulibaly a accepté volontiers de recevoir dans son bureau la rédaction locale de Guinénews, pour un entretien à cœur ouvert.

Guineenews: Vous avez pris fonction en tant que juge de paix de Lélouma, il y a moins d’une année. Parlez-nous de la situation dont vous avez héritée?

Ousmane Koulibaly : Effectivement, j’assume cette fonction de juge de paix de Lélouma il y a de cela près d’un an. Mais bien avant cela, j’ai été nommé ici au sein de ladite juridiction en qualité de juge d’instruction courant l’année 2018 auprès de juge Lazare Mamady Bauret à l’époque juge de paix. Mais laissez-moi vous dire que nous avons rencontré assez des difficultés, nous avons trouvé le palais de justice dans un état de vétusté. Il n’y avait pas de salle d’audience. Les bureaux n’étaient pas équipés. Mais grâce à la persévérance et au courage de notre équipe surtout avec la détermination de mon juge de paix d’alors, Me Lazare, nous avons pu obtenir quelques aides financière et matérielle de notre département. De quoi faire la rénovation de notre palais de justice. C’est pourquoi aujourd’hui, il y a au moins quelques infrastructures plus ou moins acceptables qui nous permettent de travailler dans des meilleures conditions. (…).

Guinéenews : Hormis ce problème lié à l’infrastructure, quelles ont été les autres difficultés auxquelless vous avez pu faire face?

Ousmane Koulibaly : En fait, le sérieux problème qu’on a rencontré était lié à l’infrastructure. Mais dès notre prise de fonction, on a rapidement fait face à ce problème pour y remédier, afin de changer l’image du palais de justice pour que la justice ait son respect dans la cité de Lélouma.

Les bureaux sont plus ou moins équipés maintenant. Contrairement à la situation dont on avait héritée. (…). On a quand même aujourd’hui quelques matériels qui nous permettent de travailler dans des conditions un peu plus meilleures.

Guinéenews : Aujourd’hui est-ce que les principes régissant vos rapports avec la police et la gendarmerie sont respectés à la lettre?

Ousmane Koulibaly : ce que vous devez comprendre à ce niveau, la police et la gendarmerie sont les auxiliaires de justice avec lesquels nous travaillons d’arrache-pied dans la recherche des présumés auteurs en cas de commission d’infraction. Je peux vous rassurer que nos rapports sont des rapports  bon enfant. Tous les principes régissant nos collaborations sont bien respectés. De l’enquête préliminaire, jusqu’à l’acheminement du dossier au niveau de mon cabinet, toutes les étapes de la procédure sont respectées à la lettre et conformément au code de procédure pénale. J’ai moi-même un regard sur leurs activités, à chaque étape de la procédure effectuée par les OPJ (officier de la police judiciaire ndlr) pour que les droits fondamentaux des personnes mises en cause ou gardées à vue soient respectés comme prévu par la loi. C’est pourquoi d’ailleurs nous tenons des rencontres périodiques avec ces services là pour échanger sur les actes de la procédure et la conduite à tenir lorsqu’ils ont connaissance de la commission d’une infraction. D’ailleurs, la loi leur impose même de m’informer lorsqu’un OPJ de la police ou de la gendarmerie a connaissance de la commission d’une infraction pour que nous menions les enquêtes dans le respect des droits des citoyens et de la procédure. Donc je peux vous garantir que cela est respecté entre mon service et celui des OPJ.

Guinéenews : Ces structures ne se substituent-elles pas à la vôtre pour trancher parfois sur des dossiers dont vous seul êtes habilités à gérer ?

Ousmane Koulibaly: Bon écoutez. C’est d’ailleurs le lieu pour moi de féliciter et d’encourager ces services de sécurité pour leur professionnalisme dans le traitement des dossiers de la procédure. Cette substitution, même si ça existait, c’était peut-être avant notre arrivée. Mais je peux vous rassurer que depuis notre arrivée avec mon juge de paix sortant Me Lazare, jusqu’à mon temps, nos collaborations sont vraiment axées sur les principes professionnels. Il n’y a pas de substitution entre nous. (…). Et comme je le disais tantôt, tout ce qu’ils font à l’enquête préliminaire, ils le font sous mon contrôle et ils me déférent les dossiers une fois que l’enquête préliminaire est terminée dans le respect du délai comme prévu par la loi.

Guinéenews: Et concernant les administrateurs territoriaux locaux, il n’y a pas immixtion car parfois, certains d’entre eux se plaisent dans ce sens et n’hésiteraient pas à s’approprier et gérer des litiges à votre place ?

Ousmane Koulibaly : sur ce plan, je peux vous dire que cet état de fait existait par endroits au niveau des certains administrateurs territoriaux, notamment les sous-préfets qui géraient certains problèmes à leur niveau. Ce qui est d’ailleurs constitutif d’infraction à la loi pénale (usurpation de titre). Mais je peux vous rassurer que cette pratique qui était une vielle pratique chez des administrateurs territoriaux, commence aujourd’hui à diminuer. Et ce, grâce à nos méthodes de travail et nos sensibilisations auprès d’eux. Sinon, ces cas étaient fréquents dans notre localité.

Guinéenews : est-ce que la sensibilisation à elle seule avait pu dissuader ces administrateurs territoriaux à abandonner cette pratique ?

Ousmane Koulibaly : j’avoue qu’on a commencé avec les méthodes de sensibilisations et d’informations mais finalement, on est passé par des condamnations. Parce-que il y avait certains qui n’ont pas voulu comprendre nos messages. Tous ceux qui n’ont pas voulu comprendre notre message ont été interpellés, jugés et condamnés par nos services. Cela a même servi d’exemple. Mais je peux vous rassurer qu’aujourd’hui cette pratique est carrément éradiquée. Et nous tissons des très bons rapports actuellement.

Guinéenews : Sur le plan de la gestion des problèmes avec les citoyens (justiciables) et vous justice, y a-t-il une confiance ?  Parce que parfois on a l’impression qu’il y a un fossé entre la justice et les populations ? 

Ousmane Koulibaly : la justice, tout d’abord est un service social qui doit être au service des citoyens, de la population. Nous, notre mission principale est de rendre justice à ces citoyens. Les protéger et assurer la garantie de leurs biens. C’est ça la mission fondamentale qui nous est dévolue (…). Aujourd’hui je veux vous dire que le rapport entre la justice commence à aller très bien. On avait effectivement depuis notre prise de fonction ici à Lélouma constaté qu’il y avait un fossé, une crise de confiance entre les citoyens et les services judiciaires. Mais grâce à notre implication nous constatons que la confiance est en train de renaître petit à petit. Et cela nous comprenons à travers le nombre de dossiers que nous enregistrons à notre niveau et au niveau des forces de sécurité. Nous, l’objectif principal ici, c’est de rendre la justice aux justiciables sans aucune considération subjective basée sur l’ethnie ou la politique. C’est-à-dire tous les citoyens sont traités de la même manière. Les audiences aussi se tiennent régulièrement. C’est ce qui fait aussi la force de la justice de paix de Lélouma. Il y a vraiment un climat de confiance entre nous et les citoyens.

Guinéenews : autres aspects aussi dans ce sens. Est-ce que les citoyens maîtrisent réellement les rouages de la justice ? Ont-ils des notions sur leurs droits et devoirs envers votre service ?

Ousmane Koulibaly : par rapport à cette question, ce n’est pas facile. Bien qu’on dit souvent, nul n’est sensé ignoré la loi. Mais l’ignorance est un facteur qui ne permet pas à l’ignorant de comprendre le contenu de la loi. Aussi, il y a un aspect très important à ce niveau qui est l’ignorance. Et l’ignorance c’est un phénomène qui ne permet pas à l’ignorant de comprendre le contenu de la loi. Et à ce niveau, comme nous servons d’ailleurs dans une localité où le taux d’analphabétisme est élevé, vous comprendrez que ce n’est pas facile pour eux de cerner facilement le fonctionnement du système judiciaire. Nous rencontrons quelques fois des difficultés. Les coutumes ont une forte influence sur les dispositions textuelles. Mais nous sommes en train de fournir assez d’effort en faisant des campagnes d’information et sensibilisation à cet effet. (…).

Guinéenews: Quels sont les genres de dossiers auxquels vous faites le plus souvent face ici au niveau de la justice de paix de Lélouma ?

Ousmane Koulibaly : ici, les dossiers qui sont les plus fréquents, c’est d’abord le viol, le vol de bétail et les problèmes domaniaux, qui d’ailleurs sont parfois teintés de certaines csonsidérations subjectives. C’est ce qui nous rend parfois la tache difficile au regard de la loi. Mais nous, étant donné que la loi a un caractère impersonnel, nous ne regardons pas le statut social d’une personne pour rendre notre décision. On examine les faits et on tranche conformément à la loi.

Le phénomène le plus récurrent et qui d’ailleurs fatigue énormément les populations, c’est le problème de vol de bétail. Si vous avez même remarqué, il y a eu tout récemment une pénurie de viande ici. Et ça c’est l’une des conséquences du vol de bétail. Mais actuellement avec la détermination et le courage de nos agents de sécurité, on est en train de se battre d’arrache-pied pour l’éradication de ce fléau. Nous sommes prêts à combattre ce réseau quel que soit le prix à payer. Pour preuve nous venons de tenir une rencontre avec les acteurs de la filière élevage et les forces de défense et sécurité pour qu’ensemble nous puissions agir en synergie d’action pour combattre ce grand réseau de vol de bétail.

Guinéenews : En tant que responsable de la prison civile, de quel œil voyez- vous aujourd’hui cette infrastructure ? Les normes sont-elles respectées ?

Ousmane Koulibaly : au niveau de la prison civile, laissez-moi vous dire  qu’elle est dans un état de dégradation très poussée. C’est un vieux bâtiment construit en banco depuis 1936 qui a servi de centre de santé avant de devenir prison civile. Donc vous comprendrez que cette prison a besoin de plusieurs réformes pour qu’elle soit dans les normes réglementaires. Par rapport à l’entretien, je peux vous dire que nous recevons l’assistance de la Croix-Rouge et d’autres ONG. Les prisonniers sont suivis par un médecin traitant. Par rapport à leur état sanitaire et hygiénique, je peux vous rassurer qu’ils sont bien suivis et l’assainissement est souvent assuré par la croix rouge.

Guinéenews : A vu d’œil cette prison n’inspire pas pourtant confiance. Comment remédier à ça ?

Ousmane Koulibaly : comme je le disais tantôt, vous imaginez un bâtiment construit à cette date et sans clôture. Donc il faut dire que non seulement les problèmes de normes réglementaires se posent mais aujourd’hui nous avons des petits soucis pour des risques d’évasions. Et c’est le lieu pour moi de saluer la vigilance des gardes pénitentiaires. Mais il faut prendre des mesures pour ne pas que ce problème se pose parce-que ce bâtiment se trouve dans un état de dégradation très avancée. Donc il y a d’éventuel risques. Pour ce qui est du respect des règlements à l’intérieur de la prison, il n’y a pas de surpeuplement. Tous les condamnés pour des infractions criminelles qui dépassent une peine de cinq ans, sont déférés à la maison centrale de Labé pour qu’il n’y ait pas surpeuplement.  Donc par rapport au nombre de détenus, nous veillons sur ça et c’est respecté à la limite.

Guinéenews : Revenons-en au personnel. Avez-vous le personnel suffisant pour bien faire fonctionner votre service ?

Ousmane Koulibaly : pour ce qui est du personnel, nous en avons toujours besoin. Surtout au niveau de la police, de la gendarmerie et de la prison civile pour rendre notre service beaucoup plus opérationnel et efficace. Je ne dirais pas que le nombre n’est pas suffisant mais par rapport à la complexité de notre travail, par rapport à la délicatesse nous en avons toujours besoin.

Guinéenews : Quelles sont aujourd’hui vos perspectives ?

Ousmane Koulibaly : Nos perspectives s’inscrivent dans le cadre de l’amélioration de nos conditions de travail et l’instauration d’un climat de confiance entre la justice et les justiciables. Ce qui est plus important c’est notre détermination à rendre un service efficace, un service judiciaire à la population. Pour cela, nous sollicitons des moyens pour les infrastructures ou le personnel. Nos ambitions essentielles c’est comment lutter contre le grand banditisme, comment mettre fin au réseau de vol de bétail qui est là. (…). C’est pourquoi d’ailleurs, des rencontres avec les éleveurs, la société civile et les élus locaux et d’autres acteurs sont en vue pour qu’ensemble, on élabore une stratégie afin de combattre ce fléau. Aucune violation de la loi ne sera tolérée et les victimes seront rétablies dans leurs droits, une fois si cela est fondé.

Guinéenews : Un mot de la fin, sûrement ?

Ousmane Koulibaly : Je lance un appel auprès de notre département pour qu’ils nous viennent en aide pour que cette prison soit dans les normes réglementaires. Et nous fournir davantage du personnel. Aujourd’hui à Lélouma, notre ambition est d’éradiquer le banditisme dans la cité. Surtout le grand réseau lié au vol de bétail qui cause d’énormes préjudices aux populations. Nous leur demandons à faire confiance à la justice qui est un service social et accessible à tous. Nous sommes là pour leurs services.

Entretien réalisé pour Guinéenews par Abdourahamane Barry

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