Au-delà du tollé que la lettre a suscité, la réclamation de don à la société CIMAF par le ministère des Mines et de la géologie souffre de manque de base légale. C’est du moins ce que nous retenons de l’entretien accordé à Guineenews par un spécialiste de la gouvernance dans le secteur minier. Même si dans les médias, l’auteur du document, Yagouba Kourouma, interpellé, invoque l’intention de faire gagner à plus à l’Etat, sur la base de l’article 2 du code minier.
Pour rappel, dans un courrier dont une copie tourne en boucle sur la toile depuis 48 heures, le conseiller économique et fiscal du ministère en charge des mines réclame deux (2) millions de dollars US à la société Cimaf. Ce dans le cadre de la matérialisation d’un engagement verbal qu’aurait fait un ancien directeur général de l’entreprise, aux autorités du pays.
Joint par Guineenews, Amadou Bah, membre du comité de pilotage de l’initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), au compte du collège société civile a exprimé sa surprise à la lecture du document devenu viral sur la toile.
Pour lui, techniquement, « la lettre manque de deux choses: une précision légale qui aurait déterminé le principe sur la base duquel l’Etat devrait percevoir cet argent, et l’entité étatique en charge de la perception de cet argent, au regard de ses prérogatives ». Et de citer «la direction du trésor et de la comptabilité publique, la CPDM, la direction nationale des mines». Puis, de s’interroger, «pourquoi il n’a pas indiqué le compte de l’Etat qui devait recevoir ce montant ».
En tout cas, insiste-t-il, «une lettre administrative devrait normalement donner tous ces détails ». Expliquant auparavant que, « de ce que nous savons du cadre légal guinéen, les frais d’instruction des dossiers de demande de titre sont versés au compte du CPDM (centre de promotion et de développement minier), à la banque centrale (BCRG). Et le processus doit être géré entre la direction nationale des mines et le CPDM. Et en dernier ressort, ils émettent un avis favorable ou non, après avoir examiné la capacité technique et financière de l’entreprise en question, au ministre des mines qui doit se prononcer sur l’octroi ou non du permis ».
A propos des arguments du ministère, en l’occurrence la volonté exprimée dans les médias de faire gagner plus à l’Etat en invoquant l’article deux (2) du code minier, pour M. Bah, «la seule motivation qui devait être mentionnée, ce sont les dispositions légales en la matière, notamment la procédure cadastrale qui demande que l’entreprise justifie la capacité technique et financière requise».
Cela dit, si notre interlocuteur note n’avoir «pas vu de dispositions qui permettent la réclamation » faite par le collaborateur du ministre Moussa Magassouba, il sait tout de même «qu’il y en a qui interdisent aux agents de l’Etat de solliciter quelques faveurs que ce soit, de la part d’un acteur minier». C’est le cas des articles 8 et 154 du code minier révisé de 2011, précise-t-il.
Même l’argument sur le vide juridique invoqué par le conseiller fiscal, selon lequel le schiste n’est pas répertorié parmi les minerais et matériaux en Guinée, est réfuté par le spécialiste. Au contraire, pour le promoteur de la gouvernance, «le schiste étant dérivé de l’argile, cet argument ne tient pas ». Et d’expliquer : «à partir du moment où l’argile, le gravier, le granite sont classés dans la catégorie des matières. Donc le schiste est de facto dans cette catégorie des matériaux ou des minéraux de développement ou de faible valeur». Surtout que, appuie-t-il, «qu’il s’agisse de carrière permanente ou temporaire, le procédure est définie, ainsi que le service de l’administration qui doit intervenir». Avant d’interpeller à nouveau l’administration minière «sur les faits que les dispositions ne soient pas visées».
Voici in extenso, les dispositions légales invoquées plus haut:
Article 2 : Objet de la loi
«La présente loi portant Code minier a pour objet de réguler le secteur minier en vue de promouvoir les investissements et d’assurer une meilleure connaissance du sol et du sous-sol de la République de Guinée. Elle vise à encourager la recherche et l’exploitation des ressources minérales de manière à favoriser le développement économique et social de la Guinée. Elle vise aussi à promouvoir une gestion systématique et transparente du secteur minier qui garantit des bénéfices économiques et sociaux durables au peuple guinéen, dans le cadre d’un partenariat réciproquement avantageux avec les investisseurs ».
Article 8 : Conflit d’intérêt
«Les membres du Gouvernement, les fonctionnaires du Ministère en charge des Mines et de la Géologie ainsi que d’autres fonctionnaires jouant un rôle dans la gestion du secteur minier, ne peuvent avoir des intérêts financiers, directs ou indirects, dans des entreprises minières et leurs sous-traitants directs ou indirects.
Ils sont tenus sous peine de sanctions, de déclarer leurs intérêts et/ou de se déclarer incompétents pour participer à la prise de toute décision ayant un impact direct ou indirect sur leurs intérêts.
De même, les cadres et agents des sociétés minières ne peuvent, sous peine de sanctions, avoir des intérêts financiers, directs ou indirects dans les sociétés ayant un contrat de sous-traitance directe ou indirecte avec la société qui les emploie, et/ou d’autres sociétés ayant un quelconque intérêt financier avec les sociétés dans lesquelles ils exercent en qualité d’employé.
Toute filiale du titulaire ou d’un des actionnaires de celui-ci doit faire une déclaration d’identité préalable précisant la nature du lien dans toute soumission à enjeu économique et financier concernant les sociétés minières en Guinée ».
Article 154 : Interdiction de paiement de Pots-de-vin
«Il est interdit à toute société active ou intéressée au secteur minier guinéen, ou à tout fonctionnaire, directeur, employé, représentant ou sous-traitant d’une telle société, ou à tout actionnaire de celle-ci agissant au nom d’une telle société, sous peine de poursuite, de proposer des offres, promesses, dons, présents ou avantages quelconques à :
- un Fonctionnaire, un officiel du Gouvernement guinéen ou à un élu afin d’influencer une décision ou un acte pris, dans le cadre de l’exercice de fonctions relatives au secteur minier, y compris mais pas seulement, l’attribution de Titres miniers ou Autorisations, la surveillance ou le contrôle des
Activités minières, le suivi du paiement des recettes minières, et l’approbation des demandes ou décision visant à proroger, amodier, céder, transférer ou annuler un Titre minier ou une Autorisation ;
- un autre individu, une association, société, ou personne physique ou morale afin d’utiliser son influence supposée ou réelle sur tout acte ou décision de tout officiel du Gouvernement guinéen ou élu dans le cadre de l’exercice de fonctions relatives au secteur minier telles que définies dans le paragraphe précédent».
A noter que ce n’est pas le premier «scandale» au département dirigé par Moussa Magassouba. Il intervient pendant la gestion dossier Bel Air Mining reste encore à élucider. Sans compter la lettre écrite en janvier dernier par le même ministre pour recommander la société GPC (guinéenne de prestation et de commerce) lors d’une procédure de passation de marché.
Thierno Souleymane