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Dossier-Commercialisation des noix de cajou à Kankan : sans débouché, les producteurs à la merci des traders étrangers

Les producteurs d’anacarde évoluant de la Haute Guinée sont actuellement en plein dans la récolte des noix. Dans la région administrative de Kankan, la filière compte 20 mille producteurs qui mettent en valeur environ 22 mille hectares, rapportent les statistiques (2017) de la direction régionale de l’ANPROCA (Agence Nationale de la Promotion Rurale et du Conseil Agricole).

En dépit de l’énorme engouement suscité depuis quelques années par cette culture de rente en Guinée d’une manière générale et particulièrement en Haute Guinée, les planteurs ne bénéficient pas encore d’un accompagnement adéquat de la part de l’Etat et de ses services déconcentrés. Outre cette situation, il faut noter une totale désorganisation de la filière, le tout sur fond d’une désunion des acteurs.

Dans ce grand reportage qui suit, votre quotidien électronique Guinéenews s’est intéressé aux contraintes et difficultés liées à la culture de l’anacarde dans la région de la savane guinéenne. Il s’agit précisément du volet récolte, du transport, de la commercialisation des noix et enfin de la perte liée à la non-transformation des pommes de cajou. Bref, la chaîne de valeur.

Les contraintes liées à la récolte des noix de cajou

Selon certains planteurs vivant dans la zone de Kankan et environs, les principales entraves se résument essentiellement au manque de main d’œuvre, à l’enclavement des champs et leur a envahissement par les animaux domestiques en divagation, au manque d’appui constant de l’Etat dans la commercialisation des produits.

Parlant du manque de main d’œuvre pendant la récolte des noix de cajou, Abdoulaye Sanoh, un des planteurs à Bankôla (sous-préfecture de Moribaya), située à 40 kilomètres de la commune urbaine de Kankan, affirme mettre souvent à contribution des femmes. « Avec mes huit hectares d’anacardiers, je fais appel aux femmes pour m’aider à ramasser les noix. Pour leur rétribution, elles reçoivent un kilogramme sur chaque 5 kilogrammes ramassés », a-t-il indiqué.

D’ailleurs, pour la cueillette des noix, d’autres planteurs s’attachent les services des groupements de jeunes filles et de femmes.

Celles-ci cueillent les pommes qu’elles revendent puis encaissent l’argent généré. Mais en retour, elles ont l’obligation de retourner les noix au planteur.

Ce commerce constitue, ces temps-ci, une source de revenus pour ces filles et femmes des villages de Kankan qui sont aperçues à travers la ville avec leurs plateaux remplis de pommes d’anacarde. Mais le client est contraint d’enlever les noix une fois qu’il achète la pomme.

Pour le transport des produits récoltés, du champ à la maison, Abdoulaye Sanoh  loue les motos tricycles communément appelés ici « Katakatanin » à cause de l’enclavement de la plantation.

Pour ce planteur modeste, les feux de brousse constituent très souvent des dangers qui déciment les jeunes plants d’anacardiers. L’autre fléau qui touche les planteurs de la filière de cajou, c’est la divagation des animaux.

Selon notre interlocuteur, les bœufs à la recherche de pâture, envahissent les plantations d’anacardes et dévastent les pommes en maturité qu’ils ingurgitent avec les noix.

La déstructuration de la filière

Peu structurée, la filière anacarde a considérablement besoin d’un soutien de l’Etat au-delà des initiatives présidentielles actuelles. Ceci pour éviter aux producteurs d’être à la merci des spéculateurs étrangers pendant la campagne de commercialisation.

Depuis l’arrivée des Indiens et Chinois, la filière a enregistré durant les deux dernières années un regain d’intérêt chez les producteurs locaux qui ont vu flamber pendant ce temps le prix du kilogramme.

L’Etat qui avait consenti d’importants efforts à travers l’appui à l’approvisionnement des paysans en semences de qualité, n’arrive plus à assurer le même soutien. Ce qui donne aux producteurs l’impression d’être abandonnés par l’Etat.

Fanta Mady Doumbouya, est un ingénieur en génie rural à la retraite. Il est dans cette activité depuis une dizaine d’années. Avec une plantation d’au moins 5 hectares d’anacardiers à la sortie de la ville, sur la Route Nationale (RN) Kankan-Kouroussa, il déplore l’absence d’un accompagnement conséquent et continu des planteurs de la part du gouvernement guinéen.

« Je peux vous assurer que tous ceux qui sont dans cette activité, volent de par leurs propres ailes. Les planteurs guinéens sont quasiment les seuls à évoluer ainsi dans la sous-région, en raison, en grande partie de la faible professionnalisation de la filière. Ni banque agricole pour des prêts aux planteurs ni subvention ou même rachat de la récolte pour ensuite revendre aux traders », a fustigé cet ingénieur à la retraite.

D’après lui, c’est cet abandon et surtout la désunion des planteurs qui les mettraient en position de faiblesse face aux acheteurs de noix de cajou. « L’absence de l’Etat à nos côtés dans la vente de nos produits, fait que les acheteurs à travers de multiples intermédiaires nous dictent leurs prix. Au moment des achats, ce sont des gens qui viennent passer des communiqués dans les radios de la place pour inviter les paysans à envoyer leurs noix. Profitant de leur illettrisme, ils leur dictent les prix leurs prix. L’année dernière par exemple, moi j’étais obligé de garder mes 2 tonnes et demi de noix à cause du prix. J’étais tellement découragé, qu’il m’est arrivé d’aller raser toute ma plantation d’anacarde et m’en laver totalement les mains de cette culture », nous a témoignés Fanta Mady Doumbouya qui estime toutefois qu’avec le soutien du gouvernement, les paysans s’en sortiraient mieux.

« En 2017, le gouvernement s’est impliqué en octroyant non seulement des semences mais aussi dans la vente des noix. Ce qui a permis de vendre le kilogramme de noix de cajou jusqu’à 20 000 GNF. Avec l’absence de l’Etat, ce prix a chuté à 8 000 GNF (soit une diminution de 40% du prix initial) l’an dernier et cette année, nous sommes à moins de 5 000 (3 500 GNF) », a-t-il indiqué.

Ce constat peu reluisant de ce planteur n’empêche guère le directeur régional de l’agriculture par intérim de Kankan Cheick Abdel Kader Sidibé, de vanter les bienfaits de l’accompagnement du gouvernement à travers l’initiative présidentielle. Celle-ci, soutient-il, aurait permis à la filière anacarde d’enregistrer le boom qu’elle connait actuellement.

« C’est grâce à l’appui du gouvernement à travers l’initiative présidentielle que la culture de l’anacarde a connue ce bond actuel. Et là, il faut dire que cet accompagnement est parti du choix des terres à l’octroi gratuit de semences et à l’encadrement des producteurs à travers les cadres de l’ANPROCA », a-t-il déclaré.

Absence d’unités de transformation de la pomme, un facteur aggravant de la précarité des planteurs de la filière 

En dépit de la présence de l’usine de jus de fruits de Kankan qui est censée transformer sur place les agrumes de la région en jus naturels, les pommes d’anacarde pourrissent quasiment toutes dans les plantations.  L’absence d’unités de transformation des pommes de cajou constitue un facteur de découragement et de perte pour les planteurs locaux. D’où l’appel lancé par Bourlaye Touré, un planteur d’anacarde à Badako, un district non loin de Kankan, aussi bien à l’endroit de l’Etat qu’aux investisseurs privés. Afin de faciliter l’installation sur place des unités de transformation des pommes d’anacarde.

« Nous invitons les autorités du pays ainsi que les bailleurs de fonds de penser à investir dans la mise en place des unités de transformation en jus de pomme d’anacarde dont la destruction est un véritable gâchis pour nous. Cela nous permettra de gagner une plus-value et surtout nous évitera de compter exclusivement sur la vente des noix dont les prix sont souvent très volatiles », a lancé-t-il.

A cet appel, le directeur régional de l’agriculture de Kankan a rappelé que le gouvernement s’attèle à faire intéresser le secteur privé à travers notamment l’installation des unités de transformation de la noix de cajou.

Par ces temps qui courent, la culture de l’anacarde dans la région de la savane guinéenne est devenue pour le monde paysan que pour des fonctionnaires une véritable activité génératrice de revenus. A en croire une étude menée en 2017 par la direction régionale d’ANPROCA, 21 964 hectares ont été mis en valeur par 20 284 producteurs dans les 5 préfectures de la région administrative de Kankan, qui ont bénéficié au même moment de 127 088 tonnes de semences octroyées.

S’agissant de la quantité de production annuelle dans la région, aucune statistique fiable ne serait disponible actuellement, souligne le directeur régional de l’ANPROCA.

Plusieurs obstacles entraveraient l’épanouissement de cette culture qui occupe une place de choix dans l’économie locale à l’échelle de la Guinée voire des pays limitrophes. Parmi ces contraintes, il faut noter entre autres, la déstructuration de la filière qui fragilise quasiment les planteurs face aux traders étrangers notamment Indiens et Chinois pendant la commercialisation des noix de cajou.

En ce qui concerne les pommes de cajou, l’essentiel des productions pourrit dans les plantations faute d’unités de transformation. Déjà, le kilo de noix qui avait atteint 6 500 GNF en début de récolte, a chuté à 3 500 GNF.

Jusqu’où l’Etat intervient dans la filière ?

Face au cri du cœur lancé par les producteurs, en plus du directeur régional de l’agriculture de Kankan, Guineenews a essayé de joindre Chérif Diallo, le directeur du bureau de stratégie de développement (BSD) du ministère de l’Agriculture pour clarifier un certain de nombre de choses qui semblent échapper à l’opinion.

« Il faut dire qu’en raison de l’engouement suscité et malgré les problèmes dont se plaignent les planteurs en Haute Guinée, le ministère de l’Agriculture a assuré un encadrement des planteurs dans toutes les régions depuis 2016 avec un appui très fort de l’initiative présidentielle », a-t-il précisé.

« L’ANPROCA a recruté de jeunes conseillers agricoles qui ont été orientés en grande partie sur cette filière. Le gouvernement a apporté son appui à travers la fourniture des semences à des prix supportables par les planteurs. Il y a des activités qui sont en cours pour aider à une meilleure structuration des planteurs et à l’introduction des équipements de transformation sur place pour apporter une valeur ajoutée à la production locale.

Il s’avère que la filière anacarde est très porteuse, mais les planteurs ont besoin d’un appui conséquent du gouvernement, allant au-delà des initiatives présidentielles, à travers l’appui de l’ANPROCA à la structuration. L’activité de plantation d’anacarde est une activité privée, l’Etat apporte son appui pour l’acquisition des intrants et l’appui à la commercialisation.

De leur côté, les planteurs devront travailler davantage à la professionnalisation de la filière. Car, ils sont les premiers et les principaux acteurs aussi bien de la production, de la transformation et de la mise en marché. Le rôle de l’Etat reste celui de facilitation et d’accompagnement. Il appartient aux producteurs de s’organiser, de se structurer et de se mettre en partenariat avec les marchés », a interpellé le patron du BES du ministère de l’Agriculture.

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