Les commerçants, les vendeurs à la criée occupent anarchiquement les rues et les ponts pour leur commerce afin de gagner leur pain quotidien. Dans les cinq communes de la capitale, les ponts et les passerelles sont transformés en marché à tous les niveaux. Les raisons avancées : l’insuffisance des places dans les marchés pour accueillir le trop plein du monde et les frais de location des magasins.
Sur le pont de Madina. On se croirait à une foire. De la Pharmacie Centrale au carrefour d’ENIPRA, les commerçants et autres vendeurs ambulants exposent les marchandises à même le sol. Difficile pour les piétons de se frayer un chemin dans ce désordre. Présents le long du pont, les commerçants flirtent au quotidien avec la mort et ne semblent pas prendre conscience du danger qui les guette en ces lieux. Lansana dit Lasco, chauffeur du mini-bus depuis 15 ans a fini par s’y faire lui aussi. «Ils arrangent la population. Pour ceux qui descendent du véhicule, certains achètent des articles . Beaucoup n’aiment pas s’aventurer à l’intérieur pour payer ce dont ils ont besoin. Ici, on a facilement accès aux produits »
Ce vendeur d’objet divers, bien que conscient du danger auxquels il s’expose depuis des années sur le pont, justifie sa présence en ces lieux. « C’est vrai. Ici, ce n’est pas fait pour vendre. C’est pour les piétons et autres engins roulants. Mais il faut bien qu’on se débrouille ! » Selon certains vendeurs, il est difficile de trouver une place dans le marché «les jeunes n’ont pas de moyens pour s’installer dans le marché, ils se débrouillent partout où ils peuvent. On fait ce qu’on peut pour tenir le coup».
La présence de ces commerçants sur les ponts et même sous les ponts fait l’affaire de certains piétons. «Généralement j’achète des articles quand je suis à pieds. Personnellement. Je n’admets pas aller à l’intérieur du marché. C’est un enfer. Je ne trouve pas la sécurité là-bas » Plus écœurant, c’est la présence des enfants aux côtés de leurs parents vendeurs à proximité des voitures. Cette présence des enfants en ces lieux nous interpelle. « Je suis obligée de venir vendre avec mon fils. Je n’ai personne pour veiller sur lui à la maison. Ma famille est au village et son père est à Sangoya, où il vit seul. Je n’ai personne avec moi à la maison », s’explique une vendeuse de fruit croisée sur le pont de Madina côté Pharmacie Centrale. .Mêmes mouvements et mêmes arguments sous les ponts où les vendeurs et les voleurs à la tire se côtoient. Ici, il faut s’en remettre à Dieu et à la providence. « C’est l’étal de ma mère. Je vends sous ce pont avec elle. Cela fait maintenant deux ans que je lui tiens compagnie. Mais ce n’est pas la joie ici. Les bandits avec leurs bagarres, la violence qui s’en suit, la patrouille policière…Les bruits de véhicules qui passent sur le pont. Tout ça est insupportable. On est exposésà tout ici. On a peur , mais que faire et où aller ? Il n’y a pas de place », se plaint la petite Fanta trouvée devant l’étal de sa mère absente des lieux ce jour-là
Autre pont autre réalité. La passerelle de Gbessia-Rond point n’échappe pas à l’assaut des vendeurs ambulants et autres mendiants assis à même le sol : « On passe, on voit tout ce désordre. Difficile de s’e frayer un passage même avec des bagages en mains ou sur la tête. Ces occupants anarchistes évoquent les mêmes raisons pour ce qui concerne leur présence sur ces lieux publics : « Je n’ai pas les moyens raison pour laquelle je me retrouve ici dans ces conditions. Mon mari est déflaté depuis le temps Lansana Conté (l’avènement CMRN). Quand mes enfants se déplacent, je les ramène à côté de moi. Je suis dans cette gymnastique toute la journée», se résigne dame Djaraye B, vendeuse de mouchoirs sur le pont. Pendant combien de temps encore ces envahisseurs des lieux publics vont-ils bénéficier de la protection de la providence ? Que font les autorités pour mettre fin à cette situation avant que le pire ne se produise ? Or, on le sait, il faut mieux prévenir que de guérir !
Aujourd’hui, les passerelles, la rue et le trottoir font vivre une proportion importante des populations de Conakry. Ce secteur d’auto-emploi permet néanmoins, malgré les problèmes qu’il pose, de réduire le chômage et la pauvreté. C’est une réponse populaire et spontanée et créative face à l’incapacité de l’Etat à satisfaire les aspirations les plus élémentaires des couches sociales déshéritées.
Retenons enfin que l’indiscipline, le laisser-aller et la pauvreté sont à la base de cette occupation des ponts et des trottoirs. Si ces ponts sont devenus, pour bon nombre de citadins, les principaux lieux d’exercice de leurs activités, les détournant ainsi de leurs fonctions et de leur usage premiers, à savoir le passage des piétons, cela pose problème, non seulement au niveau de la gestion de l’espace public et de l’aménagement urbain, mais aussi et surtout au niveau de la gouvernance urbaine, vu les conséquences néfastes que de telles pratiques ont sur les riverains et les passants.