Human Rights Watch (HRW) a publié jeudi 4 octobre une étude intitulée « Quels bénéfices en tirons-nous ? Impact de l’exploitation de la bauxite sur les droits humains en Guinée ». HRW apporte un éclairage sur l’impact social et environnemental des activités minières dans la région de Boké.
Deux entreprises de la région sont plus particulièrement ciblées : l’acteur historique Compagnie des bauxites de Guinée (CBG) et la Société minière de Boké (SMB), qui s’est implantée en Guinée plus récemment, en 2015.
Frédéric Bouzigues, Directeur général de la SMB, a accepté de répondre à nos questions.
Guineenews : La SMB fait l’objet de plusieurs critiques dans l’étude de Human Rights Watch. Que pensez-vous de cette enquête ?
Frédéric Bouzigues : Nous avons beaucoup apprécié l’approche ouverte et constructive des enquêteurs de Human Rights Watch. C’est un travail sérieux et documenté avec une véritable volonté de dialogue avec les opérateurs. Certaines méthodes d’enquête présentent néanmoins quelques faiblesses par exemple dans les mesures ou les échantillons retenus. On constate également que l’étude se base souvent sur des témoignages simplistes.
De plus, HRW donne l’impression de mettre le doigt sur des problèmes ou des insuffisances que nous n’aurions pas identifiés. Or la plupart des points soulevés dans l’étude font l’objet d’actions correctives depuis assez longtemps, certaines apportant des résultats probants depuis 2018 qui ne sont pas pris en compte dans l’étude. Ensuite, l’étude est organisée de telle manière que nous avons d’un côté des témoignages individuels à charge, se rapportant souvent à des situations anciennes, puis dans un deuxième temps, les réponses des opérateurs. Il vaut mieux un suivi dans le temps de ce type d’études pour déterminer si oui ou non les sociétés minières font la sourde oreille ou bien sont dans un processus d’amélioration continue, etc.
Notons pour conclure que la SMB a fait depuis plusieurs mois appel à des sociétés réputées telles que Louis Berger et SEES pour travailler sur la remise à plat de ses différents plans de gestion environnemental et social, accompagnée d’un calendrier de mesures, de suivi et d’éventuelles actions correctives.
Guineenews : Quels exemples de manque de rigueur soulevez-vous en particulier ?
Frédéric Bouzigues : Difficile de répondre. L’impression qui se dégage du recours systématique aux témoignages individuels, souvent anonymes, laisse un peu perplexe. On ignore les méthodes d’interview et d’échantillonnage de divers témoins ou habitants de la région de Boké. Je crois que cela ne permet pas de refléter l’opinion globale des habitants de la zone.
Il semble que les enquêteurs se fondent sur le ressenti des habitants. On a naturellement tendance à aller dans leur sens sans recourir nécessairement sur tous les points soulevés à l’avis d’experts des questions de santé ou d’environnement. Le contradictoire est nécessaire.
Malgré le sérieux dont elle se prévaut, l’étude de HRW s’apparente donc souvent plus à un travail d’enquête journalistique sur la perception des habitants, avec un parti pris de départ, qu’à une étude suffisamment rigoureuse qui donnerait des clés aux opérateurs.
Guineenews : Pensez-vous que les activités minières sont positives pour la région ?
Frédéric Bouzigues : Il ne fait aucun doute que la Guinée doit développer son potentiel minier. Elle recèle des ressources dont la valorisation peut l’aider à construire son futur. La problématique minière est bien connue : l’exploitation de ressources naturelles est limitée. Il faut donc que les revenus tirés de cette richesse soient réinvestis dans un objectif de long terme. Toute la question reste de mettre en œuvre les politiques de contenu local, de développement social et communautaire, de protection de l’environnement et de réhabilitation qui permettront de préparer l’après minier, dans une approche de développement territorial.
Pour en revenir à l’étude HRW, mesurer l’impact de l’activité minière dans une région ne peut se limiter à des témoignages d’habitants, mécontents ou heureux du déroulé des événements. Une mise en perspective avec le développement de la région, le nombre d’emplois créés, les transferts de compétences et de technologie est indispensable pour avoir une vue exhaustive et objective du sujet.
La SMB espère que le débat actuel permettra de faire émerger des solutions constructives, avec l’appui de tous, ONG, communautés locales, gouvernement et acteurs industriels.
En attendant, nous continuons à travailler sur de nombreux projets ambitieux à court et moyen terme. Tout d’abord pour impulser l’industrialisation du pays en construisant une voie de chemin de fer et une raffinerie. Ensuite en préparant l’après-mine avec la mise en œuvre de projets agro-industriels le long de cette voie ferrée, qui permettra en outre de désenclaver toute la région agricole de Boffa. C’est aussi en s’inscrivant dans une démarche de territoire sur le long terme que la mine peut déboucher sur le développement économique.
Guineenews : L’étude soulève des problèmes qui paraissent graves, comme la perte des terres et des moyens de subsistance, avec un problème sur les compensations versées, notamment en matière d’accompagnement…
Frédéric Bouzigues : Nous avons mis en place un cadre de compensation afin de garantir le respect des droits des communautés. En outre, la SMB possède en bonne et due forme des contrats d’exploitation délivrés légalement par l’État guinéen et travaille au niveau local, avec l’appui de son département des relations communautaires, à ce que les droits fonciers coutumiers des individus et des communautés soient reconnus. Pour cela, un cadre de compensation a été mis en place afin de garantir le respect de ses droits.
Nous tenons à souligner trois éléments qui illustrent l’exemplarité de la SMB en la matière : à ce jour, il n’y a eu aucun déplacement de population sur les terrains des permis d’exploitation de la SMB. Et notre objectif est que cela n’ait jamais lieu.
À ce jour, aucune personne impactée par les permis n’avait de titre foncier régulier, uniquement des droits d’usage attribués par le chef de lignage ou le chef de famille que la SMB s’attache à prendre en compte au vu de la réelle problématique du cadastre en Guinée. Enfin, en collaboration avec notre département des relations communautaires, les indemnisations sont versées soit à l’usager reconnu par le droit d’usage individuel, soit au représentant communautaire reconnu comme tel par la communauté.
La SMB s’engage systématiquement à proposer un accompagnement aux personnes touchant une compensation (par chèque), et, si elles l’acceptent, à leur fournir une assistance. Nous sommes conscients que ces sommes d’argents représentent des montants très importants et peuvent déstabiliser soudainement l’équilibre budgétaire de certains foyers et villages. Nous proposons des alternatives avec SEES dans le cadre d’activités génératrices de revenu (AGR).
Guineenews : On vous accuse de favoriser les hommes ou bien d’avoir créé les conditions de migrations tragiques vers l’Europe à travers la Libye…
Frédéric Bouzigues : Avec tout notre respect pour HRW, c’est une contre vérité incroyable. C’est exactement le contraire : seul le développement économique peut contrer les volontés d’émigration.
J’ai été choqué de lire qu’on nous accuse de favoriser indirectement l’émigration. Je crois au contraire que le développement économique permis par les activités minières est l’une des clés de long terme contre l’émigration et les drames qu’elle engendre. Je suis certain que si les sociétés minières n’étaient pas là, les jeunes de Boké partiraient encore plus nombreux. On ne peut nous tenir responsables de mouvements migratoires dont les racines et les motivations sont infiniment complexes.
L’Organisation internationale pour les migrations, en accord avec l’Union européenne, recommande notamment de s’attaquer aux causes profondes de la migration économique, y compris les effets de la dégradation de l’environnement, en promouvant le développement communautaire et en renforçant la capacité des gouvernements à cibler les mesures de développement de manière plus stratégique. C’est exactement ce que nous cherchons à mettre en œuvre à Boké.
En ce qui concerne la situation des femmes, le consortium indemnise les usagers effectifs des parcelles (homme et/ou femmes), et à ce titre, les femmes reçoivent directement le montant de l’indemnisation les concernant. Nous avons mis en place des projets et partenariats leur permettant d’être pleinement intégrées à l’activité économique.
Guineenews : Certains problèmes graves comme l’accès réduit aux ressources en eau sont pointés du doigt par HRW. Les habitants se plaignent de la dégradation de la qualité des eaux des rivières par exemple.
Frédéric Bouzigues : Le Projet n’est pas consommateur d’eau, et notre arrosage de routes deviendra marginal avec les actions de pavage et d’utilisation de stabilisateur tels que prévus. HRW rapporte que les habitants d’une douzaine de villages ont déclaré que les sources d’eau potable se tarissent. Il y a une centaine de villages autour du projet, et apparemment il y aurait 2 à 3 villages impactés. Nous sommes engagés avec tous les villages pour apporter une réponse individuelle à leurs problématiques, y compris l’accès à l’eau. Enfin, HRW admet elle-même que l’absence de données publiques empêche de réellement évaluer l’impact de l’activité minière sur les cours d’eau.
Nous sommes extrêmement conscients de la nécessité de nous engager toujours plus sur la question de l’eau. Ainsi, nous avons engagé la société guinéenne SEES pour procéder à un Suivi & Evaluation (S&E) environnemental et social. Le S&E inclut également les aspects économiques et sociaux, et les premiers résultats complets sont prévus en octobre. L’étude collecte des données sur plusieurs mois avant analyse et synthèse.
Guineenews : Reste la question de la qualité de l’air dont les habitants se plaignent beaucoup. Il est fat mention de poussière rouge due à l’extraction et au transport du minerai qui affecte la santé des habitants proches des zones d’exploitation.
Frédéric Bouzigues : Nous sommes étonnés et nous allons nous en expliquer. Il est fait mention par des habitants de la zone de problèmes de santé liés à la poussière. Outre que ces diagnostics ne sont pas formulés par des médecins seuls aptes à déterminer la réalité d’une maladie et de ses causes, le constat repose là encore sur des mesures prises par d’autres et de manière très ponctuelle par le BGEEE.
HRW concède d’ailleurs que les médecins et responsables sanitaires interrogés ont tous déclaré qu’en l’absence d’indicateurs de surveillance officiels de la qualité de l’air fournis par les sociétés minières ou de statistiques sanitaires fiables, il était impossible de tirer des conclusions définitives sur les liens entre l’exploitation des mines et les maladies respiratoires.
HRW reconnait aussi que la SMB a réduit de manière significative les niveaux d’émission de poussière sur ses routes minières pendant la saison sèche de 2018, en procédant plus fréquemment à l’arrosage de ses routes.
Nous avons pris des mesures drastiques. Cela commence par des mesures rigoureuses et systématiques sur le long terme. Le cabinet international Louis Berger et le cabinet SEES avec qui nous travaillons effectuent des relevés qui prouvent que les mesures correctives prises par la SMB depuis plusieurs années déjà Ces relevés ont montré des taux moyens de particules fines PM 10 et PM 2.5, très inférieurs aux normes de l’OMS. Nous sommes même en train d’expérimenter le surfaçage par une enzyme qui pourrait stopper le soulèvement de poussière.
Aujourd’hui, une flotte d’une centaine de camions citernes tournent en permanence sur les routes minières afin de les arroser, évitant ainsi d’importantes émissions de poussière à proximité des routes.
Nous allons même plus loin puisqu’en parallèle, le S&E d’impact effectue tous les six mois une enquête exhaustive (tous les villages impactés) portant sur les différentes nuisances possibles (qualité de l’eau, poussières, bruit). Pour les villages se plaignant des niveaux de poussières, un suivi mensuel de mesures de concentration de matières particulaires diurne et nocturne dans et autour des villages est réalisé. La finalité étant de vérifier si ces plaintes sont justifiées ou non et, si elles sont justifiées, de prendre des mesures correctives (arrosage des pistes, diminution de la vitesse des camions, travail de nuit limité etc…).
Propos recueillis par Amadou Tham Camara