«On a même vu des animaux qui ont avalé du gravier pour se nourrir cette année»
En Moyenne Guinée, les populations à vocation agropastorale, pratiquent une agriculture sur brûlis et un élevage traditionnel où les ruminants sont abandonnés dans la brousse à la recherche de pâturage. Cette année, le manque d’eau et de pâturage a décimé le cheptel bovin dans plusieurs localités de la région. La rédaction de Guinéenews©, à travers ce reportage, vous amène au cœur d’une tragédie silencieuse dont ont été victimes les paysans.
La Moyenne Guinée est dominée par une végétation de type savane arbustive sur des bowè vers le Nord de la région. Plus au Sud, on y constate la présence des forets à partir de Pita jusqu’au long de la frontière avec la Sierra Leone, 36 au total.
Dominée par deux saisons qui alternent dans l’année, la région a subit cette année une saison sèche plus rude que les années précédentes. Du Nord au Sud, les conséquences ont été néfastes pour les secteurs de l’élevage et de l’agriculture.
Un dérèglement climatique accéléré et menaçant
Dans les années précédentes, l’hivernage commençait en Moyenne Guinée au mois d’avril pour finir au mois de novembre, soit huit mois de saison pluvieuse et quatre mois de saison sèche. Depuis quelques années, cette donne a été radicalement inversée et la saison sèche a tendance à être plus longue. Cette année, la saison sèche a commencé à mi-octobre pour finir à mi-mai soit 7 mois. Ce changement climatique a provoqué une pénurie d’eau dans la région qui a fortement touché le bétail et les cultures vivrières.
Selon les spécialistes, ce changement climatique est dû aux multiples attaques de l’homme contre la nature. Mamadou Tounkara est le Directeur régional de l’environnement et des eaux et forêts de Mamou. Ici il dégage les principales causes qui provoquent ce changement climatique en Guinée.
«Ce changement climatique est dû à deux facteurs de dégradation sur la nature: les facteurs anthropiques, c’est-à-dire des facteurs dus à l’action de l’homme et les facteurs naturelles. Sur les facteurs anthropiques, nous pouvons citer la pratique de l’agriculture itinérante sur brûlis, les feux de brousse, les charbonniers qui coupent le Néré ou les manguiers, l’occupation des berges des cours d’eau par les briquetiers, les champs collectifs jusqu’au lit des cours d’eau qui créent l’ensablement. Sur les causes naturelles, les écarts de température sont plus perceptibles.», a-t-il expliqué.
Sècheresse généralisée, une tragédie pour le bétail
Les conséquences de ce changement climatique ont été dramatiques pour les ruminants. Au Nord qui constitue une même zone éco-climatique, les cours d’eau ont tari, pas d’herbes. Ce phénomène a entrainé une divagation des animaux à la recherche d’eau et de pâturage. Nombreux sont des animaux qui ont perdu du poids et d’autres ont été décimés par manque de pâturage.
A Tougué, au Nord-Est, pendant les mois de mars et avril, une période plus rude, à la boucherie, les bouchers avaient cessé d’égorger des bœufs pour la vente. Ils se contentaient des carcasses livrées par les éleveurs.
«Nous avons enregistré 103 carcasses examinés au laboratoire central de Tougué. Les carcasses sont amenées sous forme de viande foraine », a indiqué Elhadj Mamadou Kenda Barry, le directeur préfectoral de l’élevage de Tougué.
Toujours sur les causes de se désastre, Elhadj Mamadou Kenda Barry a déclaré que la famine et la consommation des corps étrangers (les plastiques, les chiffons, les chaussures, les morceaux de bidon), des aliments indigestes qui ne sont pas biodégradables et qui se forment en amas dans le ventre de l’animal jusqu’à sa mort -les animaux n’ont rien à manger et cela les pousse à avaler tout ce qu’ils voient ou trouvent. On a même vu des animaux qui ont avalé du gravier pour se nourrir.-
Les difficultés pour les animaux de trouver des abreuvoirs, exposent animaux et personnes à de graves maladies
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A Gaoual, au Nord-Ouest de la région, malgré la présence des grands fleuves, la Tominé et la Gomba, les animaux ont difficilement accès à l’eau, le lit des fleuves étant accidenté et l’accès n’est pas aménagé.
« A force de descendre pour se trouver de l’eau, les animaux tombent et se fracture les membres. Les éleveurs qui se trouvent à des kilomètres des fleuves sont confrontés à la pénurie d’eau», a confie Amara Souaré, médecin vétérinaire à Gaoual.
A Koubia, zone endémique au charbon bactérien, deux foyers ont été enregistrés cette année. Mamadou Alpha Diallo, le directeur préfectoral de l’élevage de la localité apporte des précisions : «Le charbon bactérien est une maladie commune aux hommes et aux animaux. Pendant la saison sèche, les animaux dans leur recherche de pâturage, rencontre les champs maudits et s’infectent en consommant les herbes. Généralement, cela cause la mortalité de l’animal et si les gens égorgent à la va-vite l’animal à l’agonie et soumettent cette viande charbonneuse à la consommation humaine, les hommes s’infectent à leur tour. Cette année, il ya eu deux foyers de charbon : à Pilimili et Matakaou où des personnes ont consommé la viande et elles ont attrapé la maladie. Un ovin et sept caprins sont morts de charbon.»
Des hectares de cultures et des animaux dévastés à cause de la sècheresse
L’agent causal du charbon bactérien peut vivre une centaine d’années dans le sol et peut résister à plus de cent degrés.
A Mali, plus au Nord, la sécheresse est plus en avance dans cette préfecture où les pluies ont cessé en octobre 2017, entrainant le tarissement précoce des cours d’eau.
Souleymane Diaby Barry, Directeur préfectoral adjoint chargé de productions et industrie animale de Mali, revient sur l’incidence de la sécheresse sur le bétail : «le problème se pose avec acuité pour le bétail. Plusieurs animaux qui quittent le Bowal pour la marre de Touba-Baguadadji tombent en cours de route par suite de la soif. Les animaux sont déshydratés. L’alimentation pose problème.»
Le maraichage empêche les animaux d’accéder aux poches d’eau qui restent dans les marigots. Les agriculteurs construisent une haie autour des points d’eau pour empêcher aux animaux d’y accéder. Le manque d’eau a détruit les cultures dans la zone de Soumbalako à Mamou. Cette localité réputée, zone de production par excellence des tubercules et fruits, a subit les effets néfastes sur la production pendant cette saison sèche. Des hectares de cultures d’aubergines et de tomates ont été décimés.
En milieu urbain, les populations sont confrontées à une grande pénurie d’eau. Les puits sont à sec. Les services de la société des eaux de Guinée très limités. Certains citoyens trouvent de l’eau grâce à la générosité des personnes qui ont réalisé chez eux des forages électriques à coût de plusieurs dizaines de millions de francs. Là, avec des bidons, ces citoyens, dans une longue file, viennent se procurer d’eau. D’autres citoyens parcourent de longues distances pour s’approvisionner en eau dans les bas-fonds.
L’homme, à force de s’attaquer au couvert végétal, menace la vie des animaux et sa propre vie
Avec la complicité des uns et des autres, des forêts sont agressées à travers des coupes abusives du bois. Ce, malgré l’existence des mesures au niveau de la protection de la nature. Dans le but de limiter l’exploitation anarchique du bois, l’Etat via le département de l’Environnement, des Eaux et Forêts, a fait semblant de réglementer la coupe du bois en accordant des agréments d’exploitation forestière à des individus pour une valeur de 52 millions 500 mille francs par personne pour une période d’exploitation de trois ans. La carte professionnelle est renouvelée chaque année au prix de 7,5 millions de francs guinéens. Ces personnes dans les préfectures sont les agréées. Les seules autorisées à couper le bois parmi elles, ne doivent pas utiliser plus de deux tronçonneuses. Ces agréments sont octroyés à condition de respecter l’engagement de reboiser 10 plantes pour chaque arbre coupé. Et d’exploiter lui-même et pour son compte, sans louer ni transférer à des tiers de quelque manière que ce soit, le permis de coupe dont il est bénéficiaire.
Pour récupérer sa caution, l’agréé est obligé de passer son mandat à des tronçonneurs contre un coût. «Pour récupérer une partie de ce qu’on a dépensé pour l’obtention du permis, nous sommes obligés de faire payer 3 millions à chaque tronçonneur pour lui permettre de couper les arbres pour une durée de 3 ans », a confié Ibrahima Sory Traoré dit Gongoreya, l’un des trois agrées de Mamou.
Avec cette surexploitation forestière, les conséquences sont alarmantes : augmentation de la chaleur, rareté des pluies, assèchement des cours d’eau, avancement des Bowè, décimation des animaux.
Pour léguer aux générations futures les richesses des forêts et un environnement sain aux êtres humains et aux animaux, les autorités doivent prendre leurs responsabilités en main afin de limiter la coupe du bois et procéder à la restauration du couvert végétal par des campagnes de reboisement continuelles des essences forestières telles que le Gmelina arborea, du Teck, de la Framiré et du Fraké.