Le lundi 4 février 2019, cela fera 20 ans, jour pour jour, que le Guinéen Amadou Diallo, était abattu, à New York par 4 policiers , dans le hall de son immeuble.
Il avait été abattu en tentant de sortir son portefeuille de sa poche pour s’identifier, par des policiers paniqués. Le portefeuille avait été confondu au pistolet et les conséquences fatales.
Ce n’est ni une balle, ni 2 ou 3, qui l’avaient atteint, mais 19 sur 41 tirées au total. C’était trop !
Amadou Diallo n’est pas un nom judéo-chrétien, mais depuis ce 4 février 1999, ce nom est devenu familier et prononçable, pour la plupart des Américains.
Le nom à lui seul, symbolise désormais, la violence policière et le profilage racial aux États-Unis.
Au moment des faits, Rudy Giuliani, actuel avocat personnel du président Donald Trump, était maire de la ville de New York. Dès le début de l’affaire, il s’était rangé du côté de sa force de police en leur apportant un soutien sans faille. Il n’avait pas encore atteint la popularité acquise après les événements du 11 septembre, 2001.
Le cas Amadou, c’était avant l’ère des smartphones, de Facebook, Instagram et Twitter.
Quand les 41 coups ont été tirés, il n’y avait non plus de vidéo amateur pour filmer cette scène.
Imaginez de nos jours l’outrage, le choc, que la diffusion d’une telle vidéo, aurait eue pour effet, au sein des populations, en voyant des policiers, vider leurs chargeurs 41 coups de feu, sur un corps aussi jeune et mince que celui de Amadou.
Il n’avait pas été la première victime de la brutalité policière en Amérique dont le cas a été si médiatisé. Loin s’en faut. Il y a eu des cas qui n’ont pas été si médiatisés ou qui sont restés dans l’anonymat total.
Bien avant lui donc, l’Amérique avait vécu un autre drame, qui occupe l’une des premières places, dans l’histoire de la violence policière, aux Etats Unis, un drame qui avait causé des émeutes, à Los Angeles, en 1992, après l’acquittement, de 4 policiers blancs, qui avaient sauvagement frappés, Rodney King.
Les émeutes à Los Angeles avaient été aggravées par la projection d’une vidéo amateur, d’un passant. C’était l’ère de la vidéo amateur pour filmer les abus.
La nouvelle de la mort de Amadou avait soulevé des vagues d’indignation et de protestations, dans toutes les grandes villes américaines, alors qu’avec Rodney King, c’est seulement la métropole californienne, qui avait été touchée avec plus de 58 morts, 800 commerces et buildings incendiés, et plus d’un milliard de dollars de pertes, selon les données de la LAPD (Los Angeles police department).
Après Amadou, il y a eu d’autres victimes dont les cas les plus connus, sont Michael Brown à Ferguson, Trayvon Martin en Floride, Freddie Grey à Baltimore, etc…
En ce dimanche, 4 février, 1999, la mère de Amadou était à des milliers de kilomètres du lieu du drame. C’est là, qu’elle avait appris la nouvelle, qui allait changer sa vie.
Après l’enterrement, le procès très médiatisé et l’acquittement des policiers, qui ont mis fin à la vie de son fils aîné, elle s’était engagée dans un combat, celui d’affronter la brutalité policière et le profilage racial.
Dans ce combat, elle est entourée de mères de familles et de parents des autres victimes, avec qui, elle a mis en place un comité des survivants.
Dans ce comité où elle est devenue une sorte de doyenne pour les autres mères, le groupe fait du lobbying, à Albany, la capitale de l”État de New York, auprès du gouverneur Cuomo, pour les réformes à apporter dans les relations entre la police et la communauté. Leurs activités s’étendent cependant à l’échelle nationale
Elle a aussi tenu à préserver l’indépendance de son petit comité, vis-à-vis de toutes les associations et d’être apolitique autant que possible, depuis le début du combat.
À l’exception de quelques marques de reconnaissances envers le National Action Network du révérend, Al Sharpton, du collège communautaire du Bronx, elle se garde de sortir du cadre des victimes et des activités de son comité.
Rappelons que le très joufflu Al Sharpton, avait accompagné la dépouille, jusqu’au village de Amadou, à Lélouma et avait fortement mobilisé la communauté noire américaine pour la cause de Amadou. Il était toujours en première ligne, d’où une marque de reconnaissance, de Kadi Diallo.
Très à l’aise aussi bien en français, qu’en anglais et bonne communicatrice, dame Kadiatou Diallo a su au fil des ans, attirer la compassion et la solidarité autour de la cause qu’elle défend.
Se préparant pour les cérémonies, marquant ,les vingt ans de la mort brutale, de son fils, à New York, elle a bien voulu répondre à nos questions.
Guinéenews© : Comment et où avez-vous appris le décès de Amadou Diallo?
Kadiatou Diallo : à l’époque, j’étais à Conakry et je travaillais sur un projet minier. D’abord, le 31 janvier 1999, c’était un dimanche, je me souviens.
Le 31 janvier 1999, fut la dernière fois que j’ai parlé à Amadou. Ce jour-là, il était enthousiaste et me disait qu’il avait fait assez d’économies, pour s’inscrire, à l’université, tout en continuant, à travailler. Il avait réussi à régulariser son statut pour la résidence et me disait que tout ce qu’il voulait de moi, c’était les bénédictions.
Après notre conversation, j’ai regretté pourquoi je n’avais pas fait perdurer cette conversation, le plus longtemps que possible. Quelque chose me faisait regretter ça dans ma tête.
Maintenant, le 4 février. Ce jour, une jeune femme qui travaillait chez moi, avait décroché le téléphone du salon, et m’avait passé ma sœur. C’était un appel très matinal et j’étais un peu étonnée et anxieuse. J’étais avec ma fille Laouratou, la petite sœur de Amadou, qui était un peu malade.
Ma sœur me disait que notre cousin voulait parler à mon frère et qu’il allait appeler.
Lorsque ce dernier a appelé de New York, il m’a demandé si mon frère était avec moi à la maison. J’ai rétorqué non et il voulait alors avoir le numéro de l’autre maison familiale, à Matam, à Conakry. Je lui ai laissé savoir que j’étais croyante et que j’acceptais tout ce qui venait de Dieu et par conséquent de me dire la vérité. Il a dit qu’il n’y avait rien, avant de raccrocher et j’étais restée sur ma faim et inquiète.
Mon instinct de mère me disait alors que quelque chose était arrivé à mon fils, mais je ne pouvais imaginer qu’il aurait pu être tué d’une telle manière, avec ce degré de violence.
Un deuxième appel à mon portable, quelque temps après me demandait, si mon frère était là ou si un homme adulte quelconque, était à côté. C’était un deuxième cousin qui appelait et qui avait appris la nouvelle, qui commençait à se propager. Vous savez dans nos traditions, on n’annonce pas la mort n’importe comment, surtout aux femmes. Il y a tout un protocole. Avec cet autre, j’ai fait les mêmes insistances avant qu’il ne finisse par m’avouer la vérité, sans entrer dans des détails. Cette vérité, c’est que mon fils était mort.
C’est ce jour que ma vie a basculé, à jamais. Et depuis cette annonce en Guinée, pratiquement, je ne me suis plus rappelée de rien, dans les heures qui avaient suivi, jusqu’aux États-Unis.
Guinéenews© : si Amadou Diallo vivait aujourd’hui, il aurait eu 43 ans. En dehors de ce que nous connaissons tous de lui, qui était-il vraiment ?
Kadiatou Diallo : Amadou était pur dans tout ce qu’il faisait et dans sa vie. Il était sage et adorable pour tous ceux qui l’ont côtoyés. Jamais, il ne manquait de respect envers quelqu’un et il était très responsable dès son jeune âge.
Il avait eu son bac au lycée international de Bangkok, en Thaïlande, où il vivait avec moi. Après son bac, il a fait un an d’informatique et a rejoint son père à Singapour avant de venir, en Amérique, en 1995.
Il tenait à travailler dur et réussir. Il parlait déjà cinq langues : le pular, le français, l’anglais, l’espagnol et le thaï.
Guinéenews© : comment avez-vous gérer ce vide que représente sa disparition de 1999 à 2019 ?
Kadiatou Diallo : Grâce aux prières et surtout grâce à ma famille, qui a su être là, dès le début et qui n’a ménagé aucun effort pour me réconforter. Je suis chanceuse d’avoir ma famille à côté.
Si j’ai pu tenir, c’est aussi grâce à la communauté en Guinée et aux États Unis.
Je ne cesserai de remercier ces différentes communautés, de près et de loin.
Après une telle bavure, les choses ne sont pas faciles. On est impuissant quand ça arrive et c’est seulement Dieu qui peut nous épauler pour retrouver une paix intérieure.
Guinéenews© : quatre policiers ont ôté la vie à votre fils et n’ont pas fait de prison. Leur en voulez-vous aujourd’hui ?
Kadiatou Diallo : non, je suis croyante. Je les rends responsables de la mort de mon fils, une mort qui aurait pu être évitée, s’ils s’étaient dit qu’ils avaient à faire à un individu qui pouvait être résident de cet immeuble.
Comme je le disais, je ne suis pas rancunière et comme le disait Mandela, « si l’on garde la rancune, c’est comme si l’on buvait du poison ».
Il y a 20 ans bientôt maintenant. Je vivrai avec la douleur pour le reste de ma vie. Mais à un certain temps, il faudrait franchir l’étape du deuil et se battre pour faire vivre à jamais sa mémoire.
Mon combat, c’est pour que le système change.
Guinéenews© : vous avez créé une fondation, après sa mort. Que fait exactement cette organisation à but nonlucratif ?
Kadiatou Diallo : à travers l’éducation, la fondation assiste les jeunes dans leurs études, au collège communautaire du Bronx, à New York.
À ce jour, nous avons eu 30 lauréats, venant principalement du Liberia, de la Guinée, de la Sierra Leone, du Nigeria, du Togo, du Mali.
Ce sont des jeunes qui s’identifient à Amadou ou qui poursuivent le même parcours, le même rêve et les mêmes ambitions pour réussir, comme émigrés africains.
Guinéenews© : vous vivez en Amérique depuis 1999 et vous avez été témoin de ce qui s’est passé, ces deux dernières décennies. Qu’est ce qui a changé depuis la mort de Amadou, dans les relations entre la police et les communautés. Y-a-t-il eu progrès ou recul ?
Kadiatou Diallo : honnêtement, il n’y a pas eu beaucoup de changement, parce que après Amadou, il y a eu beaucoup d’autres victimes de la brutalité policière. Mais, il ne faut pas se décourager. Il faut continuer à se battre pour cette cause.
Moi, je suis maintenant grand-mère et je ne veux pas qu’un jour, les policiers blancs les abattent à cause de la couleur de leur peau.
Ce qui a changé, c’est l’existence des réseaux sociaux. Maintenant, les gens peuvent tout filmer, avec leurs téléphones et poster les vidéos instantanément.
Je continuerai à me battre pour préserver la mémoire de mon fils. Il y a maintenant des organisations, comme les « Black Lives Matter » et le « National Action Network » du révérend Al Sharpton, qui se battent pour faire du lobbying, pour changer les pratiques, améliorer la formation des policiers et avoir ceux provenant des communautés, servant et patrouillant dans leurs propres communautés.
Guinéenews© : l’Amérique est idéologiquement et politiquement divisée. Comment interprétez-vous cela ?
Kadiatou Diallo : Amadou est mort pour une cause. C’est apolitique et je suis apolitique. En tant que mère d’une victime, je préfère m’aventurer dans la lutte contre la violence policière et je me bats pour que le profilage ethnique et racial cesse.
Bien sûr les Démocrates ont été plus visibles dans le soutien qui m’a été apporté, mais il y a eu aussi des Républicains. Je vais vous donner un exemple à New York, entre un père républicain et un fils démocrate. Ils m’ont tous soutenu depuis le début. Ce sont Ruben Diaz Senior et Ruben Diaz Junior.
J’ai décidé de ne pas commenter sur les querelles politiques et les divisions idéologiques.
Il y a des choses qui ont été transformées parfois dans la presse américaine et qui étaient totalement fausses. C’est par exemple le cas du New York Daily qui a mis sur sa page de couverture ma photo en disant que je voulais rencontrer l’un des policiers impliqués. C’était faux et c’était comme me mettre en mal avec des gens qui ont marché pour notre cause.
Guinéenews© : ce qui s”est passé aux États-Unis avec Amadou est connu et assez documenté , mais l’on sait peu, sur ce que le gouvernement guinéen, de Lansana Conté d’alors, avait fait, à la suite de la mort d’un de ses citoyens, à l’étranger.
Kadiatou Diallo : à la mort de mon fils, le gouvernement guinéen nous avait soutenu dès l’annonce de la nouvelle, sans aucune faille. Des instructions avaient été données.
Par exemple, pour mon voyage pour rejoindre le père de Amadou, tout avait été administrativement facilité et à mon arrivée, à l’aéroport de New York, l’ambassadeur de Guinée était venu me recevoir.
Au retour de la dépouille mortelle, tout le gouvernement guinéen était là, à l’aéroport.
Je suis reconnaissante à cette marque de sympathie à l’égard de ma famille.
Amadou a été abattu ailleurs, mais est retourné en Guinée, comme digne fils. C’est une fierté.
C’est au procès qu’on pouvait sentir les autorités guinéennes déconnectées.
Interview réalisée par Mouctar Balde pour Guineenews©.