Un appartement de deux à trois pièces, placé entre 2.000 à 5.000 $. Une villa haut standing : 6.000 à 7.000$ pour 12 mois d’avance. Visite avec les démarcheurs : 70.000 GNF avec un mois du loyer… Sans compter l’arrogance des propriétaires. Voilà quelques tristes réalités auxquelles sont confrontées aujourd’hui les populations de Conakry.
Aujourd’hui, trouver un logement à Conakry relève d’un parcours du combattant. Surtout quand on est de la catégorie des petits salariés. Dieu seul sait que c’est le cas de la grande majorité des travailleurs en Guinée. Les loyers flambent pendant que les revenus stagnent. Pour trouver un logement, quand le bouche-à-oreille n’a pas été effective, il faut recourir au service des margoulins ou démarcheurs qui se font appeler « agents immobiliers ». Ils ont sous la main des maisons à louer et ne les font visiter qu’à ceux qui leur versent 50 à 70.000 francs guinéens de frais de visite. Mais le tout n’est pas de trouver le logement qui convient. Il faut aussi verser un an d’avance que le propriétaire du logement exige avant de céder.
Dans ces conditions, les fonctionnaires moyens, les ouvriers sont obligés de trouver les logements là où leurs revenus le leurs permettent. C’est-à-dire dans des vieux quartiers précaires, des bidonvilles, dans les bas-fonds, sur des versants abrupts, le plus souvent sans eau courante ni électricité. Des quartiers où on vit entassés les uns sur les autres. Le chômage y étant très élevé, on peut trouver facilement dans un ou deux pièces, une dizaine de personnes. Quand des sanitaires existent dans ces cours, ils sont en état plus ou moins avancé d’insalubrité à cause de leur surutilisation.
La ruée des populations des pays en guerre cause la flambée des prix des loyers
La crise de logement s’est aggravée ces vingt dernières années à Conakry. Et pour cause :
On se souvient que pour fuir la guerre et les exactions des soldats qui avaient envahi leurs pays, les populations du Libéria, de la Sierra-Leone et de la Côte d’Ivoire avaient en masse trouvé refuge en Guinée. Des centaines de milliers de personnes se sont retrouvées ainsi par contrainte à Conakry qui a vu ainsi sa population doublée voire triplée en un temps record. Aujourd’hui, vingt ans après, les problèmes pour trouver un lieu où dormir se posent avec acuité.
En effet, plusieurs d’entre eux ayant tout perdu en fuyant la guerre ou ayant décroché un travail ou encore rencontré des opportunités d’affaires y sont restés et se sont établis définitivement. Malheureusement, aucune mesure dans un contexte de crise aiguë, n’a été prise par les autorités d’alors pour faciliter l’installation des déplacés de guerre. Du coup, trouver un chez-soi actuellement demeure un casse-tête pour les candidats au déménagement.
La surpopulation de la ville de Conakry n’est pas la seule raison qu’on puisse avancer pour expliquer la crise de logement. Bien que les logis soient rares, c’est surtout le coût du loyer et les conditions d’accès qui représentent la cerise sur gâteau. Quelle que soit la commune, le constat est le même : les maisons coûtent extrêmement chères. Cependant, le SMIG guinéen avoisine 430.000 francs guinéens. On peut d’ores et déjà imaginer le calvaire des familles pour la plupart, nombreuses.
Outre le loyer trop élevé, l’épineux problème des cautions vient tout compliquer. Pour amorcer un déménagement, il faut prévoir au minimum douze mois d’avance. Certains propriétaires demandent jusqu’à cinq ans d’avance sans oublier que, dans la majorité des cas, il faudra verser l’équivalent d’un mois de loyer aux soi-disant agents immobiliers ou démarcheurs qui pullulent dans la capitale et qui en rajoutent aux ennuis des locations. N’oublions pas également les droits de visite et autres dépenses à effectuer pour location de véhicule de déménagement. Dans une situation de crise économique et de chômage généralisé, il faut être courageux, endurant et armer d’une ferme détermination pour surmonter toutes ces barrières avant d’accéder à un toit décent.
En somme, trouver une maison à Conakry, il faut se lever de très tôt. Depuis des années 90, la crise de logement s’est accentuée pour atteindre un pic à l’orée de l’an 2020. Gros plan sur la situation dramatique que vivent les populations de Conakry.
Le diktat des propriétaires de maison, les souffrances et témoignages de certains locataires
Mohamed Touré se la coulait, avec sa petite famille et son fils, des jours paisibles dans le bâtiment qu’ils occupaient depuis quelques années à Boussoura, dans la commune de Matam. Jusqu’au mois de mars 2018, quand le propriétaire des lieux, pour des problèmes personnels décide de vendre la cour.
Alors qu’il croyait pouvoir perpétuer, avec le nouvel acquéreur, les bons rapports qu’il entretenait avec l’ancien propriétaire, le jeune banquier va très vite déchanter. Les choses vont tourner au vinaigre. L’homme, un riche commerçant, va, en si peu de temps, se révéler être un personnage encombrant et intrigant.
« Le monsieur a commencé à me rendre visite régulièrement pour solliciter un prêt important à ma banque. Une sollicitation que j’ai poliment refusée pour des raisons professionnelles. Il ne fallait pas. A une occasion, l’homme n’a pas manqué de faire une remarque sur les tenues vestimentaires de mon épouse et mes visiteurs. Mon frère, es-tu sûr que tes visiteurs-là sont des hommes sérieux ? » m’a-t-il lancé, se souvient-il.
Sous une forme déguisée de menace, le banquier et sa famille subiront d’ailleurs plusieurs fois les appels au pied levé de son nouveau propriétaire pour lui prêter de temps en temps de l’argent. A chaque fois, le jeune banquier use de stratagèmes pour résister. A bout de souffle, il avoue finalement au commerçant qu’il ne peut pas et ne pourra pas servir d’intermédiaire pour un prêt à la banque.
« Les jours qui ont suivi, le propriétaire est venu m’informer de sa décision de transformer la maison en magasin de farine. Et qu’il faut que je libère la maison dans les plus brefs délais. J’ai plaidé auprès de lui afin qu’il m’accorde un peu de temps jusqu’aux vacances scolaires pour ne pas perturber mon fils. Peine perdue. Sans état d’âme, il a commencé, alors que j’étais au travail à déposer les sacs de farine devant ma porte. J’ai été donc contraint de partir sans attendre. »
Les histoires plus ou moins semblables à celle qu’a vécue Moh Touré sont légions à Conakry. A défaut d’en avoir été victime, tous ceux avec qui nous avons échangé sur le sujet, ont, au moins, un témoignage.
« Ceux qui ont des maisons profitent de la flambée des demandes de logement pour imposer leur diktat aux demandeurs. Ils sont les rois de la domination. Je ne sais pas si dans ce pays quelqu’un a plus de pouvoir sur son prochain qu’un propriétaire sur son locataire », révèle Salifou Camara. L’homme a dû bander les muscles pour obtenir de son locataire le remboursement de sa caution avant de quitter la maison à Taouyah, dans la commune de Ratoma. « Dès les premières pluies, la maison qui ne présentait aucune faille apparente, s’est avérée être un véritable parapluie de grillage. L’eau suintait de partout dans le plafond. A la dernière saison des pluies, ma famille et moi avions pratiquement veillé toutes les nuits pour recueillir l’eau dans des bassines afin qu’elle n’inonde pas toute la maison », relate l’enseignant qui face à la situation, a demandé au propriétaire du logement de refaire les travaux de la toiture. « Il m’a répondu qu’il n’avait pas les moyens d’engager des travaux de réparation et que si je voulais, je pouvais le faire puis il défalquerait progressivement les dépenses du loyer. Quand je lui ai dit que, moi aussi, je n’avais pas de moyens, il a rétorqué que rien ne m’empêchait de partir. Mais qu’il ne fallait surtout pas que je compte sur lui pour me reverser ma caution dans l’immédiat et que je devais attendre qu’un nouveau locataire paie pour que je rentre en possession de mon dû », explique l’enseignant.
Cette réplique, ajoute-t-il, « a été pour moi la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Je lui ai dit que je partais dans une semaine, mais que je lui en accordais deux pour me donner mon argent, sinon je ne répondais de rien. Il a certainement compris que je ne plaisantais pas. Et il m’a remis ma caution avant même que je ne libère sa maison. »
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Résidant à Enta, B. Kéita, un transitaire, a, quant à lui, préféré retourner dans la cour familiale à Kaloum, parce qu’il ne pouvait en aucun cas accepter de payer le double de son loyer. « Mon concessionnaire a décidé sur un coup de tête, d’augmenter le loyer de 500.000 à 800.000 francs guinéens sous prétexte que le coût de la vie a grimpé », raconte notre interlocuteur.
Pour ce dernier, le coût fixé par les promoteurs immobiliers est symptomatique du pouvoir qu’ils détiennent sur les personnes qui louent leurs maisons. « On a l’impression qu’en Guinée, aucune loi ne régit l’habitat locatif, encore moins la relation locataire. L’un se croit tout permis, le second finit par accepter sa position de dominé. Et donc, on assiste à tous les abus », conclut B. Kéita.
A Conakry, les avances et cautions sont fixées « à la tête du client ». Pour S. Abdoulaye, « il y a ce que les textes disent et il y a ce qui se passe sur le terrain », ironise Abdoulaye, la quarantaine révolue, à la recherche d’un logement à louer dans la commune de Ratoma, ajoutant que « des propriétaires proposent jusqu’à un an d’avance au lieu de trois mois ».
Ce comptable dans une structure privée et père de trois enfants dit être « prêt » à se « plier » à toutes les exigences des démarcheurs qui pourront (lui) proposer une maison à Ratoma-Konimodou, un quartier proche de l’école de ses enfants.
Est-il au courant de l’existence des textes au département de la Ville ?
« Tout le monde ne sait pas que des textes et des mesures existent. Moi-même je ne sais pas où me plaindre si on me demande par exemple de payer un an d’avance. On n’a pas le choix ! En plus, il est difficile de trouver une maison », dit-il. Le plus « important » selon S. Abdoulaye, c’est d’établir « une sorte de baromètre pour fixer les prix des loyers en fonction de la superficie et des commodités » des domiciles dans les quartiers comme Kipé, Nongo, Lambanyi et autres.
Avoir un loyer à l’avance et à faible caution relève d’une chance inouïe
« Tout dépend de la personne sur qui vous tombez. C’est vrai, les prix des loyers sont fixés souvent à la tête du client. Mais tout dépend aussi de la chance », souligne Kpokhomou C, agent à l’EDG qui soutient que tout a été respecté lorsqu’il a aidé un ami dans ses démarches pour la location d’un appartement non loin du Centre Emetteur à Kipé. « Le local a été obtenu avec un coût et une avance raisonnables de trois mois », nous a-t-il appris avant d’admettre tout de même le mauvais comportement des démarcheurs pendant la recherche et après l’obtention de l’appartement.
Les raisons avancées par les démarcheurs et les Concessionnaires
Interrogé sur cette mauvaise attitude décriée par les candidats à la recherche du logement, Cheick Sylla, un vieux démarcheur du carrefour CBG à Hamdallaye, explique que cette « exagération » observée dans la fixation des montants représentants les avances, relève d’une « stratégie » de vente.
« Tout dépend du demandeur. Si le propriétaire ou le démarcheur se rend compte que celui qui est en face ne connait pas les réalités ou qu’il a urgemment besoin d’une maison, il peut facilement imposer ses conditions… », a-t-il fait savoir.
Quant à dame Maï Bangoura, une propriétaire de bâtiment à louer, elle estime pour sa part que les textes existants au ministère de la Ville ne militent pas en faveur des propriétaires de maisons. Parce que, selon elle, personne ne les aide quand les locataires refusent de payer. « Une fois que les locataires entrent dans la maison, c’est difficile de les faire sortir même quand ils ne paient pas pendant des mois. Celui qui construit perd dans cette histoire. Donc, quand on peut prendre beaucoup d’argent, on en profite », avance-t-elle sous des craquements de coques d’arachides grillées.
Mollah Soumah, un autre propriétaire de maison interrogé à Matam soutient que certains locataires sont des mauvais payeurs. Comme quoi, après avoir consommé les mois payés en avance, ils sont incapables d’honorer leurs engagements. Donc lui, il préfère demander plusieurs mois d’avance. Une fois les douze mois consommés, il te demande une autre avance d’un an ou de quitter sa maison.
Que fait l’Etat face à cette crise de logements ? Et quelles mesures envisagées pour atténuer la souffrance des populations vis-à-vis des propriétaires de maisons ?
Au ministère de la Ville et de l’Aménagement où nous nous sommes rendus, Il nous a été demandé de nous tourner vers la SONAPI (la Société Nationale d’Aménagement et de Promotion Immobilière). Une société mise en place par l’Etat pour la promotion des logements sociaux et qui évolue actuellement sur le terrain.
Rencontré au siège de la société à Yimbaya, Boubacar Kéita, son directeur général nous apprend effectivement que le logement social est une priorité du gouvernement plus particulièrement du Chef de l’Etat. « Nous sommes confrontés à un déficit criard de logements sociaux. Et cela préoccupe le Président de la République. Depuis quelques temps, nous sommes sur le terrain pour la promotion immobilière dans notre pays. Nous sommes partout à travers la Guinée. Nous sommes à Conakry, à Kankan, à Labé, à Kindia… D’ici là, notre pays disposera de logements sociaux et on parlera moins de crise si tout va bien. Nous avons quelques problèmes. Mais le plus préoccupant, c’est bien sûr celui d’argent. Mais nous sommes en train de développer des stratégies pour obtenir les financements. Il y a une convention en cours de signature entre la Banque Centrale de Guinée, les banques primaires et le gouvernement pour nous permettre de commencer les grands chantiers. Je vous apprends que la SONAPI a un titre foncier de 16 hectares à Kanssoya, dans Coyah plus grand que la commune de Kaloum », précise-t-il avec fierté.
Quant aux dispositions envisagées pour soulager les candidats aux logements qui subissent le diktat des propriétaires de maison, on nous apprend dans les locaux du ministère de la Ville et de l’Aménagement du Territoire que les textes existent, mais c’est par méconnaissance que les candidats aux logements souffrent et que les propriétaires de maisons continuent à leur dicter leurs lois.
Pour soulager les citoyens dans cette période de saison pluvieuse en Guinée, le ministre de la Justice par intérim Mohamed Lamine Fofana a interdit toute expulsion de locataire pendant la période allant du 30 juin au 30 octobre 2019, indique une note circulaire du département rendu public le 27 juin 2019.
Dossier réalisé par Louis Célestin