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Dossier-problématique de la gestion des cimetières à Conakry: entretien, taxation, profanations, enterrements clandestins, bienvenue dans la nécro-business !

Avec l’état actuel de nos cimetières, pouvons-nous encore dire à nos morts de reposer en paix ?

 Non ! Les cimetières de la capitale, plus particulièrement celui de « Cameroun » où sont enterrés la quasi-totalité de nos morts est une broussaille jonchée de déchets avec des tombes profanées. Ce cimetière, dirait-on, est devenu un terrain laissé pour compte.

Abandonné ce lieu qu’il est convenu d’appeler notre dernière demeure est devenu, il faut insister, un véritable champ zoologique où vivent tous les espèces venimeuses et où il est pratiquement impossible de circuler.

« Votre constat est juste. Mais nous faisons ce que nous pouvons. Nous travaillons selon les moyens mis à notre disposition. Et tout ça c’est de la faute aux parents des défunts qui, une fois l’enterrement terminé, disparaissent. Ils ne reviennent plus voir la tombe de leurs proches. Il y a des gens qui ne savent même plus où sont enterrés leurs mamans, pères, épouses ou époux voire leurs enfants. Après l’enterrement, c’est l’oubli et l’abandon. Les gens s’en foutent des morts. Ce cimetière n’avait pas de clôture digne de ce nom ! C’est grâce à Kerfalla ‘’Person’’ Camara (KPC), qui par humanisme, a réhabilité la vieille et vétuste clôture entre 2008 et 2009. Tout comme il a fait à la morgue de l’hôpital Ignace Deen où il a eu à faire la rénovation », nous apprend, sous le sceau de l’anonymat, un des gardiens du cimetière de Cameroun.

Pour corroborer notre constat, un fossoyeur nous raconte une anecdote : « le vendredi dernier, un mamba vert a semé la panique pendant l’enterrement d’une dame. Le gros serpent, on ne sait comment, a chuté dans la tombe juste après avoir y descendu le corps. Il ne fallait pas ! C’était la débandade. Tout le monde a pris la fuite même les religieux venus prêcher ont pris leurs jambes à leur cou. Il a fallu que mes amis et moi intervenions pour tuer le reptile. Ces cas sont fréquents ici. Souvent, certains de passage, glissent sur une ancienne tombe et se fracturent les pieds. C’est vraiment dommage ! ».

Voilà qui confirme qu’en Guinée, les cimetières ne sont pas entretenus par les autorités. Ils sont laissés à l’abandon au grand désarroi des familles endeuillées qui n’ont aucune chance de retrouver la tombe de leurs proches pour s’y recueillir.

Désossement dans les cimetières de Conakry : quand les morts sont « expulsés » de leur dernière demeure

La tombe censée être la dernière demeure des défunts, n’abrite cependant pas les restes de la dépouille définitivement. En effet à échéance, les fossoyeurs et autres gestionnaires des cimetières procèdent au désossement.

Pourquoi ? Comment cette opération se déroule-t-elle ? Où sont conduits les restes mortuaires ?

Inhumer un corps à Conakry ou transférer sa dépouille mortelle au village pour l’enterrement est un choix difficile pour les parents du disparu. Pour les familles qui choisissent la première option, il faut se mettre à l’idée que la gestion des cimetières publics de Conakry obéît à des réalités parfois tristes : exhumation, superposition des corps et le désossement… Et pour cause, ces nécropoles publiques n’ont plus de places pour accueillir les morts.

Le plus grand cimetière qui existe dans la capitale, reste celui de « Cameroun », dans la commune de Dixinn. Il est la plus importante de Conakry et même de la Guinée. C’est d’ailleurs pourquoi les hautes personnalités, les artistes de renommées et les membres des familles étrangères qui décèdent y sont inhumés. C’est également dans ce cimetière qu’on trouve les sépultures et les caveaux de bon nombre de grandes familles guinéennes et africaines.

« Le cimetière de «Caméroun » est le cimetière phare de Conakry. Il y a été mis en place une infrastructure particulière qu’on ne retrouve pas dans les autres. C’est ce cimetière qui reçoit les dépouilles des grandes personnalités qui décèdent sur le territoire ou à l’étranger. C’est également lui qui reçoit les dépouilles mortelles de nos frères libanais. Il est d’ailleurs structuré de telle sorte qu’une partie est réservée à cette communauté, une autre réservée à la communauté chrétienne et le reste à la communauté musulmane. »  C’est ainsi que nous a décrits un vieux gardien rencontré à l’intérieur du cimetière.

Pour revenir à l’opération de désossement qui s’effectue régulièrement pour faute de place, un fossoyeur spécialiste en la matière nous la décrit avec beaucoup de précisions et de sérieux. « C’est vrai, l’opération de désossement se fait sans la permission des parents du défunt. C’est une triste réalité. Mais je vous apprends qu’elle se fait dans le respect de l’hygiène. Retenez d’abord qu’après déjà cinq ans, la tombe est dans des conditions d’hygiène suffisamment sécurisée pour pouvoir intervenir. Mais n’empêche qu’on prenne des dispositions pour éviter qu’il y ait contact avec les ossements… Pour l’opération donc, on procède à la destruction de la tombe. Des produits dont les pesticides sont pulvérisés dans la fosse tombale pour neutraliser des insectes ou des champignons. On y met aussi des produits pour neutraliser éventuellement toute bactérie développée. Une fois cette étape terminée, les gens, dans les combinaisons conventionnelles, descendent dans la tombe et enlèvent les restes, généralement les os. Puisque tout le reste est devenu de la poudre. S’il reste des os, les jeunes gens les font monter et les ossements sont rangés de côté. Après le désossement, les os des défunts sont mis dans des fosses communes », soutient notre interlocuteur avant de poursuivre pour dire qu’après le désossement, on ne peut plus identifier le défunt dans le cimetière, mais seulement dans le registre des morts. Ce qui revient à dire que le défunt, qu’il soit une personnalité ou un membre d’une grande famille, tombe dans l’anonymat.

Selon les spécialistes, après 30 et 99 ans d’ensevelissement, les restes mortuaires deviennent un peu comme de la cendre, de la poudre en quelque sorte. Et que plusieurs études menées par des universitaires en Europe révèlent que le temps de durée d’un corps humain pour se décomposer est d’un mois, s’il n’a pas reçu un traitement spécial comme les momies, excepté les os, les cheveux, les poils pubiens, des aisselles, les orteils et les ongles.

Retenons tout simplement que l’opération de désossement qui choque les esprits sensibles, se fait à cause de la pression exercée sur les terres des cimetières à cause de la forte demande. Dans les cimetières aujourd’hui, il n’y a plus d’espace disponible pour enterrer les défunts. Alors les fossoyeurs sont parfois contraints d’enterrer les corps les uns sur les autres. A cela, il faut ajouter la cupidité des fossoyeurs et les enterrements clandestins.

 Par faute de moyens, certains parents enterrent leurs proches dans la clandestinité

Les cimetières sont gérés par le gouvernorat qui a un service à l’entrée de chaque site qui délivre et vérifie les documents nécessaires. Malgré ce dispositif, certaines personnes sont enterrées dans la clandestinité avec la complicité des gardiens et des fossoyeurs. C’est une sorte de réseau clandestin.

Selon nos investigations sur les lieux et les témoignages de certains parents qui auraient soudoyé des groupes de fossoyeurs et des gardiens chargés de veiller sur nos morts, tout se passe parfois tard dans la nuit ou au petit matin. On vient nuitamment remettre le corps aux fossoyeurs et on disparait par la suite dans les ténèbres. Certains entrent à l’intérieur du cimetière, creusent et enterrent leur corps sous la vigilance des gardiens. Aux dires de nos informateurs, les gardiens leur précisent dans ce cas de ne pas creuser trop profond, au risque de tomber sur un autre corps.

Ce cas précis concerne le plus souvent des nourrissons et des enfants mort-nés pour faute d’infrastructures dans nos hôpitaux où on remet dès le décès d’un bébé, son corps à ses parents. Evidemment, beaucoup de parents ne sachant que faire du corps d’un nouveau-né se rendent sur la pointe des pieds dans les cimetières « d’à côté ».

Un jeune homme chargé de creuser les tombes au cimetière de « Cameroun » a accepté de témoigner tout en requérant l’anonymat sur les enterrements clandestins pratiqués dans les cimetières. Les parents des défunts n’hésitent pas à corrompre les ouvriers comme lui pour y faire enterrer leurs proches. Un trafic permanent. « Il y a du business partout et à n’importe quelle heure même la nuit, il y a des enterrements tout comme la journée. Des pratiques devenus courantes dans les cimetières. Les familles qui outrepassent la loi, par manque de moyens, s’arrangent toujours avec nous pour enterrer leurs corps. »

Les cimetières sont devenus un refuge pour les malfrats qui ciblent les personnes venues se recueillir sur les tombes de leurs proches

Ils sont dépossédés de leur argent, de leurs téléphones, motos et autres objets de valeur à longueur de journée comme dans une jungle. Mais qui aurait cru que les malfrats pouvaient franchir les portes d’un cimetière et y faire régner leur loi sur les citoyens affligés et abattus par la perte des êtres qui leur sont chers ? Qui pouvaient penser que les bandits allaient élire domicile dans un cimetière et profiter de l’affliction, de la mélancolie des citoyens pour accomplir leur sale besogne ? C’est un spectacle attristant auquel assistent les gens qui se rendent aux cimetières. Autrefois espaces funéraires et lieux de recueillement des fidèles afin de prier pour le repos éternel de leurs proches, les cimetières de la capitale sont devenus de véritables sanctuaires pour les malfrats tout acabit.

Ils y ont élu domicile et règnent en maitres. Ils infiltrent souvent les cortèges funèbres ou se déguisent en visiteurs venus se recueillir sur une tombe, chapelet en main et faisant semblant d’invoquer Dieu, alors qu’en réalité, ils implorent Satan afin de mettre sur leur chemin des paisibles citoyens munis de quelques sous, de téléphones portables et des objets de valeur. Le nombre de leurs victimes est incalculable. Ces derniers temps, il est rare d’assister à une inhumation au sein de ces cimetières et de ne pas entendre sangloter un membre du cortège funèbre ou un visiteur des lieux dire qu’on vient de le déposséder de sa moto, de son téléphone ou autres objets de valeur.

Que disent les autorités en charge de la gestion des cimetières ?

Devant cette triste situation, les chefs de quartier, les responsables communaux et ceux du ministère de l’Environnement n’ont daigné répondre à nos préoccupations. Après le refus des élus locaux dans les communes, nous sommes transportés au Gouvernorat où l’un des responsables chargés de la gestion des cimetières, a accepté volontiers de nous recevoir.

A la question alors de savoir comment sont gérées les nécropoles à Conakry, notre interlocuteur qui a n’a pas accepté de donner son nom pour des raisons qu’on ignore, nous apprend que seuls les cimetières de Nongo et Cameroun sont à la charge du Gouvernorat, les autres étant gérés par les communes. Ainsi, en ce qui concerne l’état de ces deux cimetières, ce gestionnaire nous informe que leur entretien se fait régulièrement par les services mis en place à cet effet. « Je vous apprends que le gouvernorat ne gère que deux cimetières à Conakry. A savoir le cimetière de Cameroun et celui de Nongo. Les autres petits cimetières sont à la charge des communes. Nous avons un service de nettoyage qui est régulier. Il y a aussi des ONG qui interviennent de temps en temps et des religieux (catholiques) qui nettoient le cimetière pendant la fête des Toussaints qu’on appelle fête des morts. Les camions de ramassage des ordures sont à chaque fois mobilisés pendant ces opérations de nettoyage », a-t-il expliqué.

En ce qui concerne les enterrements clandestins dont on nous fait cas lors de notre enquête, notre source ne confirme ni infirme l’information. Il s’est pourtant contenté de nous dire que des surveillants de cimetière ont été désignés pour les cimetières de Cameroun et de Nongo afin d’empêcher les éventuels cas d’enterrement clandestin et de vols. « Le coordinateur du cimetière de Cameroun est venu dire ici qu’il est seul pour surveiller un grand espace comme ce lieu. On a nommé un surveillant général pour l’accompagner sur le terrain. Et je crois que celui qui a été nommé, serait le chef de gang qui opérait clandestinement. Depuis donc, on n’entend plus ces genres d’opérations. »

 Qu’en est-il des exhumations et superpositions des corps ?

 A cette question, le cadre du gouvernorat soutient qu’il n’est pas encore informé à ce sujet. Mais il reconnait tout de même qu’il y a un sérieux problème d’espace dans les cimetières de Conakry. Et curieusement aucun projet de déplacement de ces nécropoles n’est à l’horizon.

Pour la gestion des frais d’enterrement qui s’élèvent à 50.000 GNF, notre interlocuteur nous apprend que les versements se font directement au trésor. D’ailleurs, à l’entendre, il n’a jamais souhaité trop s’en occuper pour des raisons morales. Car, selon lui, beaucoup d’argent issue de l’enterrement est signe de malheur.

Dossier réalisé par Louis Célestin

 

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