En s’autoproclamant vainqueur de l’élection présidentielle du 18 octobre 2020, Cellou Dalein Diallo vient de donner le coup d’envoi de la crise postélectorale tant attendue. Non seulement ce geste – qui rappelle celui de Alpha Condé au second tour de l’élection présidentielle de 2010- met de la pression sur une Ceni dont la neutralité est mise en cause par l’opposition ; mais plus important, cette sortie du candidat de l’UFDG complique sérieusement la reconduction de Alpha Condé pour un troisième mandat et accentue le risque de violences extrêmes, qui ne seraient pas sans conséquence sur l’avenir politique de Dalein. Si la stratégie qui consiste à s’autoproclamer vainqueur peut être payante pour mettre fin au troisième mandat, en l’état actuel des rapports de force, il y a aussi de chances qu’elle se retourne contre Cellou Dalein Diallo. À court terme, le vainqueur de cette élection sera d’emblée un perdant, du moins si la situation devient explosive et que les considérations ethniques alimentent la violence en lien aux résultats officiels du vote.
Politiquement, le geste de Dalein place sous le signe de la contestation et de la conflictualité les décisions à venir de la Ceni au cas où celle-ci venait à proclamer Alpha Condé vainqueur. C’est un geste de défiance qui s’explique par le soupçon de partialité qui pèse sur la Ceni et la subordination de la Cour constitutionnelle au pouvoir exécutif : l’opposition guinéenne, et l’UFDG en particulier, n’accorde aucune crédibilité aux institutions politiques et juridiques. Dans cette atmosphère de méfiance généralisée, qui arbitrera en Cellou Dalein Diallo (qui s’est autoproclamé vainqueur) et Alpha Condé (qui pourrait être proclamé vainqueur) ? Au niveau national, ce sera l’armée ou la violence. Or cette situation n’est pas favorable à Alpha Condé, en ce sens qu’une répression militaire l’isolerait définitivement de la scène sous régionale et internationale. De même, ses ministres, dont certains ont une nationalité américaine ou européenne, pourraient s’exposer à de lourdes sanctions si les ONG et les Guinéens de la diaspora faisaient pression sur les gouvernements des pays concernés. On sait d’emblée que l’Europe et les États-Unis ne sont pas favorables à un troisième mandat. Quant aux relations entre Alpha Condé et la CEDEAO, elles demeurent acrimonieuses. À la lumière de l’insatisfaction populaire et un environnement international défavorable, on peut dire que le geste de Cellou Dalein Diallo aura pour effet de rendre non effective la possibilité d’un troisième mandat. Sans un soutien indéfectible de l’armée et une volonté ferme de réprimer les contestations, Alpha Condé ne pourra pas tenir le coup que vient de lui asséner la stratégie de Dalein.
Toutefois, la stratégie de l’UFDG pourrait être à long terme défavorable à son chef. Si le pouvoir décide de recourir à la répression militaire, et que les soutiens de Alpha Condé, par crainte de perdre les privilèges liés à la proximité du pouvoir, le forcent à ne pas céder, il en découlera nécessairement un drame humain et social. Ce sera un conflit de plus dans une sous-région ouest-africaine déjà fortement déstabilisée par les violences terrorises au Sahel. Sur le plan géo politique, ce serait une situation intenable pour la France et l’Europe confrontée à une pression migratoire. Or, à moins d’un renversement de situation, une médiation étrangère risque de prendre la forme d’une mise en place d’un gouvernement de transition ou d’unité nationale. Une proposition qui a des échos chez certains leaders de l’opposition guinéenne et des anciens ministres. Dans cette perspective, la victoire revendiquée de Dalein se verra noyer dans la problématique plus large d’un dialogue ou d’une réconciliation nationale. Il se peut donc que la stratégie de Dalein réussisse à sauver la Guinée d’un troisième mandat, mais qu’elle se traduise par une impossibilité d’accéder à la fonction présidentielle.