Avec environ 300 hectares mis en valeur, El Hadj Mamadou Alpha Ghahira Diallo est l’un des grands agriculteurs de la préfecture de Mali et pourquoi pas de la région administrative de Labé. Retranché dans son village natal de ‘’GHAHIRA’’, relevant de la sous-préfecture de Salambandé, notre interlocuteur a réussi à moderniser les pratiques agricoles dans une zone où l’agriculture traditionnelle est toujours d’actualité. Avec des dizaines d’employés et un peu plus de 70 millions GNF, El Hadj Alpha Ghahira a réussi à travailler cette année sur 100 hectares de riz, maïs, fonio et arachides. Dans un entretien exclusif qu’il a bien voulu accorder à la rédaction locale de Guinéenews basée à Labé, il explique ses motivations, les avantages et bien sûr les difficultés rencontrées dans le secteur agricole, dont il tire l’essentiel de ses revenus.
Guinéenews : Pourquoi avoir choisi l’agriculture comme activité génératrice de revenu?
Alpha Ghahira : On est dans l’agriculture, parce que Dieu nous accorde 7 mois de pluies ; donc on ne veut pas perdre ce bien fait du tout puissant car ceci est un don très particulier. Donc, on produit ici à Salambandé auprès du Dimmawol (Fleuve Dimma principale source du grand fleuve Gambie). C’est dans ces parages qu’on a retrouvé une terre très particulière. Donc c’est à ce niveau qu’on exerce nos activités agricoles
Guinéenews : depuis quand vous êtes-vous lancé dans l’agriculture ?
Alpha Ghahira : ça fait maintenant 7 ans depuis que je me suis lancé à fond dans l’agriculture moderne avec des machines et toute la technologie.
Guinéenews : vous travaillez sur combien d’hectares de terre ?
Alpha Ghahira : Cette année c’est seulement 100 hectares que j’utilise, sinon j’ai l’habitude et je suis en mesure d’exploiter jusqu’à 300 hectares de terre.
Guinéenews : qu’est-ce que vous produisez ?
Alpha Ghahira : Cette année je me suis concentré sur quatre cultures qui sont d’ailleurs les plus prisées chez nous ici. Il s’agit du riz, du maïs, de l’arachide et du fonio. Voilà les quatre cultures qui composent mes 100 hectares de cette année.
Guinéenews : dans ces 100 hectares, qu’est-ce que vous pouvez avoir en termes de rendement ?
Alpha Ghahira : Bon, par exemple le maïs que je produis, un seul hectare peut donner jusqu’à 8 tonnes. Pourtant, cette année j’ai environ 10 hectares de maïs et comme je vous l’ai dit chaque hectare peut en donner 8 tonnes. Donc en clair, j’ai acheté environ 100 sacs de 50 kilogrammes chacun. Des sacs que je prépare pour la récolte car je sais pertinemment que je vais utiliser l’ensemble de ces sacs.
Guinéenews : après la récolte et le remplissage de tous ces sacs, comment faites-vous pour écouler toute cette quantité ?
Alpha Ghahira : Après les travaux, on essaie de faire la part des choses car comme vous le savez c’est beaucoup d’argent qu’on investit dans la chaîne de production. Donc, on récupère d’abord le financement de base, ensuite on prévoit la réserve alimentaire de la famille et le reste sera destiné à la vente. Au fait, on divise le tout en trois parties. La première partie est destinée à récupérer l’ensemble des dépenses, la seconde pour l’alimentation de la famille (du village) et la dernière est commercialisée pour récupérer les bénéfices. Mais c’est dans la première partie qu’on prélève les salaires des travailleurs, le carburant, l’amortissement du matériel, …
Guinéenews : c’est quoi le coût en termes de dépense, par exemple pour les 100 hectares que vous avez exploités cette année?
Alpha Ghahira : Cette année c’est un montant de soixante-dix millions GNF (70 000 000), approximativement 70 700 000 GNF. Vous savez le financement, c’est par étape mais je mets toutes les dépenses dans mon carnet. C’est ce qui me permet de comprendre comment l’entreprise fonctionne.
Guinéenews : vous êtes l’unique bailleur ou vous avez des associés?
Alpha Ghahira : oui oui pratiquement je suis seul ; mais je travaille souvent avec des projets qui m’accompagnent en semences. Cette année par exemple, ils m’ont donné un peu plus d’une tonne de semence. Mais pour ce qui est du reste je suis seul, car ce sont mes machines, mes chauffeurs, mon carburant, mes travailleurs, qui sont déployés dans mon domaine…
Guinéenews : vous disposez de quel genre de machines ?
Alpha Ghahira : Nous disposons de tracteurs ; moi seul j’ai deux tracteurs à mon actif. Un vieux tracteur et un autre tracteur sorti d’usine.
Guinéeews : ce sont les partenaires qui vous amènent ces engins ou c’est sur fonds propres que vous les achetés?
Alpha Ghahira : l’un a été acheté par moi-même et l’autre ce sont des bailleurs qui me l’ont fourni dans le cadre de l’accompagnement.
Guinéenews : comment faites-vous pour avoir des travailleurs connaissant le taux d’exode rural qui frappe nos villages ?
Alpha Ghahira : premièrement sachez que j’ai une très grande famille. Donc au lieu que tous les membres de cette famille ne s’adonnent à l’agriculture primaire ou traditionnelle, alors que moi j’ai les machines qu’il faut; je les ai mobilisés pour les ramener tous dans mon équipe. A la fin de l’opération, chacun aura sa part. En plus, je recrute des travailleurs qui sont salariés. Je recrute des bras valides régulièrement pour mon champ, et c’est ce qui fait que j’ai un grand nombre d’employés.
Guinéenews : quels avantages avez-vous concrètement pu tirer de cette pratique ?
Alpha Ghahira : je ne pourrais vous citer tous les avantages que j’ai tirés de l’agriculture parce qu’ils sont immenses. Sachez juste que j’ai construit 8 maisons en dur grâce à l’agriculture. J’ai des cheptels de bovins dans mes champs, j’ai des parcs de chèvres et de moutons. Donc, en un mot il n’y a plus de faim dans mon village.
Guineenews : parallèlement, quelles sont les difficultés ?
Alpha Ghahira : la principale difficulté est celle qui a empêché tout le monde de se lancer dans l’agriculture. Si vous voyez que les gens ne veulent pas se lancer, c’est parce que ce n’est pas aisé. Et nous connaissons tous ces difficultés qui ne sont pas des moindres. Il y a même des risques de noyades dans l’agriculture à travers des routes impraticables, des risques d’attaque d’animaux sauvages, d’aller en personne au champ, de travailler chaudement ; … Comme vous le savez c’est un grand sport. Dans mon champ, je travaille moi-même.
Guinéenews : on assiste depuis quelques années à des attaques sur les cultures au Foutah Djallon notamment ici à Mali où les producteurs de la pomme de terre sont tout le temps victimes ; est-ce le cas chez vous ici ?
Alpha Ghahira : Non ! On n’a pas ce genre de problème ici car je ne produis pas de pomme de terre ; la pomme de terre n’est pas facile à cultiver chez nous. Moi je me dis que c’est le riz, le fonio, le maïs, … qu’on doit cultiver chez nous. C’est ce qui marche sans problème sur nos terres avec un rendement meilleur.
Guinéenews : peut-être un message à l’endroit de la population par rapport à l’importance de l’agriculture car le Foutah dispose énormément de terre cultivable?
Alpha Ghahira : vous savez pourquoi je n’aime pas donner des conseils à la population, c’est parce que les gens ne comprennent pas. Il n’y a pas mieux chez un prêcheur que de voir son message utilisé à bon escient. C’est ce qui m’empêche de donner des conseils aux gens. Sinon, nous savons tous que chacun peut dire qu’il ne travaille pas mais personne ne peut dire qu’il ne mange pas. Il n’y a pas meilleur message que cela. Mais le message qui va les rappeler à l’ordre viendra ; peut-être même qu’il est là ce message. Quand la pauvreté et la faim dépassent ce stade, quand les dirigeants et les gouvernés auront faim, ils viendront en vitesse vers l’agriculture. Je dirais juste aux citoyens de ne pas laisser comme ça les 7 mois d’eau en abondance que Dieu nous accorde chaque année. C’est pour nous que Dieu envoie cette eau ; et si tu laisses perdre ce bien fait tu seras en mal avec Dieu. Il ne faut pas rester en marge sans pour autant planter des arbres, sans produire l’alimentation de ta famille et sans produire pour vendre. Pourtant il y a beaucoup d’argent dans l’agriculture et puis de l’argent licite. C’est seulement dans ce secteur que tu peux avoir de l’argent 100 % licite puisqu’avec 100 hectares de maïs tu as directement 9 milliards 500 millions GNF juste en trois mois. Si un pauvre gagne ce montant, je suis sûr que son esprit ne sera plus orienté vers la politique. Imaginez si cette eau devait passer par les blancs pour nous parvenir aujourd’hui un litre d’eau allait coûter 150 000 GNF. Regardez juste le carburant qui passe entre leurs mains, aujourd’hui le litre est vendu à 12000 GNF, alors que c’est juste pour les engins. Pourtant l’eau a de multiples usages. Mais Dieu nous donne ça gratuitement.
Entretien réalisé par Alaidhy Sow depuis Labé pour Guinéenews