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Hôpitaux publics : mourir dans l’indifférence des blouses blanches

Perdre la vie dans un hôpital, cela peut arriver à tout moment. Mais lorsque la mort est causée par l’action ou plutôt l’inaction conjuguée du personnel hospitalier et des pouvoirs publics, il y a problème. Il faudrait alors réfléchir au remède qui mettra fin au mal.

Le droit n’est toujours pas respecté dans les hôpitaux guinéens, ce qui ressort des constats que nous venons de faire sur le terrain. Les difficultés constatées ici et là dans les hôpitaux alimentent le débat sur le problème d’accès aux soins et de la prise en charge des patients dans les hôpitaux publics du pays.

Nous ne cessons de dénoncer ce qui se passe dans les structures hospitalières guinéennes : affairisme, vol et revente de médicaments, laxisme, corruption et surtout volonté manifeste de certains personnels de santé de déroger aux règles élémentaires afférentes au respect et à la protection de la dignité de la personne humaine.

Des plaintes à n’en pas finir

Au cours de notre tournée dans les hôpitaux, nous avons recueilli des plaintes de plusieurs parents de malades. « Cela fait trois jours que ma sœur est hospitalisée au service des urgences. Et depuis notre arrivée, elle n’a reçu aucun véritable soin. Les médecins ne font que nous remettre des ordonnances et disent attendre les résultats des examens. Pendant ce temps, l’état de santé de ma sœur ne fait que se dégrader », nous dit Rémi Kolié, un parent de malade avec qui nous avons échangé le mardi 22 février dernier, au CHU de Donka. « Vraiment, Il y a trop de négligence dans nos hôpitaux publics, surtout les CHU. Les malades sont très souvent abandonnés par le personnel de santé. Un malade est décédé hier, pendant qu’il se trouvait seul dans sa chambre. Cela ne peut plus continuer. Il faut que les autorités agissent », lance Binta Barry, une autre parente d’un malade.

« Dans nos hôpitaux publics, l’accueil n’est pas bon. S’orienter est très difficile. Parfois, ce sont les vigiles censés veiller sur la sécurité qui nous aident. Et lorsque votre parent est hospitalisé, il faut à chaque fois supplier les médecins ou les infirmiers pour qu’ils viennent s’occuper de votre malade », nous dit Fanta Condé, grande sœur d’un malade avec qui nous avons échangé à l’Hôpital Ignace Deen, à Kaloum..

Cette négligence vis-à-vis des malades par les agents de santé s’est matérialisée par une scène qui s’est produite récemment dans un hôpital de la place où une infirmière a été giflée par un parent de malade, parce qu’elle jouait avec son téléphone, pendant que son patient faisait des convulsions.

Violences verbale et physique dans les maternités

Au-delà de l’indifférence ou du mépris, il y a parfois la violence, celle des mots (insultes, injonctions) ou des gestes. Ce sont les maternités qui, partout, en sont les lieux privilégiés. Les parturientes témoignent souvent des violences qu’elles ont subies de la part des sages-femmes. « J’ai fait mon premier accouchement dans la maternité d’un centre médical à Ratoma. Les sages-femmes de cet hôpital sont « méchantes », elles n’ont pas d’éducation, pas de conscience professionnelle. Tu ne peux pas voir une femme en travail et l’insulter ! On te gifle. Même si l’heure n’est pas venue, elles provoquent l’accouchement et elles précipitent la mort des femmes. Les sages-femmes montent avec leurs pieds sur le ventre de la femme, on force la femme à accoucher, si tu ripostes, on te gifle. Elles disent: « Quand tu prenais la grossesse, tu étais contente de te voir avec ton mari et ici tu fais des chichis», témoignage choc de dame M.B qui dit avoir subi de la violence verbale lors de son accouchement dans un hôpital à Ratoma, Conakry.

« Je ne vais plus jamais accoucher à la maternité de l’hôpital Ignace Deen. La première fois que je suis arrivée là-bas pour accoucher, les sages-femmes n’arrêtaient pas de  me crier dessus. Je ne comprenais rien parce que je n’avais jamais eu d’enfant. J’étais à mon premier geste. A ma grande surprise, je vois une d’elles montée sur moi et a commencé à appuyer sur mon ventre, comme j’avais très mal je lui ai demandé d’arrêter, et elle m’a giflée. Quand j’ai pu me relever, je lui ai rendu sa gifle, et on s’est battu dans la salle d’accouchement», nous raconte une jeune femme, très remontée que nous avons interrogée à la sortie de la salle de Pédiatrie, d’une autre clinique avec son bébé.

Un accompagnateur d’une femme enceinte, à qui nous avons tendu le micro ne dit pas le contraire : « si tu protestes, on (les personnels) va « fatiguer» ta malade ».

Souvent à bout de force, et à mobilité réduite, les vieilles personnes se font souvent réprimander par les infirmières.  » je venais souvent pour mes consultations ici pendant la grossesse. Mais la manière de me recevoir ou de parler, c’est comme si j’avais fait quelque chose à ses infirmières. Il arrive que je me dispute chaudement avec certaines personnes.  Tenez ! Alors que j’étais dans le lit pour mon accouchement, une sage-femme me disait sans vergogne « il ne faut pas nous tympaniser maintenant. Parce-que quand tu cherchais la grossesse on était absent « . À la sortie de la maternité, J’ai porté plainte contre cette sage-femme », explique Mme K M S.

Il s’agit là d’un désintérêt pour la parole des malades, non plus au niveau de la bienséance, mais au niveau de l’interaction thérapeutique. Les soignants (la plupart d’entre eux) non seulement ne sollicitent pas l’expression des plaintes ou la description par le malade de ses symptômes ou de sa douleur, mais souvent les découragent. Le dialogue est le plus souvent réduit à sa plus simple expression : quelques questions brèves et stéréotypées du soignant, qui n’attend que des réponses toutes aussi brèves et stéréotypées du malade. En fait, cette absence d’écoute verbale est souvent corrélée à ce qu’on pourrait appeler une absence d’écoute corporelle, dans la mesure où le toucher, la palpation, l’auscultation sont réduits à la portion congrue, voire inexistante.Absence d’écoute des malades

« On ne te regarde pas, il parle seulement, tu ne comprends pas et puis il donne une ordonnance … Je lui ai dit que le corps de ma fille chauffe, il ne l’a même pas regardée », nous apprend Fanta Coulibaly, venue soigner sa fille de six mois à la maternité de Madina.

On pourrait aussi analyser le « grand désordre» qui caractérise les formalités sanitaires aux heures d’affluence comme une conséquence de l’absence d’écoute, en l’occurrence comme une surdité face aux multiples inconvénients que ce « grand désordre» fait subir aux patients: La prise de poids, de tension et le contrôle d’urine ne sont pas faits selon l’ordre d’arrivée. On assiste dès lors à un désordre dans le rang des femmes. Chacune voulant prendre sa tension, son poids ou se faire vacciner avant l’autre. Cette situation crée des incompréhensions du genre : « cette femme est arrivée longtemps après moi et c’est elle qui prend sa tension d’abord» ou bien « les femmes là (les soignantes) ont encore mélangé les carnets».

Effectif insuffisant et manque de matériels

Face aux plaintes formulées à leur encontre, nous avons échangé avec quelques agents de santé. « Les parents de malades sont libres de dire ce qu’ils veulent. Nous n’avons rien à nous reprocher. Dieu seul connaît les sacrifices que nous consentons au quotidien », nous dit un médecin à l’hôpital Ignace Deen. « Nous sommes en nombre insuffisant par rapport au nombre de malades. Et également confrontés à un manque de matériels. Dans ces conditions, que pouvons-nous faire ? » s’interroge une infirmière de ce même hôpital.

Selon Dr M.B, un chef de service à l’hôpital sino-guinéen, le personnel médical fournirait assez d’efforts. « Beaucoup de malades viennent dans les hôpitaux tardivement et dans des états très critiques. Mais les agents de santé font tout leur possible pour sauver ces vies », dit-il. Et d’ajouter : « Actuellement, nous sommes débordés».

Outre les négligences, il faudrait aussi évoquer l’incompétence, le manque de conscience professionnelle et de déontologie. On devrait rappeler tous les jours aux médecins le serment qu’ils ont prêté, et même leur faire une explication de texte ! Et un certain affairisme qui pousse les médecins du secteur public à préférer se faire de « l’argent de poche » dans les cliniques privées (quand ils ne sont pas eux-mêmes propriétaires d’une telle clinique) et le petit personnel à voler les médicaments des malades pour les revendre à la sauvette dans les couloirs. Bref, tout cela est scandaleux, et malgré les nombreuses constructions et réhabilitations d’établissements de santé qu’on annonce à grand renfort, le système de santé guinéen ne fonctionne pas bien du tout. On est incapable de faire des diagnostics fiables.

Les protocoles opératoires ne sont pas respectés, il faut payer le moindre bout de sparadrap et on fait souvent des opérations qui entrainent des complications infectieuses à n’en plus finir, avec à la clé une débauche d’antibiotiques qui fait le bonheur des pharmaciens et le lit des bactéries résistantes.

Les hôpitaux nationaux sont-ils à fuir ?

 A ce stade de notre analyse, une question nous vient à l’esprit : que peut faire un médecin ou un agent de santé lorsque le plateau technique de l’établissement sanitaire dans lequel il exerce est totalement défaillant ? Ou lorsque les médicaments nécessaires aux soins les plus élémentaires sont inexistants ?

A côté des manquements des personnels hospitaliers, il y a ceux des autorités étatiques qui veulent obtenir des résultats satisfaisants sans y mettre les moyens. Les personnels de santé bien entendu ne travaillent qu’avec ce qu’ils ont. Ici c’est au gouvernement de prendre ses responsabilités afin de les mettre dans les meilleures conditions de travail. Rien n’est fait pour la mise en œuvre de textes juridiques efficaces et durables ayant trait à la pratique médicale. Pour un bon fonctionnement de la médecine, il faut des textes clairs et précis qui situent les uns et les autres sur leurs droits et leurs devoirs. Il faut aussi clarifier le jeu de la responsabilité médicale afin que patients et médecins connaissent les tenants et les aboutissants des actes qu’ils posent. Il faut prévoir et appliquer les sanctions en cas de fautes graves commises par les personnels de santé pour que les patients lorsqu’ils arrivent à l’hôpital se sentent protégés et en sécurité.

Louis Célestin et Sylla Mamadama

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