Mort en détention le 14 mars dans des conditions qui restent à élucider, Alhassane Bangoura sera inhumé ce mardi à Conakry. Selon un proche du défunt, hier lundi, son corps a été rendu à sa famille qui en a décidé ainsi, en attendant le résultat de l’autopsie censée déterminée la cause de son décès, alors que l’avocat de la défense pointe un doigt accusateur sur la parquet et une juge d’instruction du tribunal pour enfants.
Il s’agit d’une affaire de vol de téléviseur et de téléphone qui s’est soldée par mort d’homme, suite à une détention intervenue sur fond de violation de procédure, clame l’avocat conseil du défunt Alhassane. Pendant ce temps, le procureur spécial près le tribunal pour enfants, Mohamed Sylla, dit à qui veut l’entendre que «je suis chargé de protéger les enfants et de poursuivre ceux qui sont en conflit avec la loi». Non sans tenter de charger l’avocat.
«La juge a pris la décision de placement sous mandat, en détention provisoire. Il (l’avocat) était là, ça lui a été notifié et mandat s’en est suivi. Sur le champ, l’avocat avait la possibilité comme la loi le dit, d’interjeter appel contre l’ordonnance de placement en détention provisoire de son client. Aussitôt, le dossier sera envoyé directement à la chambre de contrôle de l’instruction qui va se prononcer sur la détention de son client. Il ne l’a pas fait. Il a accepté cette décision. Alors la procédure a continué », explique-t-il au micro de Guineenews. Ajoutant que «la juge d’instruction a programmé l’interrogatoire au fond qui a été fait aussi devant lui. Son client a fait la narration des faits, elle a fait mention. Elle a continué chez la mineure. Tous ceux-ci ont été interrogés sur le fond».
Une version que l’avocat conteste sur toute la ligne, arguant «des manquements aux règles de procédures pénales dans l’affaire Alhassane Bangoura». Non sans renvoyer tout le monde au principe selon lequel, le procureur qui défend l’intérêt public, doit faire son travail, indépendamment de la performance ou pas d’un avocat constitué ou commis d’office.
Selon Me Sékou Koïta, «d’abord, feu Alhassane fut arrêté sans aucune convocation préalable, le vendredi 18 février 2022, à 6 heures du matin, chez lui, par la brigade anti-criminalité (BAC Numéro 5) de Nongo, avec au moins 10 agents armés, sur simple dénonciation d’une enfant mineure, pour vol de télévision et de de téléphones portables, le jour du mariage de sa fille. Humiliation pour sa propre personne et pour sa famille. Ensuite, le procureur spécial du tribunal pour enfants n’a pas respecté l’article préliminaire alinéa 1er du code de procédure pénale, qui dispose que: « la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et doit préserver l’équilibre des droits des parties ».
Dans la même lancée, relève l’avocat, «en l’espèce, feu Alhassane Bangoura, sur ordre du procureur du tribunal spécial pour enfants, devant lequel il avait été déféré après les enquêtes préliminaires, passera la nuit du jeudi 24 février 2022 en garde à vue au commissariat central de Nongo». Ce qui est contraire à la loi, précise-t-il.
Ce n’est pas tout, car «enfin, présenté devant madame la juge d’instruction, le regretté Alhassane Bangoura a connu la violation des principes directeurs de la procédure pénale contenu dans l’article préliminaire, alinéa et 11 du code de procédure pénale, aux termes desquels: «la liberté est la règle et la détention, l’exception ». ; « les mesures de contrainte dont la personne suspectée ou poursuivie peut faire l’objet sont prises sur décision ou contrôle effectif de l’autorité judiciaire. Elles doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l’infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne ».
Des règles et procédures qui auraient été bafouées à en croire Me Koïta. En tout cas, dénonce l’avocat, «feu Alhassane Bangoura, qu’aucun des cinq témoins n’a identifié comme auteur du vol de la télévision et du téléphone portable, qui avait constitué un avocat qui se trouve être son patron, qui était un citoyen apprécié dans le quartier pour son comportement, a été systématiquement mis sous mandat de dépôt, et renvoyé à la Maison Centrale comme un délinquant de grand chemin, le lundi 28 février 2022 ».
Après les manquements, les curiosités de l’avocat
«Les curiosités pénales dans la procédure de l’affaire Alhassane Bangoura », selon Me Koïta, citant l’article 49 du code de procédure pénale, alors «qu’il revient au procureur, selon son intime conviction des faits portés à sa connaissance, d’engager des poursuites ou de classer sans suite la procédure, dans l’affaire Alhassane Bangoura, aucun élément ne pouvait être à charge pour lui. Le fait d’être dénoncé par une enfant de 15 ans n’est pas un élément grave contre lui, d’autant qu’il ne reconnaissait pas les faits», explique-t-il.
Poursuivant, indique-t-il, «la deuxième curiosité est que l’article 143 du code de procédure pénale prévoit que: «le juge d’instruction ne peut inculper que les personnes à l’encontre desquelles, il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer, comme auteur ou complice, à la commission des infractions dont il est saisi. Or, dans l’affaire Alhassane Bangoura, tel n’était pas le cas. Aucun élément compromettant ne pouvait être mis à sa charge », soutient le conseil. Rappelant de passage que «dans la célèbre affaire Outreau de la France, nous avons vu que les enfants peuvent parfois accuser des adultes à tort ».
Ce n’est pas tout. «La troisième curiosité est le non-respect des dispositions du code de procédure pénale notamment, celles de l’article 147, qui prévoient que la poursuite et l’instruction se font à charge et à décharge ». Alors que, relève l’avocat, «dans l’affaire Alhassane Bangoura, la poursuite et l’instruction ont été faites uniquement à charge. Des éléments qui le disculpent n’ont jamais été considérés, tels que les numéros de téléphone de l’auteur prétendu, les témoins qui ne l’ont jamais identifié et son prétendu complice qui n’a jamais été recherché. Pourtant, selon l’article 149 du code de procédure pénale, le procureur, dans son réquisitoire introductif, et à toutes les phases de l’information, par réquisitoire supplétif, peut requérir du magistrat instructeur tous actes lui paraissant utiles à la manifestation de la vérité».
Par ailleurs, «la quatrième curiosité est que selon les dispositions des articles 47 et 122 du code de procédure pénale, toute autorité constituée, tout fonctionnaire ou officier public qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquerra la connaissance d’un crime ou d’un délit, devra en donner immédiatement avis au procureur de la république du ressort », rappelle encore l’avocat. Alors que «dans l’affaire Alhassane Bangoura, le plaignant, le sieur Ousmane Barry, a affirmé à tous les niveaux de la poursuite que la mineure de 15 ans est un enfant domestique chez lui depuis deux ans. Par conséquent, il a fait un aveu de mettre en danger une enfant, voire l’exploiter. Mais, lui il n’a jamais été inquiété, parce que certainement riche », remarque Me Koïta. «Autrement, les autorités ont accordé plus d’importance à la télé volée qu’à la protection de l’enfant », conclut-il.
Non sans renvoyer aux soupçons de corruption fondés sur le changement allégué d’attitude du procureur spécial, vis-à-vis du plaignant à qui il faisait la remarque de pratiquer le travail des enfants.
Traitement de la demande de liberté provisoire dans le délai ?
L’autre point de discorde entre l’avocat de la défense et le parquet dans l’affaire Alhassane Bangoura, porte sur le respect des délais concernant la demande de liberté provisoire. Là-dessus, Me Koïta, comme pour démentir M. Sylla, sans le nommer, affirme que «dès le mercredi 2 mars 2022, son avocat conseil a demandé par écrit qu’il soit entendu au fond ». Avant de rappeler que «c’est le vendredi 4 mars 2022 qu’il sera entendu ». Et d’informer que «dès le lundi 7 mars 2022, son avocat a fait la demande de mise en liberté, reçue le même jour, à laquelle, il n’a pas eu de réponse jusqu’à son décès le 14 mars 2022».
Sur ce point, à écouter le procureur «selon la juge d’instruction, elle a reçu une demande de liberté provisoire de la part de l’avocat. Cette demande m’a été transmise parce que c’est ce que la loi dit. Aussitôt qu’elle reçoit, dans les 48 heures, elle communique le dossier au ministère public qui va prendre ses réquisitions dans 5 jours ».
Et Monsieur Sylla, d’informer que «le 9 j’ai reçu, le 10 j’ai requis, c’était un jeudi, le 11 c’était un vendredi, le dossier devait être communiqué mais je ne suis pas venu, là tout le monde le sait, parce que j’avais appelé. Je n’ai pas travaillé, étant malade. Le samedi ça ne travaille pas, tout le monde le sait. Dimanche ça ne travaille pas. Donc vendredi, samedi et dimanche ne sont pas compté. Ça veut dire que mon délai finissait le mercredi. Néanmoins, je suis venu lundi dans l’intention de communiquer le dossier, pour que madame que madame aussi soit dans délai. A mon fort étonnement, on m’informe que telle personne est décédée. J’ai dit que c’est son dossier que je fais descendre là, parce que c’est la loi qui dit que dès que je fais descendre, elle prend son ordonnance. Et c’est ce qui a été fait. Je déplore cette situation parce que c’est indépendamment de la volonté de nous tous. Mais je dis que monsieur Alhassane est décédée deux semaines après sa détention. Et nulle part on ne peut dire qu’on place quelqu’un en détention pour qu’il aille mourir ».
Pour mieux comprendre ce passage, Guineenews est allé au-delà des versions contradictoires des deux parties. Le code de procédure pénale consulté dans cette démarche, stipule que «le procureur de la République doit retourner le dossier avec ses réquisitions dans un délai de 5 jours à partir du jour de la transmission qui lui en a été faite par le juge d’Instruction. Ce dernier doit statuer, par ordonnance spécialement motivée, au plus tard dans les 3 jours de la réception des réquisitions du procureur de la République».
Et nulle part dans ce texte, le législateur n’y a prévu d’exception, pour quelle que raison que ce soit, y compris pour des raisons de santé. D’où la question de savoir sur quelle base le cas de maladie du procureur Sylla peut-être un argument légal.