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Interview : Abdoulaye Fanyé Touré, musicien, tromboniste du Bembeya Jazz national à cœur ouvert

Artiste musicien, tromboniste et saxophoniste à l’essai, il s’appelle Touré Abdoulaye ‘’Fanyé’’ du Bembeya jazz national de Guinée.  Abdoulaye ‘’Fanyé’’ Touré est né le 25 décembre 1989 à Conakry. Il est le fils de feu Almamy Sory et de Makalé Camara. Il est marié à une femme et père de 3 filles.

Il a fréquenté l’école primaire de Nènè Khaly Condéto au quartier Makia Touré dans la commune de Matoto. Fanyé après avoir fait le collège à Gbessia sera transféré à Sangoyah puis au lycée de Bonfi où, il obtiendra son premier bac 1 en terminale, et ce fut la fin de son cycle, occasionné par le décès de son père.

Adjudant de grade au sein de l’armée de terre, votre site quotidien d’information Guinéenews, a reçu Abdoulaye Fanyé Touré, de la section vent de l’orchestre le Bembeya Jazz national.

Lisez l’interview.

Guineenews : Comment êtes-vous venu à la musique et surtout à cet instrument (le trombone) à la section vent ?

Fanyé Touré En clair, la musique ne fut pas mon choix. Après l’école, c’était le football. Mon père voulait m’envoyer en Europe pour jouer au ballon. Vous voyez mon gabarit, je fus un bon stoppeur. Pour revenir à votre question, c’est dans le scoutisme que j’ai été recruté à l’école primaire. Ce mouvement d’éducation pour les jeunes m’a permis d’élargir mon niveau tant éducatif qu’instructif. Je suis un fruit du scoutisme et jusque-là où je vous parle, j’occupe le poste de commissaire chargé de la formation, responsable de la fanfare nationale de Guinée. C’était au temps de feu Mme Rougui Barry, qu’il y a eu des instruments pour la fanfare. Nous avions été formés par des instructeurs, c’est bien de le dire et tout au début mon instructeur ne voulait pas entendre parler de musique. Au départ, je fus affecté au clairon et finalement, je suis revenu au trombone. Nous étions tellement nombreux à ce poste que le temps pour apprendre à chacun ne suffisait pas. Je me suis donné le courage pour aboutir à ce que je suis parvenu en ce moment.

Guineenews : Racontez-nous votre parcours sur le plan musical ?

Fanyé Touré : Tant sur le plan théorique et pratique, j’ai été soutenu par un moniteur pendant 2 ans de formation, du nom de Soumah et qui est décédé (Paix à son âme). C’est à partir de la fanfare communale que j’ai été recruté au niveau de la fanfare nationale. C’est pour moi l’occasion, de rendre hommage au chef Ousmane Keita alias ‘’OK’’ par rapport à mon niveau pour lequel, il a eu confiance et m’a reversé dans cette nouvelle structure. Sur le plan musical, c’est après que j’ai intégré le Bembeya jazz national.

J’ai été repéré par Georges Kanté qui a été délégué par le doyen Sékou Bembeya, pour le recrutement des ventistes. J’ai donc été remarqué avec Fodé Salif Camara par ce doyen au cours des cérémonies funèbres de feu ITALO ZAMBO.

Guineenews : Est-ce vrai que vous êtes un produit de la fanfare guinéenne et que la plupart d’entre vous proviennent de là ?

Fanyé Touré : Bien sûr et c’est clair, nous provenons tous de cette fanfare. Dieu merci, que nous avions tous eu une formation requise auparavant.

Guineenews : Certainement au niveau des orchestres guinéens ou d’ailleurs vous vous êtes inspiré de quelqu’un ?

Fanyé Touré : Celui qui m’a impressionné et dont je garde encore en mémoire, est ce célèbre trompettiste américain Louis Armstrong.

Guineenews : Depuis combien de temps, vous appartenez au Bembeya jazz national de Guinée et comment êtes-vous parvenu à intégrer cet ensemble ? 

Fanyé Touré : J’ai intégré le Bembeya jazz national en fin 2003. L’orchestre avait une tournée à effectuer aux Etats-Unis. C’est ainsi que le doyen Sékou Bembeya nous a laissé un magnétophone en plus de quelques cassettes du répertoire de l’orchestre, afin de répéter à leur insu les différentes partitions. Après 5 à 6 mois de tournées, nous avions essayé tant bien que mal de maîtriser toutes ces partitions et à l’époque, à la section vent il y avait les maîtres feu Asken Kaba, feu Talibé Traoré, feu Mory TAB et Clément Dorégo (paix à leurs âmes).

Guineenews : Décrivez-nous donc votre parcours en compagnie du Bembeya jazz national ?

Fanyé Touré : Je retiens que j’ai commencé à voyager avec le Bembeya en 2005 et c’était le 3 avril pour commémorer l’anniversaire du décès du regretté Aboubacar Demba Camara à Dakar. Après la tournée de Dakar, nous avions sillonné plusieurs autres pays notamment le Mali, le Togo, le Burkina Faso, à Praia au Cap vert et plusieurs autres voyages en dehors du continent africain.

Guineenews : En Guinée, la section vent tend à disparaître ainsi que certains autres instruments traditionnels. Qu’en pensez-vous ?

Fanyé Touré : Vous savez, ce n’est pas du tout facile. Pour être à ce niveau, j’ai abattu un gros travail. Personnellement, mon père ne voulait pas que je fasse de la musique. Étant de la lignée des TOURÉ, il disait le plus souvent, que ce sont les autres qui devraient faire nos éloges. Vous savez quand un problème se pose, il faut chercher à tout prix des solutions. Il faut une longue réflexion de la part de toutes les personnes ressources qui pourrait détecter les causes principales. Après le décès du feu Président Ahmed Sékou Touré (paix à son âme), la culture guinéenne en général a connu un très dur coup et a subi un délaissement total à tous les niveaux. Bien que je n’ai pas vécu ce temps, tout a été abandonné. Il va falloir donc qu’on appuie ce secteur, et que des personnes de bonne volonté s’impliquent. De nos jours et concernant notre génération, tout le monde veut arriver et gagner vite. J’ai pris tout le temps pour apprendre cet instrument par amour et passion, sans pour autant penser au gain que cela pourrait m’apporter. Il faut donc une volonté politique à l’appui pour accompagner ce secteur, afin d’intéresser cette jeune génération.

Guineenews : Quelle place occupez-vous actuellement au sein du Bembeya jazz national ?

Fanyé Touré : A part être instrumentiste, j’occupe le poste de responsable technique. Je m’occupe de tout ce qui est organisationnel, discipline pour aider le doyen Sékou Bembeya qui a pris de l’âge, et qui est très expérimenté.

Guineenews : Peut-on savoir le nombre de musiciens de la section vent qui opèrent dans les orchestres guinéens bien sûr y compris le Bembeya ?

Fanyé Touré : Au sein du Bembeya, nous sommes au nombre de 3 qui jouent à la section vent. Il y a 2 trompettistes, en plus moi qui joue au trombone et au saxo. J’ai aussi formé 2 autres trombonistes qui sont opérationnels et le 22 band version Conakry, est appuyé aussi par 2 trompettistes.

Guineenews : La boite à rythme a grandement occupé la place des cuivres dans les enregistrements des albums de nos artistes. Qu’en dites-vous ?

Fanyé Touré : C’est une très belle question. Pour tout bon mélomane à l’écoute, vous avez l’impression de croire, que tous les arrangements sont presqu’identiques. Quel que soit le talent d’un claviste, il ne peut pas remplacer la section vent. La respiration de l’être humain sur l’anche, sur l’instrument à vent ne pourra jamais être imitée par le clavier. Le clavier le fait de façon superficielle, et les notes sont généralement toutes collées et se ressemblent presque toujours.

Guineenews : Avez-vous participé à l’élaboration d’un ou plusieurs albums des artistes guinéens ?

Fanyé Touré : J’ai participé à l’élaboration de l’album de Djeli Kany Fanta titré ‘’Dyamanakè’’. J’ai été contacté par feu Petit Condé (paix à son âme), qui a compris lors d’une prestation du Bembeya au palais du peuple, que les ventistes guinéens pouvaient faire du bien aux arrangeurs, au lieu d’aller chercher ailleurs ou la facturation est énorme. J’ai joué aussi dans l’album du jeune qui a produit le titre ‘’Khamè san sakhan’’ ainsi que plusieurs autres.

Guineenews : A vous observer par la corpulence, l’on vous assimile à un soldat. Faites-vous partie de l’armée guinéenne ?

Fanyé Touré : (rires) je suis adjudant de l’armée de terre et je suis fantassin.

Guineenews : Le trombone est cet autre instrument à vent pour lequel de rares jeunes de votre génération s’y intéressent. Pourquoi le choix de cet instrument moins convoité ?

Fanyé Touré : Franchement c’est le destin qui m’a conduit vers cet instrument. Ce n’était pas ma priorité. Je voulais être trompettiste comme mon idole Louis Armstrong. Fort malheureusement je me suis retrouvé après le clairon, au trombone.

Guineenews : Le dernier des mohicans, qu’était Maître Mamadou Aliou Barry vient de s’éteindre. Quelles furent vos relations ?

Fanyé Touré : Quand vous parlez de cet homme, j’ai les larmes aux yeux. Feu Mamadou Aliou Barry fut notre maître. C’était une icône, un visionnaire, il nous a encadré, dorloté et nous a montré beaucoup de choses. Nous avions partagé beaucoup de scènes tant sur le plan national qu’international. Au retour de notre voyage sur Lagos, j’ai attaché des noix de colas et par le biais du doyen Georges Kanté et de Hervé, pour demander à maître Barry de m’assister dans l’apprentissage du saxophone. Il a pleuré ce jour. Je remercie Dieu d’avoir conduit ce grand maître sur mon chemin.

Guineenews : Fanyé votre nom littéralement traduit en langue vernaculaire (susu) signifie le rocher. Ne croyez-vous pas un jour être altéré ou détruit par la tendance actuelle de la pratique des boites à musique ?

Fanyé Touré : Cette pratique ne pourra jamais nous remplacer. Je suis sûr de ce que nous faisons comme travail et j’ai grandement espoir car j’ai un objectif, une vision, celle d’apporter harmonieusement un plus à la musique guinéenne. La section vent à une place primordiale dans la musique. Donc comme mon nom l’indique (Fanyé), je suis un rocher inaltérable.

Guineenews : Quelles expériences avez-vous acquis au sein du Bembeya jazz national et qu’obtenez-vous présentement sur le plan financier ?

Fanyé Touré : Depuis 2003, j’ai tiré pleins d’expériences au sein du Bembeya jazz national. Il faut travailler avec le doyen Sékou Bembeya pour savoir que c’est un monument de la musique guinéenne. A part la connaissance de mon instrument, j’ai aussi acquis d’autres connaissances sur les autres sections, vocale et rythmique. Le BEMBEYA est une grande école.

Guineenews : Du coup peut-on savoir ce que vous gagnez financièrement au sein du Bembeya, quelles sont vos sources de revenus et êtes-vous affilié au BGDA ?

Fanyé Touré : Ce n’est plus comme avant, moment pendant lequel, les musiciens des orchestres nationaux étaient des fonctionnaires. Étant de la nouvelle génération dans le Bembeya, je ne minimise pas ce que je gagne. Quand on est dans le Bembeya, ce n’est pas une question d’argent. Le Bembeya est un orchestre connu à travers le monde. On peut gagner de l’argent dans avec le Bembeya, mais sachez que le Bembeya est un nom, un prestige et de surcroît un honneur. Le Bembeya représente le Rouge-Jaune-Vert et c’est la carte d’Afrique.

Ma principale source de revenus est mon salaire au sein de l’armée. S’il y a d’autres qui s’y ajoutent, pour votre gouverne, je suis informaticien et je fais des prestations.

Pour mon affiliation au BGDA, les doyens sont en train de se battre pour nous intégrer. Il est certain que nous ne pouvons pas bénéficier des mêmes droits que les anciens. Cependant depuis 2003, nos images circulent à travers le monde par nos prestations. Beaucoup d’images de nos prestations sont vendues au marché de Madina et ailleurs. Personnellement, je ne profite de rien. Je suis persuadé que ce problème sera bientôt résolu.

Guineenews : On peut affirmer aujourd’hui que vous maîtrisez toutes les partitions de la section vent du Bembeya. Pourquoi il n’y a pas de nouvelles compositions au sein du Bembeya jazz national ?

Fanyé Touré : Une superbe question. Je prie Dieu qu’il vous garde longtemps parmi nous. Beaucoup de journalistes m’avaient promis des interviews et rien en a été. Pour répondre à votre question, vous êtes néanmoins rassuré que le Bembeya avait créé. Continuellement il va créer et il créera. Nous avons des nouvelles recrues au chant notamment Labass et Monionko qui sont bien inspirées.

Guineenews : Nombreux sont ceux qui ont quitté cet ensemble pour plusieurs raisons. Qu’est-ce qui vous retient essentiellement au sein du Bembeya pourtant que des offres vous sont régulièrement faites, un peu partout, et qu’est-ce qui pourrait expliquer votre engagement ?

Fanyé Touré : Ce n’est pas un problème d’argent qui me retient dans le Bembeya. Comme je vous l’ai dit auparavant, le Bembeya c’est la carte d’Afrique et avoir la chance et la bénédiction des parents d’évoluer dans cette formation emblématique, il faut s’en réjouir. Il faut avoir une certaine qualité sur le plan musical et surtout une éducation soutenue par une discipline. De l’habillement, au comportement dans le Bembeya, on veille à tout cela. Le Bembeya c’est la fraternité, c’est une famille.

Guineenews : Le récital de Sékou « legrow » aujourd’hui traduit en anglais et en espagnol dans l’inoxydable concert ‘’Regard sur le passé’’, que pensez-vous pour sa relève à ce niveau, et surtout longévité à lui ?

Fanyé Touré : Certainement que vous n’avez pas suivi ces derniers temps l’évolution ou le mouvement de cet ensemble. Actuellement, c’est moi qui assure ce rôle de récitant à l’absence du doyen Sékou « le grow » et même la présentation de l’orchestre. Ce qui veut dire qu’au sein du Bembeya, la relève continue de s’assurer progressivement.

Guineenews : Aujourd’hui, malade et principal auteur de presque tous les solos aux saxos des enregistrements du Bembeya jazz national, quel regard portez-vous sur Clément Dorégo, cet autre monument de la musique guinéenne ?

Fanyé Touré : Ah ! Nous l’appelons « Docteur Clément » encore longévité à lui et meilleure santé. C’est une autre icône de la musique guinéenne à travers ses œuvres aux différents saxos. Heureusement que le Bembeya et le département très reconnaissants le gratifient aujourd’hui de cette indemnité octroyée aux anciennes gloires. Bon courage et longévité à lui.

Guineenews : Parlez-nous du carnet de santé de l’actuel Bembeya jazz national estropié presque de toutes ces anciennes valeurs et grandes gloires ?

Fanyé Touré : Le Bembeya se porte bien, et il résiste contre vents et marées, malgré la situation que nous connaissons tous. C’est la seule formation nationale du pays qui tient la route et la relève est assurée à 95%.

Guineenews : 2003-2023, cela fait 20 ans que vous évoluez au sein du Bembeya jazz national. Pour clore cette interview, parlez-nous d’un bon ou mauvais souvenir que vous gardez encore ?

Fanyé Touré : L’un des plus beaux souvenirs, et celui que je retiens, est un de nos voyages sur Dakar, lors d’une fête de l’indépendance du Sénégal. Le Président Abdoulaye Wade a fait déplacer le Bembeya par un vol spécial. L’entrevue que nous avions eue avec lui, reste encore en mémoire. Saviez-vous que son morceau préféré est ‘’donin donin’’ du Bembeya jazz national ? Il nous a dit qu’il n’est jamais trop tard et petit à petit l’oiseau fait son nid et ainsi va la vie. Excusez-moi d’en rajouter un second souvenir, c’est lorsque nous fûmes élevés aux grades de chevaliers de l’ordre national du mérite par le Professeur Alpha Condé.

Le plus mauvais souvenir, c’est lorsque j’ai perdu mon grand, mon conseiller, mon tout feu Youssouf Bah ‘’Youyou’’ et que son âme repose en paix. Je le garde encore dans mon cœur et dans mon esprit. (Pleurs).

Entretien réalisé par LY Abdoul pour Guinéenews

 

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