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Comprendre la crise de la subvention du carburant en Guinée

Les Guinéens se sont mobilisés depuis que le Gouvernement a annoncé l’augmentation du prix du carburant de GNF 8.000/litre à GNF 10.000/litre.

La raison invoquée est que les subventions, qui permettent de stabiliser le prix des produits pétroliers, grèvent lourdement le budget de l’Etat et deviennent insoutenables dans le contexte actuel.

Selon l’Etat guinéen, d’octobre 2017 à juin 2018, le montant cumulé de la subvention consentie par le gouvernement se chiffre à un montant global d’environ GNF 765 milliards. Il s’agit d’une perte d’environ 100 milliards par mois pour le trésor public.

Quel est la portée d’un tel argument et quelles en sont les implications ? Quels sont les dysfonctionnements à régler pour remédier au déficit budgétaire ?

Une réforme jugée nécessaire

La subvention énergétique pèse très lourdement sur les finances publiques des pays en développement.

L’idée de subventionner les produits pétroliers en Guinée ou ailleurs est intimement liée à la volonté des gouvernements de sauvegarder le pouvoir d’achat de la population. La stabilisation des prix des produits pétroliers entre dans les coûts de production de plusieurs biens et services, l’Etat cherche à contenir les frustrations des populations dont le pouvoir d’achat est très faible.

Une politique de subvention générale, au-delà des effets immédiats qu’elle produit pour les bénéficiaires, entraîne plusieurs effets pervers moins « visibles ».

Du fait du caractère non ciblé, les subventions bénéficient davantage à l’Etat, aux industriels, et aux plus riches qu’aux revenus les plus modestes.

La vérité des prix : Toute politique de subvention empêche « la vérité des prix » fournissant aux agents économiques les signaux leurs permettant d’ajuster leurs choix en fonction des prix du marché.

Une politique de subvention créée aussi une dépendance : les agents économiques habitués à cette mesure en deviennent dépendants à tel point qu’ils la perçoivent comme un droit et qu’il devient alors politiquement risqué de remettre en cause celle-ci. Par conséquent le gouvernement finit par se retrouver avec un accroissement de la charge des subventions qui devient insoutenable sur le long terme.

L’Etat guinéen subventionne également EDG et SEG dans l’achat des produits pétroliers pour contenir le prix de l’électricité et de l’eau, c’est une des dispositions du régime fiscal qui régit les produits pétroliers en Guinée. Ce qui constitue également un handicap dans la vérité des prix.

Une compréhension de l’opposition de la population

Comment peut-on comprendre les hostilités à l’augmentation du prix de carburant ?

Le manque de concertation sociale : L’histoire économique nous apprend que la suppression d’une politique de subvention qui est considéréecomme un droit pour les plus démunis doit toujours se faire avec une concertation entre le gouvernement et les partenaires sociaux.

Le respect du calendrier dans le cadre des négociations avec le FMI (fonds monétaire international) ne doit pas occulter la prise en compte du dialogue sociale.

Le gouvernement ne pouvait ignorer également qu’en prenant une telle décision dans un contexte de rivalité entre les acteurs sociaux, ces derniers sont obligés de réagir pour éviter de se couper de leur base pour retrouver une légitimité d’action politique.

Le business de la crise qui s’est développé également en Guinée continue d’attirer différents acteurs dans la sphère de la médiation. Ces acteurs déplacent le débat sur un terrain politique et contribuent à troubler le jeu de la négociation.

La gabegie financière et le manque de transparence dans la gestion : « Selon le rapport 2011 de l’Agence Nationale de Lutte contre la Corruption, repris par celui de 2017, le volume des pots de vin pour la Guinée avoisine en moyenne 600 milliards de francs guinéens chaque année. La même source indique que les opérateurs économiques déclarent avoir payé près de GNF 500 milliards par an en paiement non officiel et 75% des entreprises affirment faire des cadeaux pour obtenir des contrats. Nous devons mettre fin à ces déperditions financières », disait le Premier ministre Kassory Fofana lors de son discours de politique générale devant l’Assemblée Nationale.

Cette déperdition financière constitue un manque à gagner dans les caisses de l’Etat.

La perception de la population à travers les partenaires sociaux est qu’il existe d’autres sources de recette pour résorber le déficit budgétaire de l’Etat.

Faible pouvoir d’achat des ménages : Même si le gouvernement s’évertue à faire des comparaisons avec les prix à la pompe dans les différents pays de la sous-région, le prix est perçupar la population comme étant relativement élevé ce qui est dû essentiellement à un pouvoir d’achat trop faible.

En combinant tous ces éléments, nous pouvons mieux comprendre la résistance de la population.

Quelles solutions pour un compromis ?

Cadre permanent de concertation d’ajustement automatique des prix et pédagogie des messages : La suppression de la subvention du carburant in fine est sans doute la bonne mesure à prendre, mais elle n’a pas été prise comme il fallait, ni au bon moment. Le Gouvernement doit mettre en place un cadre permanent denégociation d’ajustement des prix et améliorer sa méthode de communication.

Accompagnement des revenus modestes : Le faible pouvoir d’achat de la population et lemécanisme de transmission de l’augmentation du prix du pétrole sur les autres facteurs de production doit être accompagné par des mesures ciblées en faveur de la population aux revenus modestes. C’est ce que fait d’ailleurs le gouvernement avec la mise en place du train express et les bus.

Augmentation progressive des prix : L’augmentation du prix doit se faire par étape pour éviter une hausse généralisée des prix de transports et alimentaires parce que le gouvernement ne peut ignorer le mécanisme de contagion des prix qu’introduit une augmentation des prix du carburant.

Revue des régimes fiscaux : Le gouvernement peut agir sur la fiscalité des produits pétroliers. La structure des prix se divise en composantes non fiscales et fiscales. Sur le plan fiscal, force est de constater que les produits pétroliers sont soumis non seulement aux droits de douane, à la TVA mais aussi à la TSPP (taxe sur les produits pétroliers).

On subventionne ainsi d’un côté un produit que l’on taxe de l’autre… Un réexamen de cette fiscalité devrait permettre de réduire le poids la subvention en supprimant en même temps certaines taxes.

En Guinée, il existe sept régimes fiscaux des produits pétroliers. Il est temps de revoir ces dispositions notamment le régime minier qui accorde un allègement sur le prix du gasoil. Même si l’on comprend le but d’encourager les investissements, les sociétés minières disposent des moyens financiers pour se ravitailler en gasoil aux prix du marché.

Lutte contre la corruption : S’attaquer à la corruption et à la gabegie aurait rendu la proposition de l’augmentation du carburant plus acceptable pour la population. 

Création d’une caisse de stabilisation des prix des hydrocarbures et de péréquation : L’objectif sera de protéger l’économie guinéenne des importantes fluctuations des prix des hydrocarbures et d’en atténuer l’impact sur le pouvoir d’achat des ménages.

En conclusion, cette crise ne sera pas la dernière concernant la subvention des produits énergétiques et ces derniers continueront à peser sur les finances publiques tant que le gouvernement ne réussira pas à mettre en place une politique de confiance vis-à-vis de la population sur le bien fondé du transfert du montant des subventions vers les dépenses d’investissement qui auront un impact réel sur son bien-être.

Ce n’est qu’à ce prix que la population pourra accepter de renoncer à ce qu’elle considère comme étant un droit légitime.    

Une courtoisie d’Ibrahima Sory Doumbouya, consultant, à Paris, France pour Guinéenews© 

             

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