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Dossier – Santé : CHU de Conakry : zoom sur les réalités des urgences, ces « centres de transit » devenus mortifères pour les patients

Que de fois n’a-t-on pas été témoin proche ou éloigné d’un décès qu’on attribue à une négligence médicale ou à un manquement professionnel grave ? Vous êtes régulièrement au courant qu’un patient est décédé dans les hôpitaux publics, suite à une négligence médicale. Puisque les médecins demandent l’argent avant tout. Déjà à la porte des services d’urgences, le premier contact de tout visiteur et même du patient avec l’hôpital ne se passe pas toujours dans de bonnes conditions. Les visages crispés des infirmières et des comportements frisant le mépris sont servis la plupart du temps aux malades. Pour un moindre service, il faut corrompre, du vigile jusqu’au vendeur de ticket, tout se négocie. Conséquence : les mères et leurs enfants, les parents des malades fatigués, découragés, impuissants, en ont assez …  

Les urgences, l’enfer avant la mort !

Nous sommes à l’hôpital Ignace Deen. Le temps affiche 14 heures quand nous sommes introduits aux urgences chirurgicales et par ricochet dans les autres services d’urgences comme parents d’un accidenté de moto le lundi 7 octobre. Les femmes, les enfants crient et pleurent. Ce sont les parents des accidentés graves et des malades aux cas désespérés ou des patients dont la vie sur terre vient de s’achever, a-t-on appris dans l’enceinte de l’hôpital. Dans cet établissement hospitalier, de l’entrée principale du service des urgences, la rue mène tout droit à la morgue. Comme pour traduire, sans doute, que les urgences sont une escale vers la morgue. Devant le bâtiment, les familles des malades, assises sur des pagnes ou des nattes, ont le regard hagard ou présentent des mines angoissées.

Quelques minutes après, encore des pleurs ! Et un autre corps emprunte le chemin de la morgue. Les uns consolent les parents du défunt quand les autres s’en remettent aux prières et implorent Dieu. Un autre constat. Les parents des malades se relaient quasiment dans les toilettes où sont disposés des bidons presque vides, les robinets étant à secs depuis belles lurettes… En notre présence, un patient descend de son lit. Il peine à se tenir sur ses jambes et traîne avec lui le ballon de sa perfusion.

Dans les toilettes, ce dernier vomit et « dégage » avant de regagner son lit d’hospitalisation. Ce tour à l’intérieur des salles laisse apercevoir des malades étendus à même le sol. Des blessés graves qui se tortillaient sur le sol, qui criaient, pleuraient et demandaient le secours des médecins. Dans la salle d’urgences chirurgicales dont nous avons eu la chance de visiter, c’est insupportable. C’est douloureux de voir des êtres humains avec des membres broyés, couchés à même le sol sans assistance. Il est difficile de retenir ses larmes… L’odeur est insupportable, signe d’un manque d’entretien du site. Des malades sans lit ni matelas sont allongés par terre. Leurs jambes et leurs bras sur leurs parents qui leur servent de support.

« Ici, c’est le ballet des brancards, c’est vingt- quatre heures sur vingt-quatre. Ça ne s’arrête jamais », souffle un agent de santé qui se fraie un passage au niveau d’une dizaine de patients allongés à même le carrelage d’un couloir décrépi. « Pas assez de lits ni de bancs », s’excuse le brancardier, avant de filer à pas de charge derrière sa civière brinquebalante. Dans la chaleur moite, les blessés guettent le passage des médecins, inquiets. En attendant quelques pansements de fortune ont été collés çà et là, avec plus ou moins de bonheur.

« Ça fait trois jours qu’on dort là. Mon fils a eu un choc à la tête suite à un accident de moto. On nous l’a envoyé faire une radio. Depuis plus rien ! On attend », explique une femme exténuée. Son fils, la vingtaine, endormi sur le sol. A l’accueil, les fichiers d’enregistrement s’empilent. Dans la même salle, les malades sortis des ambulances attendent les premiers soins malgré leur mauvais état. Mais en lieu et place des premiers traitements, ce sont des ordonnances qui s’abattent sur leurs familles. Beaucoup de parents de malades, non préparés au plan financier, vont dans tous les sens car, ne sachant pas où donner la tête. Après quelques heures d’investigation, nous quittons l’hôpital aussi abattus que les familles des malades. Face à cette réalité, les médecins eux aussi se lamentent quant au manque de moyens et du personnel.

« On manque de tout ! »

Interrogés, quelques médecins ont accepté de nous parler sous le sceau de l’anonymat, des difficultés qu’ils ont face aux malades et aux cas graves dans les services d’urgences. Ce sont des infirmiers fatigués, découragés avec un sentiment d’impuissance qui nous ont fait savoir les réalités auxquelles ils sont confrontés à chaque heure. « On est débordé, mais on ne peut refuser personne. Difficile de tenir. Nous avons un problème d’effectifs. Les services sont saturés avec des locaux et matériels vétustes », glisse un jeune interne en médecine quand un autre ajoute : « j’ai 30 ans de service ici, mais je ne m’habituerai jamais à voir des bébés « partir » parce qu’on n’a pas pu faire la césarienne à temps », s’attriste-t-il avant de continuer : « c’est frustrant. On travaille d’arrache-pied, on fait de notre mieux avec le peu qu’on a et pourtant, on a toujours l’impression de mal faire notre travail, de négliger les patients ».

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Ce n’est un secret pour personne encore moins une hypocrisie pour un touriste qui arrive pour la première fois en Guinée. L’Etat désastreux des hôpitaux et des dispensaires constitue des causes de la grande mortalité en passant par le manque des appareils médicaux fiables, la qualité douteuse des médicaments souvent prescrits par les médecins et l’accueil dans les services hospitaliers. Pis, dans les campagnes et même dans les préfectures, on découvre la précarité, la misère et la saleté. Si ce n’est pas de l’eau potable qui fait défaut, c’est le manque d’électricité.

Au département de la Santé et de l’Hygiène Publique où nous nous sommes rendus pour savoir un peu plus sur la gestion des services d’urgences, les cadres. Sur notre insistance, on nous a demandés de nous rapprocher des directions des hôpitaux publics mieux placées pour nous édifier sur les fonds alloués à cet effet. Toutefois, ils reconnaissent les efforts fournis par le ministère pour équiper ces services en matériels utiles à leur fonctionnement. « Le ministre ne peut pas vous donner tous les détails sur la gestion des différents services des hôpitaux, non plus vous parler du comportement du personnel soignant vis-à-vis des malades ou des blessés graves. Nous mettons à la disposition de ces établissements publics les moyens qu’il faut. Et n’oubliez pas ! Les médecins dont vous faites allusion ont prêté serment. Donc sensés bien faire leur travail. Et aussi nous n’avons jamais reçu la plainte d’un malade objet d’un mauvais traitement ou d’un parent de malade négligé ou rejeté par nos services médicaux. Vous savez, ces blessés ou malades graves dont vous parlez, pensent qu’une fois à l’hôpital, tout le personnel doit abandonner les autres malades pour s’occuper d’eux immédiatement… Aux urgences, tout le monde est pressé ! Même celui qui a une égratignure crie sur les infirmiers », nous apprend un conseiller du ministre, rencontré dans la salle d’attente.

Arrivé au CHU de Donka pour rencontrer la directrice, on nous laisse entendre que le l’hôpital est en rénovation. « La directrice n’est pas disponible à vous recevoir. Nous sommes en chantier comme vous le constater. Que voulez-vous savoir d’autre ? Aucun service ne fonctionne normalement », nous laisse entendre notre interlocuteur KS qu’on a croisé au secrétariat de la direction.

A l’hôpital Ignace Deen, le directeur général, Dr. Awada règne en maître absolu. Après avoir expliqué l’objet de notre présence à un de ses Conseillers, il nous a été poliment demandé de rebrousser chemin et attendre que le directeur accepte de nous recevoir et visiter avec lui, tous les services de l’établissement. Combien de temps devons-nous attendre ? « On vous appellera au moment opportun. Quand le directeur sera prêt. Il n’a pas le temps ces jours-ci. On vous appellera messieurs les journalistes », nous promet ce Conseiller du directeur général d’Ignace Deen, Dr Awada.

Sur la gestion des services d’urgences des hôpitaux publics en Guinée, c’est un silence. Aucun responsable ne veut réellement se prononcer. Ni au ministère ni au niveau des directions des hôpitaux, personne ne veut donner des explications sur les réalités auxquelles font face les malades et les blessés graves. Se décideront-ils un jour pour nous expliquer les souffrances et l’escroquerie dont sont victimes les patients et leurs parents dans les urgences des hôpitaux ?

Alors que les images abstraites attachées aux professionnels de santé (médecins, infirmiers ou infirmières, sages-femmes…) sont partout positives et évoquent assez généralement le dévouement, la compassion, l’altruisme. Par contre la réputation concrète des personnels de santé est particulièrement mauvaise et parfois exécrable. La corruption et le non-respect de la déontologie et surtout de l’éthique (mépris des usagers et la faible qualité de leur prestation) sont très largement dénoncés par les populations. « Ils ne pensent qu’à l’argent », comme le dit une parente d’un accidenté de moto rencontrée aux urgences chirurgicales d’Ignace Deen.

 

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