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Dossier – Guinée : Réactions aux débats sur l’introduction du N’ko dans l’enseignement

Nous remercions nos lecteurs pour le débat enrichissant qu’ils ont animé sur le sujet de l’introduction du N’ko dans l’enseignement guinéen. Les nombreux commentaires indiquent l’intérêt que les Guinéens portent à leur système d’enseignement.  Au delà des diatribes émotionnelles et réductrices, nous avons eu des commentaires assez pertinents et informateurs.

Lire : Dossier – Leçons des expériences de valorisation des langues nationales en Afrique et pistes de solution pour le N’ko

Les faiblesses du plaidoyer en faveur de l’introduction du N’ko

Pour Ibrahima Loncebalitai Konaté, Sociologue, Ecrivain et Professeur N’ko, Activiste de la Société Civile Guinéenne, et plusieurs commentateurs, l’introduction du N’ko serait la panacée pour les problèmes de développement de la Guinée.  Dans son article, « Le N’KO, la solution africaine pour aller vers la science, la technique, la technologie à travers nos langues », M. Konaté cite deux linguistes (un américain et un russe) pour étayer sa thèse, mais n’a aucun témoignage d’un homme de science, un éducateur, ou un spécialiste de la recherche appliquée pour confirmer que la langue est la solution du développement technologique.  Les tigres asiatiques et la Chine se sont vite développés non pas à travers une valorisation de leurs langues, mais en apprenant et adaptant le savoir et la technologie de l’Occident. Pour aller vers la science et la technologie, l’Afrique doit s’inspirer de l’exemple du Rwanda qui se préoccupe plus de l’introduction de l’anglais et de l’enseignement par le numérique (Digital Learning) dans son système et investit dans satellites pour relier les écoles rurales à l’internet et des drones pour livrer le matériel essentiel dans les milieux peu accessibles.

Pour Nafadji Sory Condé, membre du groupe de travail sur l’élaboration des matériels éducatifs dans les langues africaines, membre du réseau central de l’alphabet N’ko, auteur de l’ouvrage introduction au N’ko : une alternative linguistique pour l’Afrique. Éditions Harmattan Guinée. 2017 « La proposition de loi sur le N’ko n’impose pas aussi son enseignement à toutes les écoles du pays. Elle dit que c’est à la demande des populations locales, par l’intermédiaire des élus locaux, qu’une école primaire publique ou privée intégrera le programme qui est basé sur la méthode de la pédagogie convergente que les éducateurs appellent le bilinguisme langue maternelle-français. »  Le plaidoyer de M. Condé ressemble à une situation où un protagoniste du N’ko cherche à trouver des arguments pour justifier une décision politique déjà prise.  Sinon avant de décider d’introduire le N’ko ou toute forme d’écriture nationale, il y a des préalables. Il faut au moins une étude ou enquête qui démontre le besoin et l’urgence d’agir, identifie les alternatives de solutions, estime les coûts et définit les moyens de mise en œuvre.  Mais la proposition de loi tombe de nulle part. Elle ignore les réserves exprimées depuis les années d’indépendance par les régimes de Sékou Touré et de Modibo Keita (qu’on ne saurait accuser d’être anti-mandingues) et de leurs successeurs ainsi que d’autres chefs d’Etat d’ethnie mandingue en Sierra Leone, en Gambie, et en Côte d’Ivoire.

Nous convenons avec l’intérêt du bilinguisme langue maternelle-français, le besoin de valoriser nos langues nationales, et l’opportunité de promouvoir la recherche et la vulgarisation du N’ko dans l’espace linguistique malinké. Cependant, à l’exception de la Tanzanie qui a atteint près de 80% de taux d’alphabétisation avec le Kiswahili, il y a peu de cas ou ce genre de résultats est attribuable à l’introduction de langues nationales. D’autre part, les promoteurs du N’ko doivent savoir ce qu’ils veulent.  Si c’est promouvoir et valoriser l’écriture, ils font déjà un bon travail de par le monde.  Ce qui est souhaitable dans le cas de la Guinée, qui réclame la paternité du N’ko, c’est d’appuyer à travers des décisions administratives l’introduction de l’étude et la recherche sur le N’ko et les systèmes d’écriture africains dans les universités guinéennes.  Aller au delà de cet objectif et exiger « une décision politique » sous forme d’une loi imposant le N’ko dans le système d’enseignement pourrait avoir de graves conséquences pour l’unité nationale.  Nous attirons l’attention sur l’amateurisme qui caractérise l’initiative de ce projet de loi. D’abord, le projet ne doit pas porter sur une action facultative ou spécifique. Elle peut exiger l’introduction du bilinguisme, mais ne pas statuer sur l’usage d’une forme d’écriture particulière.  Ensuite, une loi de la république ne doit pas confondre l’intérêt des prometteurs de N’ko avec l’intérêt général de toute la population guinéenne.  Le projet de loi doit être une initiative ministérielle ou parlementaire.  Si c’est l’initiative privée d’un groupe parrainé par un député, les critères d’appréciation devraient être plus stricts.  Si l’objet de la loi est de valoriser les langues nationales et leurs moyens de transcription, le n’ko ne doit pas entre la seule option, mais une des options à considérer.

Introduction du N’ko dans l’enseignement : loi contraignante ou optionnelle ?

Dans son article, M. Condé et plusieurs défenseurs du projet de loi soutiennent que le gouvernement ne cherche pas à imposer le N’ko à travers la loi.  Pourtant, depuis que le régime Sekou avait refusé d’adopter le N’ko, les tentatives de recherche d’une décision politique imposant l’écriture au système d’enseignement guinéen sont menées sur plusieurs plans.  Interrogé par mosaiqueguinee.com en novembre 2017 sur l’état d’avancement des efforts de promotion du N’ko, Ibrahima Kanté, fils aîné de l’inventeur Souleymane Kanté, avait répondu : « Le N’ko n’a besoin qu’une décision politique, parce que quand vous partez en Guinée profonde, vous ne verrez aucune personne qui n’écrit pas le N’ko. Tout le monde l’écrit et le lit. Mais, nous ne pouvons pas imposer le N’ko à l’Etat guinéen ; le n’ko n’attend que cette décision politique pour l’intégrer au moins dans la faculté des langues. Il est enseigné partout dans le monde, en Guinée, on n’apprend nulle part, mais ne ce reste que la faculté des langues de Conakry l’enseigne. Nous allons poursuivre le combat, parce que c’est engagé et on se n’arrêtera pas, car les Blancs viennent apprendre se savoir, ils apprennent les chansons, les cantiques… »

Alpha Condé n’avait pas échappé à la pression des promoteurs de N’ko. Dès sa prise de fonction en 2011, l’une des décisions de ses 100 premiers jours au pouvoir sera un décret du 18 mars 2011 portant création d’un centre de recherche et de vulgarisation de N’ko sous l’autorité du Directeur National de la Recherche Scientifique et de l’Innovation Technologique (DNRSIT). Selon le décret, le Centre doit mettre en œuvre « la politique du gouvernement dans le domaine de la recherche et de la vulgarisation de N’Ko … de faire de l’écriture N’Ko, un moyen de vulgarisation de la science, de la technique et de la culture… de traduire et de transcrire : les manuels didactiques, les textes de loi et articles scientifiques, les messages d’éducation à la citoyenneté et les grandes orientations du gouvernement » Mais même Alpha Condé a dû oublier le décret, face à la réalité politique et économique de changer tout un système d’éducation pour accommoder le système d’écriture de la langue d’une des ethnies du pays.

Afin de forcer la mise en application du décret, les promoteurs de N’ko entendent instrumentaliser l’Assemblée Nationale pour voter une loi déclarant le N’ko comme écriture nationale et l’introduire au système d’enseignement. Pour preuve de la volonté des promoteurs d’imposer le N’ko à tous les Guinéens, nous  renvoyons à la déclaration du Président du Groupe Parlementaire RPG faite aux députes le 4 juillet 2019 : « Après les explications de nos collègues, je proposerai et je suis convenu avec l’auteur de la proposition que la loi sur la l’alphabet Nko devait avoir deux étapes : une première étape, c’était d’abord la reconnaissance de l’écriture comme une écriture nationale et certainement par voie réglementaire, implémenter comment elle pouvait être enseignée dans les écoles. »

A cause de ces spécificités, l’écriture N’ko n’est utilisée que dans l’espace mandingue actuel. Les adeptes du N’ko essayent d’en faire un mode de transcription universel, capable de service toutes les langues. Il y donc des initiatives de lobby pour faire adopter le système comme « écriture nationale » dans l’espace mandingue. Ces initiales n’ont abouti dans aucun pays à cause des contraintes pratiques et le souci de préserver l’unité nationale. La langue malinké n’est lingua franca qu’en Haute Guinée et dans une certaine mesure en Guinée Forestière. La situation est différente au Mali où le bambara est parlé par 80% de la population. Malgré la situation linguistique favorable où une langue mandingue est le ligua franca du pays, le Mali a résisté à la pression d’imposer le N’ko comme écriture nationale.  

Nous invitions ceux qui ont des doutes à bien relire la proposition de loi, surtout les clauses suivantes et nous dire si ce n’est pas une proposition de loi taillée sur mesure pour imposer le désir des promoteurs du N’ko. L’Assemblée Nationale, après en avoir délibéré, adopte la présente loi. La République de Guinée […] s’engage à protéger, promouvoir et valoriser les langues et cultures nationales, à travers l’introduction de l’alphabet N’ko dans son système éducatif pour leur transcription et leur enseignement (TITRE I : DISPOSITIONS GENERALES) ; la République de Guinée adopte que le Kissie, le Kpellewoo, le Lomagoe, le Maninkakan, le Poular et le Soussou sont des langues nationales pratiquées. L’Etat rend obligatoire l’enseignement de ces langues, concomitamment avec le français, dans les écoles primaires sur le territoire guinéen (Art.3). L’Etat introduit le N’ko dans son système éducatif pour la transcription et l’enseignement des Langues et Cultures enracinées sur le territoire Guinéen (Art. 4) ; L’Etat fait sienne l’entrée en vigueur de l’article 9 du Décret D/2011/093/PRG/SGG du 18 Mars 2011 portant création du Centre de Recherche et de Vulgarisation de l’Alphabet N’ko (Art. 5) ; La formation des maîtres sera assurée par le N’ko FODOBA DOUMBOU et le CEREV N’ko (art. 12) ; Les dépenses résultant de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par une majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’Etat, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux Contributions indirectes et taxes diverses (boissons alcoolisées et gazeuses, tabac, or, argent, diamant), et la taxe intérieure sur les produits pétroliers du code général des impôts de Guinée (Art.17).  Ce n’est que dans l’article qu’il est mentionné : en attendant l’entrée en vigueur dans ces sous ordres d’enseignement, l’enseignement du N’ko est facultatif ou optionnel. Ce qui veut dire que la loi serait contraignante dès que le gouvernement remplit certaines conditions administratives.

A suivre…

L’équipe de rédaction de Guinéenews©

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