Pour des forces de défense et de sécurité qui cherchent une raison d’être et une jeunesse désabusée, rongée par la malédiction du chômage, l’extrême violence est devenue un exutoire à bon marché. Du moins, dans un pays où le pouvoir politique a fait de l’abus de l’autorité la modalité première de la gouvernance, la violence devient le seul arbitre capable de trancher les conflits sociaux. C’est ce constat qui s’impose à la lumière de la tragédie qui a lieu actuellement à N’zérékoré : on aurait enregistré, selon des sources locales, une vingtaine de morts.
À lire aussi
Au-delà de la réalité des chiffres cependant, il importe de dire que le « commerce de la violence », nourri par une instrumentalisation politique des passions ethniques et communautaires, est devenu une normalité des stratégies et des pratiques du politique : il devient impossible de manifester et de revendiquer son mécontentement sans tuer ou se faire tuer. Comme si l’action politique et le droit de tuer devenaient intimement liés dans une logique générale qui appelle à la domination du plus fort. Comment expliquer cette normalisation politique et sociale de la violence sinon par la banalisation tout court de l’acte de tuer. Qu’est-ce qui explique surtout l’attitude légère et complaisante des autorités politiques devant cette facilité à piller les biens personnels des autres et surtout à s’en prendre brutalement à leurs vies ? Les différentes manières de faire la politique auraient-elles entraînées une désacralisation de la vie en Guinée ? Dans un contexte politique qui a rendu insignifiant l’humanité de l’homme, la violence et le droit de tuer ne deviennent-ils pas les seuls moyens de résister et donc de se prémunir contre la domination de l’autre ?
N’zérékoré et d’autres évènements tragiques qui ont marqué les élections du 22 mars sont le témoignage non pas d’une faillite de l’État, mais de la manière dont celui-ci fonctionne, à savoir une démission devant la responsabilité d’assurer la sécurité des individus et de leur intégrité physique. À quoi sert en effet un ministère de la sécurité et de la protection civile, si dans la grande majorité du pays, c’est le ressentiment de la jeunesse ou des communautés locales qui fait la loi ? Cette crise politique prolongée par le double scrutin du 22 mars impose une réflexion collective sur la manière dont les Guinéens entendent se traiter mutuellement. Car, la démission des autorités politiques ne devrait pas empêcher les populations, quant à elles, de s’imposer des limites dans leurs manières de vivre et d’agir. Surtout que les populations, toutes ethniques confondues, sont celles qui subissent en réalité les conséquences négatives de la mal gouvernance en Guinée : la misère est commune à la grande majorité des Guinéens. Pourquoi alors tomber dans le piège d’un jeu politique national qui, depuis longtemps, joue la carte de l’indifférence sociale et humaine ? Devant la démission assumée des autorités politiques, ne faudrait-il pas inventer de nouvelles solidarités capables d’ériger des barrières contre ces injustices et ces inégalités qui abîment tant de vies en Guinée. Qu’aurons-nous à gagner dans ce commerce de la violence entretenu par des entrepreneurs politiques désireux, contre toute logique humaine, de conserver leurs privilèges ? Rien de plus que de transformer le pays en un lieu où règne la pure terreur de la volonté et des désirs.