La magouille sous toutes ses formes et des manquements graves sont de plus en plus légions dans le processus de recrutement des fonctionnaires au sein de l’administration publique. Plusieurs cadres notamment Souleymane Camara, Fodé Soumah, Aïssatou Soumah, Fanta Traoré… réunis dans un collectif dirigé par Jean-Pierre Koly Goepogui, ont contacté Guinéenews pour dénoncer ce qu’ils considèrent à tort ou à raison comme une « injustice flagrante » orchestrée par des cadres véreux tapis dans l’appareil de l’administration publique à leur égard.
Ils avaient dans leurs escarcelles des documents à charge en l’occurrence des récapitulatifs de leurs bulletins de paie respectifs et qui ‘’indiquent’’ que leurs salaires sont bel et bien payés. Mais à qui ? En tout cas pas aux ayants-droit qu’ils représentent. Pour eux, il n’y a l’ombre d’aucun doute, ces personnes qui leur ont été frauduleusement substitués, perçoivent indûment leurs salaires depuis le mois de juillet 2017.
Comment ces fraudes ont-elles été menées ?
Selon les témoignages recueillis auprès des personnes qui se disent victimes, ce sont leurs filiations qui ont été simplement changées par des cadres de la Fonction Publique au profit de ces ‘’usurpateurs’’.
Pour être donc rétablis dans leurs droits, ces victimes ont commis un avocat du nom de Me. Zézé Kalivogui pour leur défense. Ainsi donc saisi du dossier, celui-ci a immédiatement adressé des courriers datés respectivement du 24 octobre, 23 novembre et 7 décembre 2018 aux ministres du Budget, de la Fonction Publique ainsi qu’au Premier ministre. Afin d’obtenir une décision officielle qui devait geler les salaires des nouveaux fonctionnaires concernés en attendant que la situation ne soit clarifiée.
A en croire le président dudit collectif, tous leurs courriers sont restés sans réponse en dépit de la gravité de l’acte posé par certains cadres de l’administration. « Les salaires continuent à être payés à des tierces personnes », a accusé M. Koépogui qui précise également que son avocat avait adressé une autre lettre d’information à l’Agent Judiciaire de l’Etat.
Dans cette même lettre dont nous avons reçu copie, l’avocat M. Zézé a porté plainte contre Madame Titi Kamano, ancienne Directrice de la gestion des carrières au ministère de la Fonction Publique, messieurs Djoumé Camara, Inspecteur général adjoint de l’Inspection Générale de l’Administration Publique (IGAP), Daouda Camara, le chef de Pool IGAP, Eugène Falikou Yomalo, l’Inspecteur général IGAP, Mohamed Traoré chef de cabinet du ministère de la Fonction Publique et autres. Comme cela est indiqué un document enregistré sous le numéro 171 et signé le 7 mars 2019 des mains du Procureur général près le tribunal de première instance de Kaloum.
C’est suite à cette plainte que le Procureur de la République a, suivant courrier No 163 du 8 avril 2019, saisi le commissariat central de Kaloum pour enquêtes. Ainsi le commissaire central a envoyé des convocations aux suspects et, c’est seulement à partir de là que Me. Zézé a reçu le courrier No 382 du 13 mai 2019 du ministre de la Fonction Publique l’informant de l’effectivité de l’engagement de ses clients.
Désespéré, Fodé Soumah, nouveau fonctionnaire de l’Etat recruté au compte du ministère de l’Environnement, des Eaux et Forêts depuis le 18 juillet 2017, confie : « depuis ce jour, nous n’avons encore perçu aucun centime sur nos salaires. Et malgré nos démarches, ce sont des tierces personnes qui continuent de prendre indûment nos salaires à notre place. Quand nous avons réclamé nos salaires, une équipe a été mise en place par le ministère de la Fonction Publique pour régulariser la situation des retardataires. Et puis, nous n’avons rien vu venir pour nous rétablir dans nos droits. »
C’est le même son de cloche chez Fanta Traoré, un des membres de ce collectif de fonctionnaires ayant des matricules et qui ne perçoivent aucun salaire. « J’étais en état de famille quand je menais mes démarches. Mon numéro matricule a été affecté à une autre personne qui bénéficie de mon salaire depuis juillet 2017. Je ne sais pas où me plaindre », se lamente-t-elle.
Quant à Souleymane Camara, également nouveau fonctionnaire, il renchérit : « nos matricules ont été publiés depuis juillet 2017 comme nouveaux fonctionnaires. Quand j’ai été voir Madame Titi Kamano, ancienne Directrice de la gestion des carrières de la Fonction Publique, elle m’a renvoyé à l’IGAP chez un certain Daouda Camara pour que ce dernier m’aide. Ils ne font que nous renvoyer vers les banques. Nous ne comptons que sur l’aide de notre avocat pour recouvrer nos salaires… »
La fuite en avant des cadres du ministère de la Fonction Publique
Au ministère de la Fonction Publique, de la Réforme de l’Etat et de la Modernisation, c’est le silence radio. Personne ne veut commenter la situation.
Un haut cadre du département qui a requis l’anonymat, nous a laissé entendre que le problème est résolu récemment et que l’avocat serait rentré en possession de la décision depuis le 13 mai 2019. Dans cette lettre d’accusé de réception dont nous avons obtenu copie et qui est signée par le Secrétaire général du département, Ousmane Bangoura, il est indiqué qu’après vérification, il s’est révélé que l’engagement des nommés Souleymane Camara, Fanta Traoré, Aissata Soumah et Fodé Soumah est effectif.
Interrogé sur la question, l’avocat du collectif des victime, Me Zézé n’a pas souhaité s’exprimer invoquant le respect du secret de l’instruction en cours. Toutefois, il nous a fait comprendre qu’il se prononcera dès que les choses seront au point.
Dans les courriers dont nous détenons des copies, Djoumé Camara, l’Inspecteur général adjoint de l’Inspection Générale de l’Administration Publique (IGAP) autorise le chef de division soldes et autres rémunérations du ministère du Budget ainsi qu’aux différentes banques primaires. ‘’Au terme de l’examen des dossiers, les victimes suscitées dont les salaires ont été domiciliés dans les comptes ouverts dans les livres des banques pour des tierces personnes… sont titulaires’’, lit-on dans ce courrier signé par l’Inspecteur général Adjoint de la Fonction Publique qui autorisé, en conséquence, le paiement de leurs salaires.
L’étrange réponse du chef de cabinet du ministère de la Fonction Publique
Par ailleurs joint au téléphone par Guinéenews, le chef de cabinet du ministère de la Fonction Publique, Mohamed Traoré, qui accepté d’aborder le sujet, s’est dit surpris d’entendre que des fonctionnaires soient engagés et qu’ils ne perçoivent pas leurs salaires.
« Je ne suis pas au courant de ce dossier. Tous les fonctionnaires qui sont engagés, ont leurs arrêtés d’engagement et ils sont payés. Si vous êtes engagés, au compte d’un ministère, vous ne percevez pas votre salaire, vous écrivez à votre ministre de tutelle qui fait une demande au ministère de la Fonction Publique. C’est aussi simple que cela. Je suis étonné que quelqu’un soit engagé et qu’il ne perçoive pas son salaire. Je suis surpris que des gens soient engagés, qui ont leurs arrêtés et qu’ils ne soient pas payés… », s’est-il étonné au bout du fil.
A quoi ont servi les recensements biométriques et les millions de dollars qu’ils ont engloutis
Faut-il enfin souligner que plusieurs dizaines de millions de dollars ont été dépensés pour lutter contre la fraude dans l’administration publique guinéenne et un système de contrôle biométrique a été institué pour dépister les nombreux cas fictifs dont elle regorgeait.
Toutes nos sollicitations du ministre de la Fonction Publique, de la Réforme de l’Etat et de la Modernisation afin d’avoir sa réaction par rapport à ces faits, sont restées vaines jusqu’au moment où mettait en ligne cet article.
Nous y reviendrons.