Après un demi-siècle de régime politique totalitaire et autoritaire, l’espoir était permis que la première élection démocratique de 2010 puisse enfin consacrer l’avènement d’une société juste et égalitaire. Mais après dix ans de gouvernance de ce premier régime démocratique élu, force est de constater que les pratiques de la gouvernance ne se sont pas affranchies des catégories de la domination et de l’arbitraire : l’exercice du pouvoir demeure encore sous l’autorité des personnes et non des institutions.
Surtout, on aurait pu croire que l’expérience du président Alpha Condé comme opposant au régime autoritaire de Lansana Conté et l’épreuve inoubliable de la prison nourriraient en lui le désir d’une Guinée différente, en rupture totale avec les modalités archaïques et personnalisées de la gouvernance, marquant ainsi la naissance d’une société où être humain aurait un sens. L’espoir était permis, enfin, que l’opposant qu’il fut portât en lui une authentique volonté du changement. Et donc qu’une fois porté au pouvoir, il travaillerait dans un esprit de fidélité à l’idéal de renouveau qui animait son combat en tant qu’opposant. Mais la réalité est là : la condition des Guinéens n’a pas changé et le système politique demeure fidèle à la logique autoritaire. Pire, l’alternance au pouvoir demeure encore, soixante ans après les indépendances, un problème structurel et irrésolu. Ce qui dit beaucoup de l’échec moral et politique des acteurs politiques, de manière plus large.
Mais acceptons un instant qu’il soit dans les prérogativesdu président de faire adopter une nouvelle constitution pour remplacer celle adoptée en mai 2010. La question ne sera même pas de savoir pourquoi le faire à l’approche des élections de 2020. Il faut se demander plutôt : si le bilan des deux mandats donne la crédibilité de soumettre la « constitution » actuelle a un référendum ? Mais allons plus loin : dans un contexte politique informel et dominé par l’impuissance du droit, quel est l’intérêt de soumettre à un référendum une constitution qui n’a jamais eu d’effet réel sur la vie des populations? Surtout, qu’est-ce qu’un référendum dans un pays où les populations ont été dépouillées de leur pouvoir décisionnel ? Où, politiquement dit, le peuple n’existe pas ?
Il est vrai que beaucoup d’hôtels ont été construitssous la présidence d’Alpha Condé. Mais de quelle utilité ceux-ci ont été aux populations guinéennes, à la grande majorité qui lutte quotidiennement avec la vie : ces femmes qui accouchent dans des maternités semblables à des abattoirs, de ces Guinéens sacrifiés par un système d’éducation transformé en marché d’ignorance où la maximisation du profit s’est substituée à l’idéal de l’instruction et du savoir, de ces personnes qui ne reçoivent un service dit public qu’au prix d’humiliations, d’injures et d’extorsion, de ceux qui, parce qu’ils sont pauvres ou loin des réseaux du pouvoir, voient leurs vies être abimées sous l’effet des injustices et des inégalités. Pour dire que la condition humaine s’est améliorée depuis dix ans en Guinée, il faut être un homme du pouvoir, c’est-à-dire donc ne rien connaître des situations de misère auxquelles est confronté le commun des mortels. Mais alors, comment expliquer un tel acharnement pour une nouvelle constitution ? Pourquoi investir énergie et argent dans un projet qui de toute façon n’apportera rien aux populations ? Pourquoi prendre le risque de l’instabilité et de la violence ?
Le président et le gouvernement actuel auraient pu marquer une entrée triomphale en écrivant une nouvelle histoire politique de la Guinée, en rompant avec un système de gouvernance intoxiqué par la confiscation du pouvoir. Malheureusement, le président a marché sous l’ombre de ses prédécesseurs. Et quant aux ministres de l’actuelrégime, esclaves de leurs privilèges et qui se rendent coupables par leur silence, il reviendra à l’histoire de les juger.