Les entreprises minières forment l’essentiel des sources de revenus de la Guinée. Ceci à cause de l’économie de rente qui s’est développée depuis des décennies au détriment de l’agriculture et autres secteurs non moins importants.
Mais la Guinée perçoit-elle les fruits de son sous sol réputé si riche ? En un mot, les entreprises minières paient-elles les impôts prévus par le législateur ?
Guinéenews© a enquêté…
Une compagnie minière « opaque » …
La société minière de Dinguiraye (SMD) est une entreprise minière de droit guinéen. Son principal actionnaire est Norgold du milliardaire russe Alexey Morachev. L’Etat guinéen avait initialement une participation de 15% au capital qu’il avait « cédée » en 2006 dans des « conditions incompréhensibles » selon Abdoulaye Magassouba, l’actuel ministre des mines. Ces 15% ne furent récupérés qu’en 2018 grâce à une promesse de la SMD de vouloir investir 363 millions de dollars sur 10 ans, la concession de SMD venant à expiration en 2019.
Alors que lors de l’acquisition de la SMD, Norgold se targuait d’être cotée à la bourse de Londres, la société s’est délistée l’année dernière en début 2017 pour pouvoir opérer en dehors de la vigilance et de l’examen minutieux des polices boursières. Selon les informations disponibles, Morachev détient la quasi totalité des actions de Norgold et la compagnie est enregistrée dans un paradis fiscal pour ne pas payer des impôts.
« Exonérations fantaisistes » : L’Etat doit à SMD. Nul ne sait pourquoi ?
Dans le contrat minier qui lie cette société à l’État guinéen, il est noté que l’Etat à une créance de 365.871.556.471 GNF sur son avenant 3 payables pour une période de 6 ans ; donc, cette créance s’étend du 1er janvier 2010 au 31 octobre 2017.
En plus, cette situation a été appuyée par un certificat d’exonération établi le 15 décembre 2015 suivi de la lettre 0887/MDB/CAB/CF/15.
Cette exonération est une mauvaise politique dans la mise en place des contrats miniers et un manque de conditions pour accueillir les investisseurs. Un membre de l’ITIE (initiative pour la transparence dans l’industrie extractive), précise : « Nous perdons des fonds qu’on aurait dû capter, et l’Etat fait ça car nous n’avons pas tout les conditions nécessaires pour attirer et maintenir les investisseurs étrangers. Comme les routes et infrastructures. »
Malgré ces milliards de francs exonérés, la concession minière de la SMD est valide jusqu’en 2019. Mais déjà, Nordgold, la société mère émet le souhait de prolonger la convention et la concession minière pour 15 autres années.
Elle produit 204.349 onces d’or et 9.408 onces d’argent en 2016. Pour une valeur de 242 millions USD (pour l’or) et 165.000 USD pour l’argent.
Une (1) once d’or vaut USD 1,200 sur le marché mondial soit un chiffre d’affaire théorique de 245 millions de dollars USD par année en 2016 pour SMD.
En outre, la société minière de Dinguiraye est exonérée des taxes sur la valeur ajoutée (TVA) sur les lubrifiants et les carburants, cela depuis 2010.
Le code minier est pourtant clair. Les entreprises doivent s’acquitter de leurs taxes en toute transparence.
L’article 165 du Code Minier 2011 amendé prévoit que chaque entreprise minière doit s’acquitter auprès du Trésor Public guinéen les impôts et taxes ci-après :
• les droits fixes,
• la taxe sur l’extraction des substances minières autre que les Métaux précieux ;
• la taxe sur la production industrielle ou semi-industrielle des Métaux précieux ;
• la taxe sur les substances de carrières ;
• la taxe à l’exportation sur les substances minières autres que sur les substances précieuses ;
Il faut aussi noter, selon le Code Minier que la taxe à l’exportation sur la production d’or qui doit être payée au Budget National par tous les titulaires des titres miniers ou les autorisations et être répartie comme suit :
• 80% au profit du budget national
• 15% au profit du budget local de l’ensemble des Collectivités locales du pays
• 5% au profit du Fonds d’Investissement Minier.
Le Code prévoit également que les montants transférés font l’objet d’une publication dans le Journal Officiel et sur les sites internet officiels des Ministères en charge des Mines, de la Décentralisation et des Finances. Ce qui n’apparaît pas lors de la consultation desdits sites.
Il est à noter que dans la pratique, ces transferts n’ont pas été opérés à ce jour en raison du défaut de publication de l’arrêté fixant les modalités d’utilisation, de gestion et de contrôle des ressources allouées aux collectivités locales.
Toutes les entreprises minières qui exploitent les matières précieuses sont tenues de verser une taxe à la Banque Centrale. La redevance de la BCRG sur les expéditions d’or est de 300 GNF par gramme
- L’impôt sur les sociétés est de 30% du chiffre d’affaire ;
- La TVA est de 18 % – SMD n’a pas payé cette taxe.
- La redevance superficiaire. Le taux est fixé par arrêté du ministre des mines et celui des finances. Elle est déterminée en fonction de la superficie octroyée et doit être versée aux collectivités
La SMD n’a jamais payé cette dernière redevance en 2016 et il n’est pas sûr selon nos informateurs qu’elle s’est acquittée auprès du Trésor public pour 2017 et 2018.
Il existe aussi ce qu’on appelle la « Contribution au développement local ». Le taux se situe entre 0.5% à 1% du chiffre d’affaire de la société minière et le montant est payable aux collectivités locales.
Il faut noter tout de même que la SMD a contribué à hauteur de 188 milliards GNF au budget national en 2016. Seules deux charges apparaissent dans le rapport de l’ITIE – l’organisme chargé de veiller à la transparence dans les mines en Guinée.
Renforcement des capacités du Trésor Public envers les miniers.
Pour satisfaire notre curiosité de savoir si cette exonération est toujours en cours, nous avons joint successivement le chargé des relations communautaires de la SMD et l’avocat de ladite société. Ils se sont tous déclarés «incompétents» à répondre à nos questions.
Ce fut le même cas pour le ministre des mines mines et de la Géologie qui n’a pas décroché nos appels.
Au moment où l’Etat parle de mobilisation des ressources, il est important – aux dires des observateurs – de se pencher sur les riches compagnies minières qui souvent comme d’autres acteurs économiques guinéens échappent à l’impôt en connivence avec des cadres véreux qui n’ont pas le patriotisme au cœur.
Enquête réalisée par Mohamed Moro Camara, correspondant de Guinéenews à Siguiri avec la contribution de Boubacar Caba Bah pour Guinéenews