Dans un entretien accordé à votre quotidien électronique, M. Sinkoun Diakité, directeur préfectoral du musée de Kissidougou, en même temps membre du conseil international des musées africains, formateur et animateur, fait un état des lieux de son musée, des objets d’arts existants, de l’importance de ce musée. Il profite pour rappeler ce pan méconnu de l’histoire de Kissi Kaba Keïta, un des résistants contre la pénétration coloniale en Guinée.
: Bonjour M. Sinkoun Diakité! Parlez-nous de l’état actuel du musée de Kissidougou.
Sinkoun Diakité : Vous savez, notre ministre Sanoussy Bantama Sow vient de quitter ici. Il a promis de soutenir beaucoup notre musée. Donc on a même monté un projet que je lui ai remis. Ce projet concerne la rénovation et l’équipement du musée. S’il y a financement, ça va beaucoup nous arranger. Parce que le musée sera en ce temps un musée type et un musée exemplaire. Mais bien avant, je suis tout le temps avec les étrangers, notamment les Allemands. La dernière rénovation a été financée par l’ambassadeur de l’Allemagne. Ils nous ont envoyé aussi des meubles. Vraiment, actuellement le musée de Kissidougou se porte bien et il est bien fréquenté.
Guineenews.org : Parlant de la fréquentation, quels sont ceux qui fréquentent votre musée ?
Sinkoun Diakité : En ce qui concerne la fréquentation, le musée est beaucoup fréquenté. Quelle est ma stratégie ? Je suis avec l’éducation, c’est à dire la DPE (Direction Préfectorale de l’Éducation). Nous voyons à chaque fois des élèves venir en grand nombre. Quand ces élèves-là ont des cours liés à la culture, ils viennent pour découvrir et toucher certains objets d’arts. Parce qu’en classe, c’est la théorie qu’on leur enseigne, mais au musée, c’est la pratique. Ici, ils mettent leurs doigts sur les réalités. Ceux qui fréquentent le plus souvent le musée ce sont les élèves des Sciences Sociales.
Ensuite dans le cas du tourisme, je reçois beaucoup des touristes. Surtout les Français, les Allemands, ils viennent régulièrement ici.
Guineenews.org : Quels sont les types d’objets d’arts que vous avez ici?
Sinkoun Diakité : On appelle ça une collection en matière technique de la muséographie ou en muséologie. On a plusieurs types de collections. Nous avons d’abord les cultes dont certains n’arrivent pas à faire la différence par rapport aux fétiches. Nous avons aussi la vie sociale. Elle est composée des objets qui entrent dans la vie quotidienne de la société. Par exemple, prenons les chaises authentiques. Ce ne sont pas des fétiches, les rois s’asseyaient sur ça. Les chaises qui sont là datent d’avant la colonisation. Vous voyez, c’est la culture ça ! Nos mamans avaient des escarbots. Quand tu vas dans les cuisines, les gens s’asseyaient sur ces tabourets-là. Nous avons aussi des canaris. C’est la tradition ça ! On a ici un canari du XIII ème siècle, qui date de l’ère Soundiata Keïta. On a eu ça dans la préfecture de Kérouané, ils l’ont déterré dans une profondeur de cinq mètres. Nous avons aussi des jarres qui ont été traitées de façon authentique pour la conservation de l’huile rouge, le miel et aussi pour la conservation de l’eau. Ensuite, on a aussi les outillages agricoles : la daba, les fourches, la hache…; les filets de pêche et en matière de ménage, nous avons le van, les bols en bois, imagine ce que sait, les parents mangeaient dans ça. En matière de culture kissienne, vous m’excusez du terme pour eux, tous les matins, il faut d’abord recueillir le vin de palme. Comment cueillir ce vin, c’est avec une ceinture qu’on met sur les hanches afin de grimper le palmier. Donc nous avons cette ceinture-là ici.
Guineenews.org: En quoi réside l’importance de visiter un musée?
Sinkoun Diakité : D’abord, il faut comprendre que le musée n’est pas un lieu de culte ou de fétiches mais un lieu de culture. Un lieu des connaissances pour savoir comment vivaient nos parents. On oublie ça et on dit que ce sont des fétiches qui se trouvent dedans non! C’est par méconnaissance, quand tu viens ici tu vas connaître comment vivaient tes ancêtres jusqu’à ton niveau. Bien que, on a tendance à négliger ça par rapport au modernisme. Et les occidentaux quittent très loin pour venir connaître notre culture qui est tellement riche mais nous on néglige tout. Les blancs, quand ils viennent ici, je les vois très contents après la visite du musée.
Guineenews.org: Vous gérez le musée de Kissidougou, où on sent la présence de Kissi Kaba Keïta à travers des vestiges. Qui était-t-il?
Sinkoun Diakité: En ce qui concerne l’histoire de Kissi Kaba Keïta, il y a souvent une confusion. Kissi Kaba a été le dernier roi de Faramaya. Mais, il n’était pas le fondateur de Faramaya. Le fondateur de Faramaya s’appelait Fadagan. Quand il était venu, c’était un guerrier, un grand chasseur. Il s’est marié avec des femmes kissiennes. Il y avait Tamba Kissi qui était là. Les Tomas l’ont chassé du pouvoir et il a perdu son trône. Maintenant, il a négocié avec Fadagan pour faire la guerre aux Tomas. Ils ont chassé les Tomas et ils ont quitté son terroir. Maintenant Tamba Kissi s’est installé à nouveau. Après, il est tombé malade, il devait mourir. Il a confié son trône à Fadagan qui était devenu son conseiller fidèle. Selon le testament verbal de Tamba Kissi, il avait dit qu’il laisse le pouvoir à Fadagan. Ce dernier a quitté la ville pour aller dans le district de Mara non loin de la commune urbaine ici. C’est là où le mot Faramaya est venu. Après la mort de Fadagan, les enfants de Tamba Kissi ont demandé le retour du pouvoir dans leur famille. C’est à dire le commandement. Ce n’était pas facile. Donc les enfants de Fadagan et de Tamba Kissi se sont tiraillés. Mais les enfants de Fadagan étaient amis aux Kourankos. A travers ceux-ci, ils ont gagné et ils sont restés définitivement au pouvoir.
Le premier fils de Fadagan à arriver au pouvoir, c’était Famoussa, après Famoussa, c’est Souleymane qui est venu au pouvoir. Donc, c’est lui qui était le papa de Kissi Kaba Keïta. Après son décès, Kissi Kaba Keïta a pris le commandement du royaume. Il est né en 1836 à Mara et il est mort le 25 Avril 1893 à Siguiri où il a été arrêté et fusillé.
Guineenews.org : Pouvez-vous aussi nous énumérer le nombre de musées que nous avons en Guinée ?
Sinkoun Diakité : D’abord au niveau de la région de Faranah, c’est l’unique musée que nous avons. En Guinée, il y a quatre musées préfectoraux ou régionaux et un musée national. Vous avez N’Zérékoré, qui est pour la Guinée forestière. Vous avez Kissidougou qui est pour la Haute Guinée ; vous avez Koundara qui est pour la Moyenne Guinée et Boké pour la Basse Côte. Vous savez aussi, il y a des musées privés, c’est le cas du musée du Fouta à Labé, très riche, géré par Koumanthio. Ensuite, vous avez un autre à Ratoma. Le musée national se trouve à Conakry, plus précisément à Sandervalia.
Guineenews.org : Quels sont ceux qui travaillent à vos côtés pour la conservation de ces antiquités ?
Sinkoun Diakité : Avant on était au nombre de 12 personnes. Mais maintenant, nous sommes au nombre de deux. Vous savez quand il y a des décès ou bien des gens qui sont allés à la retraite, on ne les remplace pas. Je demande à notre ministre de voir comment envoyer des cadres pour nous ici. Vous savez la culture proprement dite, c’est au musée.
Guineenews.org : On profite de l’entretien pour vous demander de nous parler brièvement de votre carrière ?
Sinkoun Diakité : Bon, vous savez, j’ai fait l’extérieur. Premièrement, je fais trois ans à Niamey (Niger) où le musée est bâti sur 24 hectares. Après je suis parti en France et j’ai suivi des cours avec des Italiens sur la conservation des biens culturels. Ensuite, j’ai eu la chance d’aller au Kenya pour une rencontre des connaisseurs des musées de beaucoup des pays africains. Après le Kenya, je suis parti en Afrique du Sud, notamment à Pretoria, à Johannesburg et à Cap Town.
Guineenews.org : Nous sommes arrivés au terme de notre entretien, quel est le message que vous avez à lancer à l’endroit des jeunes d’aujourd’hui par rapport au musée, par rapport à la culture?
Sinkoun Diakité : Mon souhait ardent, c’est à ce que les jeunes s’intéressent à la culture. Il faut connaître chez soi. Quand tu te connais-toi même, tu peux connaître les autres. Mais si tu cherches à connaître les autres et toi même tu ne connais pas qui tu es. C’est là où il y a le malheur. Vraiment je demande aux enfants de s’intéresser au passé de leurs ancêtres et connaître comment nous vivons aujourd’hui. Ils verront la différence. C’est ce qui est important.