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Guinée: « La tenue du double scrutin a accéléré  la perdition du RPG », dixit Bah Oury

« Le RPG a vu son histoire complètement souillée ce jour, 22 mars 2020. Sa mémoire est éclaboussée. Et ce parti aura du mal demain à se relever, à construire une alternative. Et c’est comme ça que d’autres partis ont disparu »

Peu après la fermeture des bureaux de vote au compte du double et controversé scrutin législatif et référendaire, le président de l’Union pour la démocratie et le développement  (Udd) a dressé sa lecture de ces consultations qui ont malheureusement occasionné la mort de ses compatriotes auxquels Bah Oury a envoyé une pensée pieuse.

Dans cette interview, l’ancien ministre de la Réconciliation nationale a dégagé son opinion face à une éventuelle alternance politique en cette année électorale de 2020, non sans avouer ne plus reconnaître en Alpha Condé cet opposant historique qui s’est longtemps battu pour l’instauration d’un Etat démocratique respectueux des textes de loi et des droits humains en Guinée. Interview!

Guinéenews : Quelle lecture faites-vous du déroulement du double scrutin tenu ce dimanche 22 mars 2020?

Bah Oury: D’abord, ce qu’on peut dire, d’après les informations recueillies aussi bien à Conakry qu’à l’intérieur du pays, les procédures légales n’ont pas du tout été respectées. Parce que dans certaines villes du pays, c’est dans un camp militaire que les gens ont voté. Pour d’autres, c’est au niveau même de la préfecture où tous les bureaux de vote étaient concentrés. Dans d’autres endroits, des bureaux de vote qui existaient dans certains districts sans aucune information en conformité avec le Code électoral, ont été déplacés pour être placés dans d’autres quartiers, à cinq ou six kilomètres des lieux habituels d’installation du bureau de vote.

Donc, ce sont là quelques aspects que nous avons eus par-ci, par-là, sans compter les bureaux de vote qui ont été systématiquement incendiés ou saccagés sur une bonne partie du territoire national. Donc, la raison aurait commandé de surseoir à l’organisation de ce double scrutin dans des circonstances aussi tendues, aussi conflictuelles. Ceci dit, aujourd’hui, au niveau de Conakry seulement, nous dénombrons, d’après les informations que je viens d’avoir, dix morts, dont une femme du côté de la Cimenterie, qui a été atteinte au niveau de la poitrine, par une balle. Donc, tout cela dénote l’utilisation récurrente et excessive de la violence par des personnes mandatées par les autorités politiques du pays, d’utiliser les armes à feu contre la population. Chose qui est déplorable.

Guinéenews : Vous avez forcément suivi le président Alpha Condé – ne serait-ce qu’à distance – à défaut de le côtoyer. Ceci dit, est-ce que vous reconnaissez en lui cet homme qui a passé près d’un demi siècle de combat pour l’instauration d’un État démocratique respectueux promoteur de l’alternance politique ?

Bah Oury: Vous savez, au-delà de la propre personne, j’ai connu M. Alpha Condé par les activités politiques. Mais, je connais des hommes qui l’ont connu et qui ont éprouvé une réelle amitié pour lui, au-delà des considérations politiques. Aujourd’hui, beaucoup de ces personnes ne retrouvent pas l’ami qu’ils avaient connu par le passé et le compagnon avec lequel ils ont eu en commun un certain patrimoine historique. Donc, ce n’est pas à mon seul niveau : c’est au niveau de beaucoup de gens qui ne le reconnaissent pas.

Et je puis vous dire, il y a quelques jours, des anciens de la FEANF, dont des éminentes personnalités (que je ne citerai pas ici), ont dépêché un de leurs amis et émissaires pour s’entretenir avec le président Alpha Condé pour que celui-ci, de par son attitude, ne ternisse leur image et leur appartenance commune à l’histoire de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France, dont le président Alpha Condé a été pendant longtemps le principal homme d’influence et président de cette organisation.

De par leur histoire, ils auraient souhaité que les anciens de la FEANF ne voient pas leur histoire ternie par un des leurs, qui avait occupé des positions les plus illustres dans cette fédération et qui se comporterait politiquement comme un fossoyeur de la démocratie. Donc, la déception est très grande au-delà de nos frontières et à internationale par rapport à la situation que nous vivons ici en Guinée. Des amitiés se sont brisées et des confiances ont disparu.

Guinéenews : Autant dire qu’on pense autrement au four qu’au moulin…

Bah Oury : De toutes les façons, je pense qu’au-delà du président Alpha Condé, il y a une génération d’hommes politiques qui ont considéré que l’accession au pouvoir par tous les moyens est l’alpha et l’oméga de leur action et de leur raison d’être : accéder au pouvoir par tous les moyens. Je pense que c’est à ce niveau-là qu’il y a un hiatus qui fait qu’à l’épreuve des faits, beaucoup de masques tombent et que la véritable nature des motivations politiques apparaisse.

Il y a des fous pour le pouvoir. Ils ne sont d’autant pas fous pour le pouvoir pour apporter un mieux-être ou le bonheur aux populations ; c’est tout simplement un certain orgueil qui veut qu’il soit le chef, qu’il soit le président, qu’il soit le plus important, qu’ils aient les honneurs, qu’ils bénéficient des privilèges, et peu importe le reste. Je pense que ceci est un avatar assez déplorable qui fait que les gens ont perdu confiance dans l’engagement politique au niveau surtout du continent africain et particulièrement chez nous en Guinée.

Guinéenews : Au terme de ce double scrutin législatif et référendaire qui s’est déroulé ce dimanche 22 mars, croyez-vous en une éventuelle alternance politique au soir du deuxième et dernier mandat constitutionnel du président Alpha Condé?

Bah Oury : Vous savez, l’histoire est bizarre. La quête de la liberté est une donnée naturelle des choses. Ce qui s’est fait, sans s’en rendre compte, le régime a accéléré sa perdition. Il aurait pu survivre, continuer, à travers d’autres personnes, en se passant le relais. Mais là, en termes de légitimité, en termes de justification de l’attitude politique, beaucoup de choses ont été enterrées ce 22 mars 2020. Le RPG a vu son histoire complètement souillée ce jour, 22 mars 2020. Sa mémoire est éclaboussée. Et ce parti aura du mal demain à se relever, à construire une alternative. Et c’est comme ça que d’autres partis ont disparu.

Maintenant, en ce qui concerne le processus politique en lui même, nous rentrons dans une plus vaste zone d’instabilités et d’incertitudes. La perte de légitimité amène ipso facto la perte de l’autorité. Et dans un pays ou un monde de plus en plus violent, il y a le risque d’avoir une fragmentation encore beaucoup plus poussée de la société guinéenne et de la société politique. C’est ce que nous ne voulions pas.

Mais le Rubicon est désormais franchi. Et on espère qu’avec l’aide de Dieu, on ne va pas aller dans le sens d’un État failli comme la République Centrafricaine d’aujourd’hui. Grâce à Dieu, nous avons un corps social et politique plus vaste, plus ouvert, plus soudé et plus porté vers des questions d’avenir.

Par ce biais-là, nous pourrons limiter les dégâts qui sont en train d’être commis par ceux qui occupent aujourd’hui le pouvoir et qui, dans une certaine mesure, parce que ce n’est pas laseule personne : c’est une équipe, c’est presqu’une génération politique. Depuis la décennie 2000, ils sont en train de mener le pays à la ruine. Et j’espère que ce dernier acte  politique sera le dernier dans l’affaissement de la Guinée.

Guinéenews : Monsieur Bah Oury face au président Alpha Condé pour le conseiller. Quel message seriez-vous porteur devant le locataire de Sèkhoutouréya? 

Bah Oury : Vous savez, on a tout essayé. On l’avait prévenu. On a utilisé des canaux les plus divers pour que les messages soient bien compris, bien interprétés. On a utilisé la voie médiatique ouverte, publique, pour interpeller ceux qui sont autour de lui et lui-même, pour ne pas aller dans cette direction. Il n’en a pas tenu compte. Maintenant, c’est une page, de ce point de vue, qui est tournée. Il faut maintenant envisager la suite avec d’autres appréciations et d’autres paramètres politiques. On ne peut pas continuer à conseiller quelqu’un qui ne veut pas être conseillé et qui applique une politique de fuite en avant. Et comme on le dit en latin, alea jacta es, qui signifie ainsi soit-il.

Interview réalisée par Mady Bangoura

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