Dernières Nouvelles de la Guinée par les Guinéens
Pub Elysian

Crise à Bel Air Mining: Le grand déballage de l’ex DGA (entretien)

Aux prises avec son ancien employeur, Mamadou Saidou Bah, désormais ex-DGA de Bel Air Mining a accordé un entretien exclusif à Guineenews, via votre émission Sans Concession. Une sorte de réplique à une cabale médiatique face à laquelle, notre invité fait un gros déballage. Non seulement sur les abus dont il dit faire l’objet, mais aussi des mauvaises pratiques qui gangrènent le secteur minier causant des pertes énormes à l’Etat en termes de taxes et de revenus.

Guineenews : commençons par ce qui fait l’actualité à ce stade, votre sécurité personnelle. Il se dit que vous subissez des menaces. Est-ce vrai ?

Mamadou Saïdou Bah : Tout à fait. J’ai fait l’objet d’une attaque à main armée et une attaque physique, il y a quelques semaines de cela. La première attaque remonte à la date du 9 septembre dans les environs de 11 heures. C’était un samedi. J’avais des petits soucis de plomberie dans mon domicile. Il fallait que je vienne au carrefour acheter des petites bricoles et revenir.

Je suis sorti et il se trouve que je me faisais suivre par deux motards initialement. C’est à mon retour pendant que je rentrais au dernier angle avant mon domicile que les assaillants (le premier avec son passager et le second) se sont agrippés sur ma portière pour l’ouvrir brusquement. J’ai eu la chance par la grâce de Dieu que ma porte était verrouillée de façon automatique. C’est ce qui m’a sauvé. Dans cette panique-là, j’ai essayé de sonner et de reculer.

C’est en ce moment qu’on m’a braqué avec une arme à feu. Et ça s’est passé dans les environs de 11 heures 45 minutes, parce que les caméras de surveillance d’un de mes amis plus en amont a filmé les différents aller et retour des motards et le suivi dont je faisais objet et aussi de retour.

Cela a-t-il été porté à la connaissance des autorités ? Une plainte a-t-elle été déposée ?

 Absolument ! La première chose d’ailleurs qu’on a eu à faire, c’était de se mettre en sécurité. Grâce aux jeunes qui sont aux environs, on nous a sécurisés. Une heure après, on a porté plainte au commissariat de police le plus proche qui est celui de Lambanyi.

Où en est-on avec le dossier ? L’enquête a-t-elle évolué ?

Depuis la plainte qu’on a déposée, ça n’a malheureusement pas beaucoup évolué. On a transmis les vidéos des mouvements et des motards en question. Mais je ne suis pas au courant d’une évolution significative à ce stade-là de cette enquête. J’imagine que les enquêtes préliminaires prennent le temps. Donc, ça doit être quelque chose qui est en cours. Mais la plainte a été bien évidemment déposée.

Y a-t-il un lien entre votre attaque et les rapports difficiles que vous avez eus avec Bel Air Mining ces derniers temps ?

Je vis à Lambanyi depuis toujours et à mon domicile particulièrement. Je n’ai jamais eu de soucis particuliers. D’ailleurs, je vis le plus simplement possible avec ma petite famille. Il faut comprendre que depuis que j’ai quitté l’entreprise, on est dans un soubresaut. Je n’ai certes pas de connexion directe et évidente à la date d’aujourd’hui, mais il faut comprendre qu’après ce premier évènement, il y en a eu un second. Et le second s’est passé une dizaine de jours après. Ce jour-là, j’étais à pied aussi puisque chez moi, c’est un peu calme. Donc les mêmes motards toujours casqués et cagoulés sont venus en pleine journée dans les environs de 14 heures me menacer en me disant que si je suis encore là, qu’ils vont finir avec moi.

Donc ce second événement là de mon point de vue et des analyses que j’en fais, me donne des faisceaux d’indice qui me disent qu’il y a probablement quelqu’un qui m’en veut de façon sérieuse et pour moi, je n’ai pas d’antécédents particuliers avec quelqu’un ni dans le quartier ni dans le voisinage, ni en Guinée d’ailleurs. Et je fais la relation bien entendu entre ce qui m’arrive actuellement et la façon dont je me suis séparé de mon employeur.

S’agissait-il d’une séparation à l’amiable ? 

Il faut comprendre que le 9 juin au petit matin, l’un des navires transportant des bauxites a chaviré aux larges de Boffa. Et ce navire-là contenait autour de 7 500 tonnes de bauxite, c’est une grosse quantité. Quand cette barge-là a chaviré, nos collègues qui sont directement en charge des opérations ont été informés. Et il se trouve qu’à la date du 9 juin, moi, j’étais en Sierra Leonne pour des questions de famille. Donc, le directeur général des opérations Douglas Ross a été informé. Pour ceux qui comprennent les activités minières, moi, en tant que directeur général adjoint, je suis dans l’administratif, le juridique et ainsi de suite. Il y a un directeur général des opérations qui se charge des activités d’extraction, du transport terrestre, du chargement et des transports maritimes. C’est la personne la mieux indiquée quand il y a des accidents ou des situations particulières sur une mine.

Donc il a été informé par la société WANZA, qui est la société contractante qui gère les barges qui ont fait l’accident. Dans cette discussion-là, entre le directeur des opérations, mon directeur général et le directeur de l’entreprise WANZA, il a été décidé pour une raison que j’ignore de garder l’information à leur niveau et de laisser l’entreprise WANZA qui est en charge du navire faire des démarches pour essayer de gérer la situation.

Et ça c’est à travers des échanges formels par e-mail.  Je suis resté en Sierra Leone. Le 12 juin je suis revenu. Le 13 matin, je suis arrivé à Bel Air. C’est le préfet avec qui j’interagis sur des questions communautaires, préfectorales et autres qui a été saisi par les pêcheurs pour l’alerter de cet accident-là qui m’a interpellé.

Et moi, je ne savais pas pour une raison que j’ignore encore à la date d’aujourd’hui. Donc, je me suis intéressé à la chose et j’ai cherché à confirmer l’information avec le directeur général des opérations qui a fini par me confirmer, effectivement la survenance de l’accident et par la même occasion, qui me dit qu’avec le directeur général, ils se sont accordés sur le fait que ça devait être WANZA qui gère l’accident, soi-disant parce que WANZA aurait des aptitudes plus adaptées à interagir avec les autorités administratives.  Moi, en tant que directeur général adjoint, j’ai la double casquette de directeur juridique et de la conformité.

Tout ce qui est de l’aspect réglementaire et administratif et de conformité, relève de mes prérogatives. C’est-à-dire les dispositions du code minier, la convention de base, c’est mon champ d’action. Et tout de suite. Moi, j’ai réagi. Je lui ai dit « attention, je sais que quand il y a un accident ou un incident de cette nature-là dans une mine, on a l’obligation de porter l’information au ministère des Mines, notamment par une lettre de notification formelle à la direction nationale des mines. C’est ce que la procédure dit, et c’est ce que le code minier nous impose, on a cette obligation ». Mais on m’a dit, non. C’est une barge qui ne nous appartient pas. (…) Les dispositions du code minier sont claires : le titulaire du titre minier a la responsabilité juridique et financière de ces contractants.

Ça veut dire que dans une mine en République de Guinée, quand quelqu’un se blesse le doigt, que cela soit reporté comme un accident, moi en tant que Bel Air Mining ou le titulaire du titre minier, je suis responsable vis-à-vis des autorités administratives du pays. Et donc, j’ai passé cette information au directeur général des opérations. La réponse a été catégorique. On nous a dit de laisser WANZA gérer l’information.

 Sur quelle base ?

Il n’y a pas de base légale pour ça. La seule base légale qu’il y a, ce sont les dispositions du code minier. On est quand même en Guinée, la réglementation en la matière c’est le code minier et la convention de base. C’est aussi clair que ça. Il ne faut pas aller s’inventer une autre réglementation.

D’ailleurs, ça, ce n’est pas qu’en Guinée. Au Burkina, c’est pareil, ainsi qu’au Mali, en Sierra Leone… En France, il y a deux réglementations. Une spécifique aux carrières, une autre spécifique aux mines. Bien que les mines ne soient pas beaucoup développées maintenant, moi j’ai été impliqué dans l’activité minière en France. Notamment à travers les directions régionales de l’industrie.

Quand il y a accident dans une mine ou dans une carrière, il incombe au propriétaire, c’est-à-dire au titulaire du titre, de rapporter l’information. Donc ce n’est pas quelque chose de particulier à la Guinée. Mais, il se trouve que les responsables de l’entreprise, notamment mon patron, ont décidé que ça soit comme ça. Et ça c’est formel, c’est écrit.

Cette décision a été prise. Moi, je n’étais pas content de la décision mais je suis revenu dans mon bureau. J’ai envoyé un email pour alerter et leur dire ‘’attention !’’. D’ailleurs, il y a une inspection préfectorale du gouvernement qui arrive. Parce que les pêcheurs sont impactés, l’environnement est impacté, ainsi de suite. J’envoie cet e-mail-là, et il y a des discussions internes qui commencent où nos amis de WANZA nous disent, non laissez-nous faire. On connaît l’administration.

C’est nous qui savons comment gérer les gens. Donc c’est ce qui s’est passé. Jusqu’à ce qu’une très forte mission soit dépêchée par le préfet de Boffa qui a pris outre les dispositions à cet effet. Ça s’est passé dans la journée du 13. L’affaire s’incidente. Les pêcheurs prennent des photos et s’en vont dans les médias.

C’est ainsi qu’au niveau national, l’affaire est portée au niveau des autorités nationales. Donc une mission nationale et une autre préfectorale sont diligentées chez Bel Air Mining. Moi c’est vous qui m’apprenez la corrélation entre mon départ et l’accident. Quand je dis vous, c’est en tant qu’organe de presse parce qu’il y a quelques semaines, un publireportage a été publié sur votre site, m’incombant la responsabilité de cet accident-là. Mais je vais vous faire le plaisir de vous expliquer ce que c’est que l’activité minière et comment elle fonctionne d’un point de vue pratique.

C’est-à-dire au sein de Bel Air Mining, on a un directeur général qu’on appelle dans le jargon anglo-saxon, CEO, qui s’appelle monsieur Jeff, et qui est le premier responsable de l’entreprise. D’un point de vue juridique et légal, le directeur général adjoint vient après lui, c’est-à-dire moi. Mais aussi, quand vous regardez l’organigramme de Bel Air Mining, moi en tant que Directeur général adjoint, le directeur général des opérations qui est monsieur Douglas et le Directeur financier, on est au même niveau. Çà c’est du point de vue administratif.

D’un point de vue purement opérationnel, moi, je suis basé à Conakry sur les questions administratives, juridiques, communautaires et sociales. Le directeur général des opérations s’occupe encore une fois, de tout ce qui est aspect opérationnel. Il est basé à Bel Air. C’est-à-dire l’extraction, le design de l’extraction, la conduite des activités d’extractions, le transport, le chargement et le déchargement dans le gros navire, c’est lui qui en est responsable.

Ainsi que des questions de santé et de sécurité. Donc quand il y a un accident ou une question relative à l’exploitation, il est le premier à être informé. Cela ne nous dédouane pas en tant que responsable. Ce n’est pas ce que je veux dire. Donc monsieur Douglas Ross, qui est responsable des questions opérationnelles, c’est avec lui que l’entreprise WANZA a interagi. Les mails existent et je les ai.

Donc, par rapport à ma situation contractuelle avec Bel Air Mining, il faut comprendre que moi, en tant que Directeur général adjoint, je découle des dispositions de l’article 108 du code minier qui impose au titulaire de titre minier en Guinée, en tant que responsable des questions administratives et financières, de prendre ses responsabilités (…)

Pour revenir aux conditions dans lesquelles je me suis séparé avec Bel Air Mining, je vais faire un peu le feedback sur la genèse de la séparation. Alors, dans la gestion de cet accident qui a mené à une pénalité de 6 millions de dollars, il faut comprendre que beaucoup de choses se sont passées. Tout au début, je vous disais qu’il a été décidé par la Direction générale de laisser l’entreprise Wanza gérer l’accident même si ce n’était pas ce que la réglementation dit.

Mais ce n’était pas fortuit parce que l’entreprise Wanza  se réclamait être la mieux apte à gérer l’administration. Dans cette tentative de gérer l’administration, il y a eu deux missions. Le gouvernement a été extrêmement réactif. Nous avons eu en tout, autour de 100 personnes qui ont débarqué sur le site pour faire le constat, prendre les premières mesures et rédiger un rapport. Il y a eu les différents ministères concernés.

Le ministre des Mines en grand nombre, le ministère de l’Environnement et le ministère de la Pêche en très grand nombre, la marine marchande, l’ANAIM, et au niveau local, tout ce qui est des représentants des pêcheurs… On savait que le gouvernement allait se reposer sur les conclusions du rapport pour prendre les mesures. Qu’elles soient administratives, juridiques ou financières. Et nous en interne, les gens étaient conscients du risque que cela représentait. Il y a eu plusieurs initiatives tendant à faire en sorte que le rapport soit le plus indulgent possible.

Dans cette initiative, le représentant de Wanza Karim EL Gaoui est rentré dans des initiatives pas très catholiques à vouloir interagir avec les membres de cette mission pour les amener à avoir un rapport indulgent. Et moi, en tant que Directeur général adjoint, j’ai été sollicité pour participer à cette initiative. Ce qui, selon ma compréhension, était tout à fait contraire à l’éthique et à la conformité mais aussi en violation des règles juridiques et réglementaires applicables.

Les textes sont clairs. Quand une mission de l’Etat arrive, elle fait son travail de façon indépendante. Et nous, en tant que structure privée, notre mission est de donner toutes les informations à temps et être coopératifs. La Direction a voulu qu’on aille au-delà de ça. J’ai été catégoriquement réticent. On m’a demandé de mentir, de fabriquer une histoire à raconter aux missionnaires. On me l’a demandé dans une réunion et dans nos discussions sur WhatsApp. Dont j’ai refusé et j’ai dit que nous devons être coopératifs car c’est ce que la réglementation demande.

En dehors de ça, on m’a sollicité pour poser des actes avec ces missionnaires, complètement en dehors de nos textes de lois. Ce que j’ai refusé. Et donc dans la gestion de la crise, au-delà des actions purement légales et réglementaires, j’ai refusé de m’impliquer dans tout acte qui serait en violation de la réglementation mais aussi tendant à mentir ou à tromper les missionnaires.

Bien entendu que cela n’était pas possible parce que c’est une mission purement technique et multisectorielle qui est venue. Mais il y a eu des initiatives dans ce sens-là. Donc cela a détérioré les relations entre ma direction et ma personne en tant que DGA. Bon an mal an, il y a eu plusieurs initiatives telles que je vous le décris.

C’est l’occasion de remercier le ministre des Mines qui est resté absolument de marbre. Il a attendu les conclusions techniques de ces missionnaires et il en a tiré les conséquences de droit. Et c’est ce qui les a emmenés à la pénalité de 6 millions de dollars que l’entreprise avait du mal à payer. Il faut le reconnaître parce que la situation financière n’était pas très reluisante. Mais comme dirait l’autre, c’est la loi. Quand les 2/3 de ce montant ont été payés, j’étais exclu de toutes les réunions, je ne recevais plus mes emails. J’avais été mis en quarantaine par le Directeur général, le directeur des opérations et le directeur financier, alors que j’étais relativement une pièce importante sans aucune information.

Mais on m’avait attiré l’attention sur le fait que mon patron et l’équipe de Wanza disaient que je ne défendais pas assez l’entreprise. Et pourtant, pour moi, défendre les intérêts de l’entreprise, c’est de travailler conformément aux dispositions légales, respecter la loi et éviter d’être en porte-à-faux avec ces lois. Le 1er août, j’étais dans mon bureau. Je reçois un appel d’un avocat qui aurait été commis par mon Directeur général pour me déposer une lettre dont le contenu est une séparation à l’amiable. Une séparation à l’amiable à effet immédiat.

Donc il me disait que la direction générale de Bel Air Mining ne souhaite plus notre collaboration. Elle me demande de suspendre avec effet immédiat toutes activités au sein de l’entreprise. Et de me rendre disponible pour une discussion de séparation à l’amiable. Moi j’étais surpris, mais voilà. J’étais devant le fait accompli. Le temps que l’avocat sorte de mon bureau, tous mes accès étaient coupés. Mon ordinateur est coupé. L’internet, je n’avais plus accès, mon téléphone professionnel ne passait plus. Le Fingerprint (empreinte) pour sortir ou rentrer dans mon bureau n’était plus dans le système.

Donc je constate cela, rapidement, je prends quelques effets personnels et puis bien entendu mon ordinateur. J’ai dit au revoir à deux à trois personnes et je suis parti. Deux ou trois jours après, on se rend à une première réunion, une offre m’est faite pour qu’on puisse se séparer à l’amiable. Pour être très exact, une offre de trente mille (30 000) dollars initialement est faite. Je rejette catégoriquement cette offre-là parce que je leur ai dit que peut-être qu’ils se trompent de personne. Moi, je ne suis pas le chauffeur de camion sur site, je suis quand même le directeur général adjoint. Et la discussion s’arrête sur ces aspects-là. Quelques jours après, on me rappelle. Ils augmentent l’offre à 75 000$.

Je rejette également cette offre avec mes avocats. Et on reste dans ça. Puisque, je n’étais plus dans l’entreprise, on avait coupé tous mes accès. Je n’avais aucune activité. Je fais constater cela par voie d’huissier tel que le requiert la loi. Et donc je me rends en vacances aux Etats Unis avec ma famille. Dès qu’ils se rendent compte de mon départ de la Guinée, je reçois sur WhatsApp, une lettre de convocation à un entretien disciplinaire, en prélude à un licenciement. J’étais perdu. Quelques semaines avant, on était dans une négociation, on me fait servir une lettre sur WhatsApp par voie d’huissier concernant un entretien disciplinaire.

Mais il faut comprendre que lors des discussions, ma position était la suivante. Je disais tantôt que la position du Directeur général découlait des dispositions légales du code minier. Dans cette logique-là, j’ai été, après un concours avec 5 candidats, sélectionné comme le meilleur candidat pour la position du Directeur général adjoint. Et tel que le requiert la loi, c’est à dire l’acte uniforme des sociétés commerciales et des groupements d’intérêt économique et les statuts de Bel Air Mining, quand on nomme un mandataire social, c’est à dire un directeur général ou un directeur général adjoint, cela nécessite d’être entériné par le Conseil d’administration.

Et le Conseil d’administration est composé de huit membres et présidé par l’État guinéen. Donc ma nomination est intervenue le 21 juin 2021 en qualité de directeur général adjoint et me donne un mandat de 5 années.

Lors des négociations, je leur dis OK, il faut comprendre que le code du travail en République de Guinée donne parfaitement le droit à un employeur de se séparer de son employé, sous réserve que cela soit, bien-fondé. Une faute personnelle ou professionnelle (…) Mais moi je ne me reprochais rien du tout. C’est une séparation à l’amiable et cette séparation à l’amiable aussi est possible si je n’ai pas fait de faute, vous me reprochez d’aucune faute.

Vous voulez que je parte de l’entreprise ? D’accord ? Mais en Guinée, on est régi par des textes. Respectez ces textes, on en finit, on se serre la main, chacun suit son aventure. Donc, j’ai fait 2 ans. Il reste 3 années. Payez-moi les 3 années restantes, plus une compensation de l’ordre de 30% au titre des réparations, on se quitte en bons amis. Ce qu’ils ont complètement refusé. Donc quand vous cumulez les montants-là en fonction de ma rémunération sur les 3 années, ça me donne droit, encore une fois, je dis, ça me donne droit à une réparation approximative à 320 000 dollars. Sur mes droits, on m’offre moins de la moitié. J’ai dit, ce n’est pas acceptable.

Donc les discussions relatives à la séparation à l’amiable coincent à ce niveau. Je ne suis plus dans l’entreprise. Quelques jours après, mon départ d’ailleurs, après la lettre ils sortent un mémo distribué à l’ensemble des employés mais aussi aux différents parties prenantes intervenants, y compris le Conseil d’administration, l’ambassade des États-Unis, toutes les parties prenantes, voilà qui indiquent que Monsieur Bah Saidou quitte l’entreprise a effet immédiat. Donc le plein droit, mon licenciement était acté avant même que nous n’ayons engagé les discussions pour la séparation à l’amiable. Donc moi je constate cela, je pars en vacances.

Ce qui veut dire qu’on était déjà à un point de non-retour

J’étais déjà licencié, donc je pars en vacances. Et voilà, la lettre là tombe. Arrivé aux États-Unis, on me rappelle, on a 2 discussions téléphoniques avec l’avocat et M. Lamine Touré, vice-président fondateur, qui est l’un des plus anciens, si vous voulez. La discussion pour une séparation se passe. Et pendant cette discussion-là, j’ai senti l’intention puisque j’étais en dehors du pays, de me licencier. Je suis juriste, j’ai été longtemps directeur juridique et directeur des ressources humaines de façon officielle. Et moi, j’étais plus tranquille. Je prends quand même l’initiative d’informer de façon transparente la hiérarchie des agissements qui ont conduit à cette situation. Donc je me mets à table, j’écris un email au patron de l’entreprise, et je mets le Directeur de la conformité. Je mets le propriétaire, le détenteur majoritaire même de la société ou des fonds de pension qui est propriétaire d’Alufer, sur les agissements de mon patron.

Parce qu’en fait, il faut comprendre dans les entreprises minières sérieuses, les questions d’éthique, de conformité et de gouvernance sont des questions essentielles (…) avec lesquelles on ne blague pas. J’ai travaillé ailleurs, je peux vous dire que ce sont des questions essentielles.

 (…)

On a voulu que je rentre dans les actes de corruption. J’ai refusé. On m’a dit de porter de l’argent pour remettre aux gens, j’ai décliné. On m’a même proposé de prendre de l’argent ici et de poursuivre des gens à Kankan pendant la fête de tabaski pour influencer le rapport final, j’ai refusé. Je fais l’objet de persécution jusqu’à ce que mon départ soit hâté par ce que je refuse de m’impliquer dans des questions complètement illégales et contraires à tout ce que nous avons comme arsenal juridique d’un côté, mais aussi arsenal de politique et de procédure internes. Voilà la situation, voilà pourquoi on veut mon départ de l’entreprise. Il faut en prendre connaissance et j’attends de vous que des actions soient posées pour qu’une investigation sérieuse ait lieu et que vous sachiez c’est quoi la vérité.

Donc, j’envoie un mail comme ça, je’ai pas de réponse mais derrière, je sais qu’il y a eu des investigations qui ont été faites. Quelques jours après, la Direction me notifie mon licenciement. Voilà donc, c’est ce qui a conduit à mon départ de l’entreprise. Initialement, départ négocié ou à l’amiable ayant échoué parce que je refuse que mes droits soient brimés. On finit par une procédure de licenciement précipitée et en violation de toutes les règles applicables en République de Guinée. Il faut comprendre que l’arsenal juridique en Guinée est très clair. On a un code du travail qui s’applique. On a une convention collective mines et carrières et d’autres arsenal juridiques. Ils ont décidé de faire fie et de violer l’ensemble de ces textes juridiques.

D’ailleurs pour la petite histoire juste pour boucler cet aspect là. Depuis mon licenciement, on est peut-être à 2 ou 3 mois aujourd’hui, ni mon certificat de travail qui devrait être automatique avec ma lettre de licenciement, ni mon solde de tout compte qui est constitué des congés cumulés non pris qui devait être payés directement, ni mon salaire de juillet n’a été payé. C’est pour vous dire c’est une sorte d’acharnement, de persécution. Ça, c’est en plus de tout ce que vous connaissez comme violence verbale, menace. Donc, on veut me sevrer ou me visser par le ventre et psychologiquement, ainsi de suite. Je vis avec ça.

Je vis en Guinée où on a quand-même un arsenal juridique qui s’applique. Quelqu’un, un opérateur privé qui se sent fort, décide de faire fie de tout cela. L’article 172.3 du code travail est clair. Après le licenciement, dès que le licenciement est constaté, dans le code, le certificat de travail est remis immédiatement. Le solde de tout compte, il est calculé et remis immédiatement. Après le reste peut se discuter de façon directe. C’est vérifiable.

 Qu’est-ce que l’Inspection du travail a fait à propos, est-ce qu’elle a été saisie ? 

Il faut reconnaître que l’Inspecteur du travail s’est intéressé au sujet. Elle n’a pas été saisie directement. Parce que, encore une fois, sur la base de la réglementation, le côté inspection de travail, c’est la phase de conciliation. Et cette phase de conciliation là, elle ne s’impose pas de plein droit à l’ensemble des parties. Si je me sens brimer, ce que la loi m’autorise à faire, c’est de saisir les cours et tribunaux. Mais vous êtes d’accord avec moi que nous avons connu une petite crise récemment dans le secteur judiciaire où des magistrats étaient malheureusement en grève. Mais cette action à la date d’aujourd’hui, elle est en cours dans les cours et tribunaux.

Vous avez préféré avoir l’attitude correcte vis-à-vis de l’entreprise et son fonctionnement normal et bien sûr vis-à-vis de l’Etat en ce qui concerne sa législation, vous vous retrouvez dans la situation actuelle. Quels sont vos sentiments ?

 Moi je suis un légaliste. Je suis juriste de formation. Si je ne croyais pas à la loi, je n’allais pas avoir cette attitude là vis-à-vis de mon employeur. J’ai une rémunération qui me permet de vivre correctement. Ça aurait été facile de prendre ma rémunération, la fermer et continuer ou plutôt fermer les yeux et agir comme on m’aurait demandé. Ce que j’ai refusé. Mais je veux dire que je crois aux lois de la République. Je crois à ceux qui appliquent ces lois et je crois en la Guinée. C’est vrai que c’est une situation difficile mais on est dans une démarche judiciaire, on ne peut se prévaloir d’estimer ou plutôt d’anticiper sur ce qui pourrait être l’aboutissement de ces démarches judiciaires, mais j’y crois fortement. Donc, je vais faire exercer mes droits devant les autorités judiciaires compétentes. J’attends à ce que je sois absolument rétabli dans mes droits. Parce que ça, c’est des dispositions légales. J’ai envie de revenir sur un aspect sur lequel j’ai sauté. Je vous disais tantôt que je crois fortement aux lois de la République. Pour la petite histoire, j’ai passé une bonne partie de mon cursus poste universitaire à l’extérieur de la Guinée (France, Italie, Suisse et Angleterre). Là-bas, la loi s’applique de plein droit. Les actes répréhensibles ou de corruption de cette nature là, personne ne s’y aventure. Dans cette discussion qu’on a eu un peu avant mon licenciement, on était un tout petit peu à couteau tiré. Je vous décrivais tout à l’heure l’architecture administrative de Bel Air Mining. Je suis le seul guinéen dans toute l’équipe senior. Sur les questions réglementaires et légales, je le dis sans ambages, on n’est pas les meilleurs (Bel Air Mining ndlr). On n’a jamais été les meilleurs depuis un moment. Pour la simple raison que l’entreprise, sous la direction de mon patron actuel, Jeffrey Couch, on est resté dans une logique d’optimisation agressive et de violation systématique de tout ce qui est règle juridique, réglementaire, fiscale et douanière. Il faut que vous compreniez cela. Donc, j’étais devenu l’élément empêcheur de tourner en rond. Pour la petite histoire, pendant que nous étions dans cette situation, bien avant on avait alerté le gouvernement à plusieurs reprises sur la nécessité de se conformer aux dispositions légales de façon large. Je leur ai dit par correspondance interne écrite que s’ils continuaient dans cette logique là, je vais faire ce que les anglais appellent, sonner l’alerte. Peu avant qu’on ne soit dans cette situation de crise là, j’ai écrit des correspondances, des lettres formelles que j’ai signées, où j’ai pris le soin d’interpeller la Direction Générale de l’agence de lutte contre la corruption. C’est-à-dire que sur la base de la Convention minière de Bel Air Mining, l’entreprise bénéficie de pleins de droits,  ça c’est tout à fait légal… Mais il se trouve que quand des équipements sont importés, ils obéissent à une règle d’utilisation et un régime spécifique pendant une période donnée. La violation de ces dispositions-là de façon flagrante a entraîné des préjudices énormes. Je vous donne un exemple, on a une entreprise contractante où j’étais Directeur général, qui a bénéficié de ce régime d’exonération. Ils importent des équipements. Mais il se  trouve que Bel Air Mining utilise ses équipements là sans payer de facture à cette entité. Mais finit par se résoudre, comme si cela ne suffisait pas, à déprécier leurs valeurs et de les transférer chez lui. Alors que ces équipements là qui sont sous admission temporaire pour parler des termes techniques, et par conséquent ils obéissent à ce régime là, et à la fin, c’est soit ils paient les droits ils les exportent. Ils se sont opposés à cela. Ils ont décidé de garder les équipements, les utiliser sans payer les factures, alors que l’entreprise qui a importé ces équipements là est soumise par exemple à l’impôt sur les sociétés. Et si elles ne réalisent pas de chiffre d’affaires qui est pompé en amont, convenez avec moi qu’elle ne déclarera que (…) Donc, ce sont des machinations frauduleuses qui font que l’État perd de l’argent. Je vous parle des questions fiscales. Le refus par exemple de payer certaines taxes à la retenue aux fournisseurs étrangers. Le refus de déclarer la TVA et de réclamer la TVA derrière, et c’est des montants colossaux au préjudice de l’État. Et donc j’ai pris le courage de dénoncer ces agissements et ces redressements là. Heureusement que les administrations ont été réactives. D’ailleurs c’est ce qui me permet de faire la corrélation entre ce que je vis actuellement et ma séparation avec Bel Air.

Guineenews.org: Nous tendons vers la fin de cet entretien exclusif. Un mot sur votre parcours?

J’ai fait mes études universitaires en République de Guinée. Je suis sorti de la deuxième promotion de l’université Kofi Annan en 2005. A cette époque, le gouvernement avec la Banque mondiale avait lancé un programme de rajeunissement de l’administration. Donc ils ont pris les lauréats, c’est-à-dire  les deux, trois  premiers de chaque promotion. En 2005, j’ai été recruté à la fonction publique avec ce programme. Avec plein d’autres, on est un bon nombre (…). Avec mon profil de Justice je fus muté au ministère de la justice. Je commence mes cours en tant que jeune auditeur de justice, c’est-à-dire magistrat. Mais, vu mes origines, j’avais un penchant spécifique pour le secteur minier. Je m’arrange à débarquer au ministère des mines.

 Quelles sont vos origines? 

Je suis né à Kamsar, donc l’activité minière c’est un peu dans la famille. Donc, je me suis arrangé pour être muté  au ministère des mines, au service juridique en 2005. J’exerce au ministère des mines pendant quelques mois, j’obtiens une bourse (…) et du gouvernement italien pour aller faire un programme de formation en droit de développement à Rome. Après cette formation là, je postule pour une autre bourse pour faire un diplôme d’études approfondies à l’École nationale des mines de Paris où je sors avec mon diplôme. Je reviens encore une fois en Guinée. Par la suite, je postule pour un autre programme de bourse qu’on appelle Chevening, qui est offert par le gouvernement britannique. Je passe un concours et je bénéficie de cette bourse. Je vais en Angleterre, en Écosse où je fais un master LM3 en politique minière. Suite à cela, j’ai été coopté par une entreprise minière de la place, Rio Tinto où je travaille en tant que conseil Juriste pendant sept années. Et c’est suite à Ces sept années de bons et loyaux services que je suis coopté à Bel Air Mining qui commençait ses activités. J’ai commencé comme Directeur juridique et de la conformité. J’ai gravi tous les échelons jusqu’au Directeur senior de la conformité, secrétaire corporatif, c’est-à-dire secrétaire du Conseil d’administration. Donc quand on a commencé les opérations en 2019, la problématique de se conformer aux dispositions légales se pose. On est interpellé par le ministère des mines… On lance un appel d’offres où 6 candidats au bout du processus sont sélectionnés. c ‘est ce qui nous mène à cette position de Directeur Général Adjoint de Bel Air Mining que j’ai exercée jusqu’à récemment…

Merci

Note de la Rédaction : Cette interview a été réalisée bien avant l’inculpation de M. Saïdou Bah

Entretien réalisé par Thierno Souleymane

vous pourriez aussi aimer
commentaires
Loading...