Décrétée comme réserve foncière de l’Etat en 1989, les autorités ont enclenché depuis la semaine dernière le déguerpissement de la zone appelée centre directionnel de Koloma, sous le regard impuissant des occupants.
Ce mardi 26 février, il sera difficile même pour les habitants de reconnaitre leurs maisons après le passage des bulldozers du génie civil militaire dans la zone. Tout a été raclé sous l’œil vigilant des gendarmes et des policiers déployés sur les lieux, a constaté Guinéenews. Mêmes les arbres n’ont été épargnés. Une situation qui rend pantois plus d’un citoyen.
Moussa Kéita, un jeune diplômé sans emploi, dont la maison familiale a été mis à terre, se dit inquiet de l’avenir de ses frères et sœurs après cette épreuve. «C’est une désolation, c’est le cœur qui pleure, c’est une tristesse totale. Aujourd’hui, on se retrouve sans toit après des années de dur labeur. Nos parents ont construit notre maison ici avec toute leur sueur et aujourd’hui on vient nous déguerpir sans même songer à nous reloger. Moi, j’ai passé la nuit à la belle étoile, précisément à l’école qu’on appelle Balouta qui est aussi menacée de déguerpissement. Le reste de la famille est dispersé. Ce sont des personnes de bonne volonté qui ont accueilli mes parents chez elles. Maman est au sud, papa est au nord, mais est-ce que ça va durer ? L’homme n’est mieux que chez soi. Je suis totalement désespéré, je suis désemparée. J’ai fini mes études par la grâce de Dieu, j’ai un diplôme mais je n’ai pas d’emploi, et même si j’en avais un, est-ce que le salaire pourrait m’aider à avoir un domaine et m’occuper de ma famille. Je ne le pourrais plus. C’est la première fois que je vois mon papa pleurer comme un enfant et je n’avais pas de mot pour le consoler. Aujourd’hui, je ne sais même pas si le vieux aura longue vie après ce choc. Je ne sais pas quel sera le sort de la famille. Mes jeunes sœurs qui sont là, ne regardent que moi. Moi je ne travaille pas, comment donc assurer leur éducation. Comment pourrais-je les protéger des méfaits de la vie. Si demain, mes sœurs devenaient des prostituées, ce n’est pas de leur faute, mais c’est la faute à l’Etat. Si les garçons deviennent des grands bandits, c’est la faute à l’Etat. Aujourd’hui, c’est chacun pour soi, Dieu pour tous. Parce que mes parents ne peuvent plus assurer leurs responsabilités face à eux. Je suis triste, je suis révolté, mais on ne peut que s’en remettre à Dieu » se lamente M. Kéita presqu’en sanglot.
Non loin de là, un vieux de la soixantaine, venu embarquer des tôles, a accepté difficilement de lâcher quelques mots à notre micro. Amadou Danédjo Bah, j’ai fait ici prêt de 40 ans parce qu’on est arrivé ici au temps de Sékou Touré. Je ne sais même quoi vous dire sauf que c’est la loi du plus fort. Les autorités sont venus sensibiliser les garagistes pour leur demander de quitter, mais chez nous, on a vu que la croix sur nos murs.
Au temps de Conté, nos habitations n’ont pas été touchées. C’est pourquoi nous nous demandons aujourd’hui, pourquoi nous. Regardez, Prima Center est là, même une mouche ne leur a pas déranger, pourtant c’est la même zone. Nous on nous chasse comme des malpropres après avoir passé la moitié de notre vie ici. Ils auraient pu au moins nous montrer un endroit pour mettre nos enfants. Mais Dieu ne dort pas.»
Mme Diallo, Fatoumata Binta habite, elle, non loin des rails. Sa maison n’est pas touchée encore (11h), mais elle attend à l’intérieur de la cour son tour avec des objets entachés partout. De leurs propres initiatives, ils ont pris soin de décoiffer le toit, enlever les fenêtres et portes. «Hier, c’est ici qu’a dormi mon mari avec mes garçons, dans ce hangar sans porte, ni fenêtre, qui nous a servi de maison pendant 26 ans. Moi, après avoir confié certains de mes objets dans le voisinage, je suis allée chez mon frère à Sonfonia pour y passer la nuit. Imaginez, c’est dans cette maison, j’ai accouché ma première fille qui a aujourd’hui deux enfants. Qu’on vienne me déguerpir de la sorte, je ne sais quoi dire sauf demander justice à Dieu. Mon mari a été obligé hier de bazarder sa marchandise à crédit parce qu’il n’avait pas où mettre. Aujourd’hui je suis sans mot, je ne pouvais jamais penser qu’Alpha Condé pouvait nous faire cela. S’il ne fait rien pour nous, il aurait dû au moins nous laisser avec ce qu’il nous a trouvé » raconte Mme Binta, les yeux pleins larmoyants.
Non loin de là, un citoyen à la retraite, empressé apparemment de quitter « ce mauvais souvenir », nous répond à cran: « que voulez que je récente sinon que le choc? Je suis sous le choc !!! Je suis sous le choc de voir ma maison que j’ai construite vers la fin des années 80 détruite par des bulldozers de l’armée, je suis sous le choc. Voyez-vous, je n’ai plus où dormir avec ma famille, je ne suis plus jeune pour me chercher encore, je ne peux plus faire grand-chose, ma famille va se disloquer.
Cette maison de 4 pièces, je l’ai construite vers la fin des années 80 avec l’autorisation de l’état et comme que l’état c’est une continuité, les nouvelles autorités devaient assumer leur part de responsabilité et dédommager au moins tous ceux qui détiennent des documents administratifs.
Mais, c’est sans état d’âme qu’on nous a délogés, nos familles n’ont plus où dormir, nos enfants n’iront pas à l’école pour le reste de l’année, voilà un peu notre situation.»