Les manifestations sociopolitiques en cours, résultant d’un bras de fer entre les autorités de transition d’un côté et les organisations de la société civile (OSC) ainsi que les coalitions politiques, regroupées au sein des Forces vives de Guinée (FVG) de l’autre, ont-elles des conséquences sur l’économie guinéenne ? C’est une question légitime que l’on peut se poser. Afin d’obtenir des réponses précises, Guinéenews a tenté d’interroger les premiers concernés, à savoir les hommes d’affaires.
Prendre la parole sur ce genre de sujet n’est pas courant dans le monde des affaires, surtout en cette période exceptionnelle. Par conséquent, il n’a pas été facile de trouver des interlocuteurs prêts à aborder cette question. Par exemple, du côté de la Chambre de Commerce, d’Industrie et d’Artisanat de Guinée (CCIAG), le silence règne. Malgré nos multiples tentatives, étalées sur plusieurs jours et auprès de divers interlocuteurs, nos efforts sont restés vains. Personne n’a osé prendre la parole…
Quand l’interlocuteur se sent protégé
D’autres ont accepté de s’exprimer ailleurs, mais visiblement avec prudence. Sous couvert d’anonymat, un proche du patronat réunifié a accepté de nous décrire la réalité quotidienne des entreprises guinéennes en cette période de crise sociopolitique.
« L’acheminement du matériel de Conakry vers l’intérieur du pays doit être retardé. Nous devons tenir compte de l’instabilité. Car, nous sommes souvent menacés. Nos chauffeurs font de leur mieux pour se mettre à l’abri, par exemple en se réfugiant en brousse. Cela retarde nos activités et augmente les risques », confie-t-il avec un ton plaintif.
Dans le même contexte, notre source ajoute : « nous avons également des partenaires financiers à l’étranger. Avec tout ce qui se passe, ce sont des personnes bien informées, qui lisent nos sites et recueillent différentes informations sur la situation en Guinée bien plus que nous, les Guinéens. Dès qu’ils voient des manifestations, ils hésitent à investir dans nos projets, car ils estiment que le pays n’est pas stable. Cela crée donc des problèmes et nécessite de nombreuses négociations et discussions pour convaincre et rassurer les gens. Pour être honnête, cela ne profite ni au pays, ni aux hommes d’affaires, en particulier ces derniers. »
Ce n’est pas tout. Notre interlocuteur enchaine en déclarant : « lors des réunions d’affaires que j’ai eues hier, on me posait des questions sur ma perception de mon pays et de son avenir. Ils le font par politesse, bien sûr, mais en réalité, ils cherchent à savoir si nous sommes prêts à prendre le risque d’investir en Guinée…’’
Les opérateurs économiques guinéens sont fréquemment interpellés à l’étranger aussi bien par des partenaires que des compatriotes qu’ils rencontrent.
D’ailleurs, s’alarme-t-il, « parmi les Guinéens, il y en a qui vous disent que c’est foutu lorsque vous leur parlez. Même s’il y en a parmi eux qui apprécient les mesures prises par le pouvoir actuel ».
En revanche, dans le secteur minier, c’est le président de la Chambre des Mines de Guinée, Ismaël Diakité, qui a accepté de s’exprimer sur le sujet. M. Diakité, qui parle à visage découvert, ne se montre pas particulièrement préoccupé par l’impact des mouvements sociopolitiques dans les mines, même s’il en est conscient. En tout cas, « ce n’est pas une question à l’ordre du jour de nos discussions », précise-t-il en entamant sa réponse lors de la récente réunion du conseil d’administration de la fédération qu’il préside.
« Mais nous abordons ces questions lors de sessions particulières du bureau exécutif », concède-t-il. Et il commente : « ce qui est sûr, c’est que dans notre analyse des différents risques liés à nos opérations, le contexte sociopolitique compte. Nous sommes donc exposés de plusieurs manières, que ce soit nos équipements, nos opérations ou nos horaires de travail. Des discussions spécifiques sont donc menées dans le but de contenir certains effets des mouvements sociaux, pas seulement sociopolitiques, mais aussi sociaux qui peuvent se produire dans notre secteur ».
Poursuivant, M. Diakité insiste en s’appuyant sur son expérience : « l’activité minière ne peut pas se faire sans mouvements sociaux, en raison de nos employés, des communautés et du contexte général. Cela fait donc partie de nos calculs et pour nous, c’est ordinaire, c’est très courant. Car, dans la gestion des risques liés aux investissements, nous prenons toujours en compte ces différents éléments ».
Cela signifie en quelque sorte que les secteurs sont affectés différemment, en fonction de l’exercice dans le secteur minier, notamment la bauxite, dont la majeure partie des activités se déroule loin des grandes agglomérations, ou dans d’autres domaines plus directement touchés par les manifestations politiques.