Votre quotidien électronique Guinéenews© vous propose une enquête sur les relations entre le Fonds monétaire international (FMI) et la Guinée ainsi que les implications pour la promotion de la bonne gouvernance.
Une mission du FMI conduite par Mme Georgia Albertin a séjourné en Guinée en fin avril jusqu’en mi-mai 2019 pour l’évaluation de la mise en œuvre de la Facilité Elargie de Crédit (FEC). Le FEC est un programme triennal qui a été approuvé par le FMI en faveur de la Guinée le 11 décembre 2017 pour une valeur d’environ 170 millions de dollars. La mission d’évaluation a porté d’abord sur les réalisations comparées du programme relatif aux critères indicatifs, aux objectifs indicatifs au 31 décembre 2018, puis sur la revue des résultats à fin mars 2019.
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La mission a constaté à l’issue de son évaluation qu’un certain nombre de critères indicatifs n’étaient pas remplis. Il y avait eu défaillance dans la collecte des recettes fiscales et la variation des arriérés domestiques. Le gouvernement n’a pas respecté ses engagements, car l’obtention facile de satisfécits au cours des huit dernières années a fini par encourager l’irresponsabilité financière au sommet de l’Etat. Afin de couper l’herbe sous les pieds du FMI, le gouvernement a fait un effet d’annonce pour faire croire que la mission s’est conclue par un autre satisfecit. Mais selon des informations qui ont fuité lors de la revue du programme de la FEC qui a porté sur les résultats à fin mars 2019, plusieurs fautes de gestion commises par le gouvernement guinéen ont été constatées. Ces fautes risquent de mettre en difficulté le programme de la FEC.
Cette fois-ci, excédés par tous ces scandales, les missionnaires du FMI ne se sont pas joints à la rédaction d’un communiqué final, du moins pour l’instant. A cet égard Guinéeews© a examiné en profondeur les motivations de l’attitude que les observateurs traitent de « laxiste » du Gouvernement et vous livre son analyse ci-dessous.
La curieuse complaisance du FMI envers la gouvernance d’Alpha Condé
Le FMI n’est pas une organisation populaire, mais c’est un mal nécessaire pour la stabilité financière globale. C’est le gendarme de la finance internationale, le chevalier blanc de la promotion de la bonne gouvernance et le timonier de la discipline budgétaire. C’est aussi le docteur financier qui soigne les crises temporaires de financement de déficit de la balance des paiements (quand la valeur des importations dépasse celle des exportations). Financer un déficit temporaire de balance de paiement est une forme d’appui au développement. Le FMI prête de l’argent aux pays connaissant ce type de difficultés, à condition que ceux-ci acceptent de mettre en œuvre des politiques appropriées pour parvenir à l’équilibre de leur balance des paiements. L’organisation compte 189 pays membres. Que ce soit la Grèce, l’Ukraine, l’Argentine ou la RDC, le FMI est le gendarme ou docteur qui vient au chevet des pays en difficultés financières. Son remède favori, mais redouté, est l’austérité sous forme de pilules politiques amères (réduction des subventions pour l’essence ou l’électricité par exemple) et des régimes d’amaigrissement (réduction du train de vie de l’Etat).
Dans les pays en développement comme la Guinée qui est membre du FMI depuis le 28 septembre 1963, l’appui du FMI sert à promouvoir la bonne gouvernance et à combattre la corruption à travers des activités de surveillance, de prêt et d’assistance technique. Les limiers du FMI procèdent chaque année à un examen de gouvernance dans le cadre du processus dit des consultations au titre de l’article IV. En plus, dans le cadre de son concours financier, le FMI inclut l’amélioration de la gouvernance comme une conditionnalité de ses programmes.
D’habitude, le FMI est partisan de l’adage qui dit : « qui aime bien, châtie bien ». Pour maintenir la discipline financière dans le monde, l’organisation est réputée pour les mesures draconiennes d’austérité qu’elle impose à ses pays membres. Le FMI est aussi réputé pour sa capacité d’imposer la discipline financière à un président qui n’en fait qu’à sa tête. Il y a quelques années, quand le président malien avait voulu dépenser quelques 17 milliards de francs CFA pour s’acheter un avion pour ses voyages fréquents, le FMI s’est opposé. Quand Dos Santos de l’Angola avait voulu instrumentaliser la société d’Etat Sonangol pour sa famille, le FMI a contrecarré ses plans et avait même exigé des éclaircissements sur les transactions extrabudgétaires de la Sonangol. Quand Kabila de la RDC avait fait un accord mal ficelé de ressources contre infrastructures de 9 milliards de dollars avec des asiatiques, le FMI est intervenu pour rééquilibrer les termes au profit du pays. Quand le gouvernement du Mozambique a contracté des prêts secrets qui ont servi à enrichir les pontes du parti présidentiel, le FMI a mené un audit et a suspendu le pays. Quand la République du Congo s’est empêtrée dans de gros prêts chinois qu’elle ne pouvait rembourser, le policier de la finance est venu à la rescousse et a imposé la discipline financière. Quand la Grèce et l’Argentine ont mal géré leurs économies, le FMI les ont imposés un régime d’amaigrissement.
Le FMI applique normalement de façon systématique la même rigueur, quel que soit le pays ou le régime. En 2004, le FMI avait épinglé le régime de Lansana Conté et coupé les ponts avec la Guinée, citant la corruption, le manque de transparence, et la mauvaise gestion de l’économie. Mais sous le régime d’Alpha Condé, le FMI semble se plier aux desiderata du président plutôt que de prôner la bonne gouvernance. Aujourd’hui, les mêmes conditions de mauvaise gouvernance qui avaient mené le FMI à sanctionner le régime Conté sont devenues tolérables et même justifiables pour l’institution de la finance internationale. Pour preuve, chaque mission d’évaluation en Guinée est sanctionnée par des satisfécits complaisants alors que la situation de gouvernance sur le terrain ne fait qu’empirer. A chaque revue, le FMI « repêche » Alpha Condé pour les mêmes raisons qui recalaient Lansana Conté. Les scandales financiers impliquant le régime Condé se multiplient, mais avec l’aide des réseaux occultes du chef de l’Etat, le FMI est plutôt préoccupé par la réussite politique du « premier président démocratiquement élu » de la Guinée. Lors d’une mission d’évaluation en fin juillet 2012, aux moments forts du scandale financier Paladino, de paupérisation accrue de la population, du report des grands investissements et du retrait des investisseurs sérieux à cause de la mauvaise gouvernance du secteur minier, le chargé de mission du FMI, M. Harry Snoek, trouvait des raisons de lancer des fleurs au régime. Il déclarait à la presse : « la vitesse par laquelle la Guinée a respecté le plan d’action, de mon expérience, je n’ai pas vu encore un pays qui a travaillé comme ça. » Pour embellir les résultats économiques du régime Condé, Snoek les compare à ceux de la parenthèse chaotique de la transition Dadis-Konaté : « l’héritage de deux ans et demi de la gestion militaire de 2009-2010 n’était pas seulement catastrophique dans le cadre macroéconomique mais c’est comme si le tremblement de terre avait secoué le pays. »
Dans un pays où les contre-pouvoirs sont affaiblis, les satisfécits complaisants du FMI avaient effectivement contribué à taire les critiques de la gouvernance du régime Condé. A chaque occasion, le gouvernement se prévalait de « bonnes appréciations » du FMI, mais la réalité quotidienne crevait les yeux. C’est ainsi que le scandale des 25 millions de dollars de dette de Paladino fut vite étouffé par le régime avec l’aide du FMI. M. Snoek s’était simplement contenté de se lamenter que cette dette de SOGUIPAMI n’était pas visible dans les statistiques économiques, ni dans le tableau des opérations financières de l’Etat. Il avait recommandé au gouvernement de rembourser et « de faire de plus amples progrès dans la gestion de la dette, notamment en faisant en sorte que les emprunts de toutes les entités publiques restent strictement sous le contrôle du ministère de l’économie et des finances afin de veiller à la viabilité de la dette. Pour la même raison, la participation éventuelle de l’État à des projets miniers doit être financée par les recettes des projets, sans recourir au budget ».
La complaisance du FMI sera un facteur décisif de l’atteinte par la Guinée du point de décision de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). En effet, la Guinée n’avait pas pu remplir tous les critères, mais le FMI avait fermé les yeux, espérant que l’allègement de la dette permettrait au pays de se relever. D’ailleurs, M. Snoek déclarait à l’occasion du PPTE : « Maintenant que la Guinée a atteint le point d’achèvement, elle sera en mesure d’allouer davantage de ressources à la réduction de la pauvreté et à la croissance économique. Il restera crucial d’assurer une solide gestion macroéconomique après le point d’achèvement afin que le pays puisse tirer le meilleur parti de ses abondantes ressources minières et des autres sources potentielles de croissance ». Mais les choses se sont passées autrement.
Au nez et à la barbe du FMI, le président Condé avait réendetté la Guinée au point de faire de l’allègement du PPTE un souvenir lointain. En plus, il s’était engagé dans des dépenses extrabudgétaires folles : les 700 millions de dollars de Rio Tinto, les 150 millions de dollars de dette de son « ami » Dos Santo de l’Angola, les 25 millions de dollars de Paladino, et d’autres prêts non élucidés. Il engage aussi le pays dans des prêts massifs en faveur de l’énergie sans améliorer conséquemment le problème de desserte d’électricité. Des montants énormes sont engagés et gaspillés dans des « mamayas politiques » ou des projets mal ficelés, sans aucune supervision parlementaire. Les frasques financières du président ont atteint l’apothéose le 8 août 2014, quand les douaniers sénégalais interceptent et saisissent des valeurs monétaires de l’équivalent en dollars et en euros d’une valeur de 4 milliards de francs CFA débarqués d’un aéronef en provenance de Conakry, et à destination de Dubaï. Les années suivantes, les scandales financiers s’enchainent (20 millions de dollars qui disparaissent de la BCRG, la cession opaque de patrimoines stratégiques tels que le port de Conakry, les contrats gré à gré, les prêts opaques pour des barrages coûteux au fil de l’eau, les 20 milliards de dollars d’accord de prêts contre ressources, les multiples scandales miniers impliquant le président ou son entourage), mais le FMI était aux abonnés absents.
Quand la dérogation aux critères de gouvernance devient la règle dans les évaluations de la performance de la Guinée
Les clins d’œil du FMI envers les frasques financières du régime d’Alpha Condé sont sans commune mesure. Dans presque la totalité des accords signés depuis 2012, la Guinée d’Alpha Condé n’a pu remplir les conditions que grâce à des décisions du FMI d’accepter des demandes de dérogations du gouvernement sur la non-observance de critères portant sur des mesures censées renforcer la gouvernance et la discipline financière. Pourtant, ces mêmes critères sont imposés aux gouvernements de la Grèce, de l’Angola, de la Côte d’Ivoire, du Sénégal et ailleurs. C’est à se demander à qui profite les dérogations du FMI qui permettent au régime d’Alpha Condé de se targuer d’accords et de satisfécits du FMI alors que les mauvaises habitudes de mal gouvernance s’enracinent et deviennent la norme en Guinée. C’est comme si le FMI voudrait épargner au gouvernement guinéen la rigueur imposée aux autres pays sérieux qui aspirent à la bonne gouvernance. Sur la base des communiqués du FMI, nous examinons ci-dessous les dérogations de bonne gouvernance accordées au régime d’Alpha Condé depuis 2012.
Dérogation de critère de bonne gouvernance en 2012 en vue de l’allégement de la dette de 2,1 milliards de dollars dans le cadre de l’Initiative PPTE : Le 26 décembre 2012, le FMI appuie Alpha Condé à remplir les conditions requises pour atteindre le point d’achèvement dans le cadre de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (Initiative PPTE). La Guinée avait rempli toutes les conditions de gouvernance exceptée une de taille qui continue d’alimenter la corruption au haut sommet de l’Etat. Cette condition a trait aux audits des contrats de passation de marchés publics. Pour repêcher le régime guinéen, le FMI avait accordé une dérogation à cette condition, jugeant que « l’objectif d’ensemble visé est atteint et la mise en œuvre s’est améliorée ». Cette évaluation complaisance permet à Alpha Condé d’avoir le PPTE qui était pour lui un objectif politique. Ravi d’avoir délivré pour le « premier président démocratiquement élu », M. Snoek du FMI exulte : « Pour la Guinée, atteindre le point d’achèvement de l’initiative PPTE est une grande réussite. Cela illustre les progrès majeurs accomplis dans la gestion économique à la suite des premières élections démocratiques en décembre 2010 ».
Dérogation de critère de bonne gouvernance de 2016 portant sur les sixième et septième revues de l’accord FEC en vue d’un décaissement de 25,6 millions de dollars. Le 14 mars 2016, le FMI conclut ses revues. La Guinée n’a pas été capable de respecter les critères de gouvernance en fin 2014 à cause des impératifs de campagne électorale pour le coup KO de 2015. Très généreux et compréhensif, le FMI approuve sans difficultés la demande de dérogations pour les critères de bonne gouvernance. Ces critères sont relatifs aux réserves internationales nettes de la Banque Centrale de la République de Guinée (BCRG) et des critères de réalisation à fin 2015 relatifs au solde budgétaire de base de l’État, aux avoirs intérieurs nets et aux réserves internationales nettes de la BCRG et au financement bancaire intérieur net de l’État. Le FMI consent aussi à approuver la demande de dérogation pour la non observance des critères de réalisation relatifs aux nouvelles dettes extérieures non concessionnelles à moyen et à long terme contractées ou garanties par l’État ou la BCRG, et à l’introduction ou à la modification de pratiques de changes multiples. M. Mitsuhiro Furusawa, directeur général adjoint du FMI, justifie la complaisance de son organisation par la pitié. Il déclare a l’issue des débats du Conseil d’Administration : « La Guinée a été déclarée indemne de l’épidémie Ébola à la fin de 2015, grâce aux efforts soutenus qui ont été déployés par les autorités et la société civile guinéennes. L’épidémie a fait des milliers de victimes, a paralysé l’activité économique, a annulé les gains socio-économiques et a aggravé la pauvreté. »
Dérogation de critère de bonne gouvernance de 2016 portant sur les données inexactes du gouvernement : La complaisance du FMI va jusqu’à accorder une dérogation au « mensonge » d’Etat. Après avoir noté d’importants écarts dans les données fournies par le régime Alpha Condé, le FMI décide de passer l’éponge sur la légèreté des autorités guinéennes en déclarant : « Des données inexactes sur la dette extérieure non concessionnelle du secteur public ont donné lieu à un décaissement non conforme. Étant donné les mesures correctives qui ont été prises par les autorités, ainsi que les mesures prévues pour renforcer la gestion de la dette, les administrateurs ont décidé d’accorder une dérogation pour l’inobservation du critère de réalisation qui a donné lieu au décaissement non conforme. »
Dérogation de critère de bonne gouvernance 2018 en vue d’un décaissement de 23,9 millions de dollars à l’issue de la deuxième revue des résultats économiques obtenus par la Guinée dans le cadre de l’accord au titre de la FEC. Une fois de plus, la Guinée ne remplit pas les critères de gouvernance et présente une demande de dérogation portant modification d’un critère de réalisation et l’inobservation d’un critère de réalisation. La Guinée étant habituée à obtenir facilement des dérogations et des satisfécits complaisants, Alpha Condé ignore les exigences du FMI. Il prend des dettes non-concessionnelles au-delà de la limite de 650 millions de dollars convenue avec le fonds pour maintenir la soutenabilité de la dette guinéenne. Après avoir épuisé les possibilités chinoises, il se tourne vers son réseau au Moyen Orient. Il obtient du Qatar la dette non-concessionnelle de 60 millions de dollars. Le FMI découvre la défaillance et menace d’arrêter le programme. La Guinée plaide pour une dérogation contre la promesse de renégocier la dette à des termes concessionnels et d’utiliser les fonds pour des investissements publics qui contribuent à réduire la misère de la population. Les autorités guinéennes promettent de réduire les subventions non ciblées à l’électricité et s’engagent à gérer prudemment la dette afin d’en maintenir la viabilité, à limiter les emprunts non concessionnels et à renforcer la gestion des finances publiques et de l’investissement. Elles promettent aussi une amélioration du dispositif de lutte contre la corruption et du climat des affaires qui permettra de renforcer la gouvernance et faciliter le développement du secteur privé. La dérogation est alors approuvée. Cependant, inquiet du fait que ses recommandations ne sont pas prises au sérieux, le FMI prend acte des déclarations de bonne foi du gouvernement mais programme une mission de contrôle pour avril 2019.
La part de responsabilité du FMI dans la mauvaise gouvernance ambiante en Guinée
Le FMI a traité la Guinée comme un enfant gâté et continue de multiplier des dérogations aux critères de bonne gouvernance et des satisfécits de performance macroéconomique supposée qui n’est pas ressentie par la majorité des Guinéens. La complaisance a mené au laxisme et à l’enracinement des mauvaises habitudes de gestion dans l’Administration Condé. Malgré les dérapages constatés lors de la mission de fin avril 2019, Mme Georgia Albertin trouve des motifs de satisfaction et adopte l’approche du gouvernement qui consiste à trouver des boucs émissaires pour justifier le manque de résultat. Si ce n’est pas l’épidémie d’Ebola, ce sont les manifestations d’opposants ou les mouvements sociaux des syndicats qui sont la cause des défaillances constatées. Elle déclare à la presse : « Par rapport aux premiers objectifs, les discussions ont abouti à la conclusion que les critères de performance tels que définis par le programme FEC et l’objectif concernant les dépenses des filets sociaux ont été largement atteints au 31 décembre 2018. Cependant, ceux relatifs à la collecte des recettes fiscales et à la variation des arriérés domestiques n’ont pu être réalisés à cause notamment des mouvements sociaux qui ont un impact négatif sur la mobilisation des recettes intérieures. »
Pour le FMI, tout se résume aux bonnes performances macroéconomiques : croissance du PIB (produit intérieur brut), inflation, équilibres budgétaires. L’obsession du FMI pour des chiffres macroéconomiques impersonnels lui font oublier la dimension sociale du développement et l’impératif de promouvoir une croissance qui se ressent dans le panier de la ménagère. Vanter une croissance qui n’a aucune incidence réelle sur le Guinéen, c’est encourager le gouvernement à ne pas donner la priorité au développement. Mme Albertin tombe dans cette erreur en faisant remarquer : « On voit une économie guinéenne avec une croissance importante. Sur la base des données préliminaires, on s’attend à une croissance autour de 6% en 2018 qui va garder le même niveau en 2019. Les secteurs minier et agricole sont en train de booster cette croissance positive. » Or, la croissance économique en question n’est qu’une excroissance d’un secteur minier mal géré. Si ailleurs une croissance du PIB de 6% s’accompagne de chantiers importants de développement en termes d’infrastructures, de boom de construction, de développement de PMI (petites et moyennes industries) et PME (petites et moyennes entreprises) et d’amélioration du revenu par habitant, en Guinée la croissance vantée par le FMI est stérile. Elle repose sur l’extraction et la vente de la bauxite de faible valeur, transformant ainsi la région de Boké en une grande carrière sans le développement qui vient avec l’ouverture de grandes mines. Du temps de Sékou Touré, l’accroissement de la production de bauxite jusqu’à 12 millions de tonnes avait donné naissance à trois lignes de chemins de fer, une usine de traitement de bauxite à Kamsar, une usine d’alumine à Fria, un port minéralier à Boké, deux quais minéraliers à Conakry, et trois villes minières. Les chantiers inachevés de Lansana Conté incluaient pas moins de trois nouvelles usines d’Alumine pour transformer la bauxite sur place et augmenter la valeur ajoutée. Alpha Condé se vante d’avoir triplé la production de bauxite, mais cette croissance n’a eu aucun effet remarquable de développement durable pour le pays. Les nouvelles sociétés se contentent d’extraire le minerai et de l’évacuer en utilisant les infrastructures du temps des années 1970, à part quelques entreprises minières quicommencent à construire leur propre chemin de fer pour faire évacuer la bauxite.
La performance économique en Guinée est devenue un exemple typique de croissance sans développement. D’ailleurs, dans son rapport No. 18/234 portant sur la première revue de la FEC en juin 2018, le FMI reconnaît que la Guinée d’Alpha Condé est celle de la précarité généralisée, de la faiblesse du développement humain, et de l’inégalité du genre. Tous les indicateurs sociaux (taux de pauvreté, d’alphabétisation, d’emploi, de scolarisation, et de mortalité infantile) sont inférieurs à la moyenne en Afrique et dans la sous-région. Ce constat intervient au moment où les exportations minières augmentent de 79%. Grâce à la bauxite, le secteur minier connaît une expansion de 52% et contribue environ 1/5 du PIB et 17% des recettes fiscales. Mais l’excroissance du secteur minier ne concerne que l’extraction, le transport et la vente d’un minerai de faible valeur. Il n’y pas de valeur ajoutée ou de développement induit. L’Indonésie et la Malaisie avaient refusé cette forme de croissance qui les transforme en simple carrière bauxitique, mais la Guinée a sauté sur l’opportunité de les remplacer.
Une autre façon de juger des retombées de la croissance tant vantée est d’examiner son impact sur le PIB par tête. Dans son rapport sur la performance de la gestion des finances publiques (PEFA) de juin 2018, le FMI estime le PIB par habitant de la Guinée à 653 dollars en 2015, 722 dollars en 2016 et 843 dollars en 2017. Cependant, cette croissance n’est pas partagée. En effet, l’impression de l’amélioration du PIB par habitant disparaît immédiatement quand on examine le PIB hors secteur minier. Selon les mêmes chiffres du FMI, le PIB par habitant hors du secteur minier était pratiquement figé autour de 443 dollars entre 2015 et 2017, soit une croissance de 0%. En d’autres termes, la croissance de 6% mue par le secteur minier ne profite pas aux autres secteurs de l’économie. La ruée vers la bauxite ne profite qu’à un réseau politico-affairiste, notamment les amis du pouvoir, les sociétés minières, et les pontes du régime impliqués dans la sous-traitance du transport.
La croissance mue par la bauxite permet facilement au gouvernement de maintenir les équilibres budgétaires et de générer des recettes d’exportations en devises. Mais le problème de fond est que cette croissance ne s’accompagne pas de développement. Le FMI devrait aussi se préoccuper des faibles retombées fiscales de cette croissance à base de bauxite. A cause de l’affairisme qui domine le secteur, les contrats miniers sont mal ficelés. Les nouvelles opérations minières ne payent presque pas d’impôts à cause des exonérations fiscales abusives.
Le Ghana est un exemple de pays où la rigueur du FMI a été salutaire. Les autorités ont accepté volontiers de s’astreindre à la discipline rigoureuse des programmes du FMI. La gestion de l’économie s’est vite améliorée, la croissance s’est accélérée, l’économie s’est diversifiée et ceci a propulsé le Ghana au rang de pays à revenu moyen avec un PIB par tête de 1820 dollars en 2011. Les autorités sont maintenant tellement habituées à la discipline financière qu’elles ont annoncé en avril dernier ne plus vouloir de programme du FMI pour gérer leur économie. Le Ghana est aussi un pays riche en bauxite, mais au lieu de se limiter à l’extraction et la vente de la bauxite brute comme le fait la Guinée, le pays a appliqué la recommandation du FMI de privilégier la diversification de l’économie à travers l’intégration de la bauxite dans son tissu industriel. Ce qui fait que le Ghana produit déjà de l’aluminium et s’apprête à se doter d’une industrie intégrée sur la base de sa bauxite. Il est donc évident que le FMI a traité le Ghana avec la rigueur qu’un Professeur réserve à un l’élève brillant et sérieux dont il souhaite la réussite. Ce traitement contraste avec la complaisance réservée à la Guinée, au moment où le pays fait face à d’énormes problèmes de gouvernance. En effet, la Guinée demeure le pays considéré le plus corrompu de la sous-région selon l’index de perception de corruption de Transparency International. Son score de 28/100 en 2019 est inférieur à celui de la Sierra Leone (30/100), du Libéria (32/100), et du Mali (32/100) sans parler du Sénégal ou la Cote d’Ivoire. Depuis 2011, le score n’a évolué que de 4 points.
Vu la résistance envers les reformes de gouvernance en Guinée, FMI serait mal avisé de faire le jeu du gouvernement en allégeant les exigences de bonne de gouvernance et en vantant les vertus d’une croissance stérile qui n’a pas d’impact sur la majorité des Guinéens. La croissance sans le développement, combinée à la mauvaise gouvernance ambiante, n’est pas un facteur de progrès. Au contraire, cette combinaison exacerbe les inégalités de revenus, cause des dommages sérieux à l’environnement, et entretient le clientélisme et la mauvaise gouvernance au sommet de l’Etat. Le FMI doit changer son approche et influencer le gouvernement dans le sens de l’amélioration de la bonne gouvernance et de la promotion d’un développement qui profite à tous les Guinéens.
L’équipe de rédaction de Guinéenews©