Dans un récent entretien accordé à Guineenews©, le président du Parti des Démocrates pour l’Espoir (PADES), Dr Ousmane Kaba, qui a été ministre de l’Economie et en sa qualité de d’expert en macroéconomie, ne s’est pas privé de porter un regard critique sur la gouvernance économique et financière actuelle de la Guinée. Nous vous en proposons plutôt un extrait dans cet entretien. Lisez !
« Lorsqu’on parle de la situation économique d’un pays, il y a des variables très précises. La croissance économique, l’augmentation du revenu, l’inflation, le financement des infrastructures, quels sont les secteurs porteurs de croissance, etc. A voir le cas de la Guinée, il faut dire que la Guinée est classée parmi les pays les plus pauvres de la planète. Il est important qu’on ait ce repère-là…Oui, c’est encore le cas. Il y a eu une certaine croissance économique en 2016-2017. Mais cette croissance était basée sur l’entrée en production de certaines unités bauxitiques…
…C’est une croissance qui n’augmente pas le revenu du Guinéen. Cela mérite d’être connu. La richesse qui a été créée n’appartient pas aux Guinéens. Sur le plan technique, la croissance est calculée ici en termes de produit intérieur brut. Alors que qu’elle doit être calculée en termes de produit national brut. Le produit intérieur brut est un concept géographique de richesse créée dans le pays. Mais c’est une richesse qui n’appartient pas aux Guinéens. C’est très important de le dire parce que je vois souvent les gens du gouvernement qui disent que nous avons eu une croissance très forte de près de 8% en 2017. Mais tout le monde constate que ça n’impacte pas le revenu du Guinéen. La raison est toute simple. Le concept de croissance tel que c’est fait dans nos pays, c’est le concept de PIB (produit intérieur brut). C’est la richesse créée dans un espace géographique. Ça ne signifie pas que c’est une richesse qui va dans la poche des Guinéens. Pour savoir ce qui va dans la poche des Guinéens, on s’intéresse au nombre d’emplois créés et à la fiscalité payée dans le budget de l’Etat. Voilà deux voies très simples pour le savoir. Concernant l’emploi créé il y en a très peu. Il n’y a que les emplois de chauffeurs, parce que c’est la terre brute qui est transportée. Il n’y a pas de transformation sur place. On n’a pas créé d’usines d’alumine. Cela veut dire que nous continuons le pacte colonial de matières premières. Sans aucune possibilité d’industrialisation qui, elle, crée de l’emploi… Laissez les annonces, je parle de la réalité économique. Les seuls emplois créés dans la région de Boké ce sont les emplois de chauffeurs. Je défie n’importe qui. Il n’y a même pas d’investissement comme à CBG (compagnies de bauxites de Guinée) parce que la CBG au moins assèche la bauxite. Mais ce n’est pas le cas des autres. C’est la terre rouge qu’on prend. Sans même un processus d’extraction d’eau, on met dans les camions pour envoyer dans les bateaux pour l’extérieur. Donc les seuls emplois créés, c’est les emplois de chauffeurs et ceux des machines qui viennent prendre la terre rouge… Par contre pour faire ça, il a fallu déplacer des dizaines de villages. Donc tu as des milliers de gens qui tombent dans la pauvreté à cause de ce déplacement car les terres cultivables se ratifient, les cours d’eau sont asséchés, la poussière entre dans le poumon des habitants de la zone de Boké. Donc en termes de dégradation de la nature, en termes d’environnement et de coût financier, c’est énorme. Quand les économistes professionnels font une évaluation de l’impact, il faut mettre dans la balance les quelques emplois de chauffeurs de camions et les milliers de paysans qui tombent dans la pauvreté. Et en réalité on se rend compte qu’il n’y a pas de création massive d’emplois qui généreraient des revenus qui permettraient d’augmenter le niveau de vie. Ça c’est un pan du problème. L’autre concerne ce qui est payé au niveau de la fiscalité. Regardez le budget 2019, vous verrez que la contribution fiscale est extrêmement faible. Ça dépasse à peine 50 millions de dollars. Alors que par ailleurs, la production de bauxite est passée de 18 millions à près de 60 millions de tonnes. Presque quatre fois plus. Toutes propositions gardées on aurait pu avoir quatre fois le revenu dans la contribution budgétaire. Ce qui est loin d’être le cas. Ça veut dire qu’on massacre la nature en Guinée pour pratiquement rien. Et la fiscalité qui devait être payée à l’Etat est détournée. C’est ce qui explique que certaines personnes à la présidence (de la République ndlr) ont des centaines de camions aujourd’hui. Voilà l’impact de la corruption. Conséquence, le gouvernement guinéen est incapable de financer même la route Conakry-Kindia. Je l’ai résumé en tant qu’économique professionnel en disant que la bauxite ne développe pas la Guinée. »
Propos recueillis par Thierno Souleymane Diallo