Dans la foulée de l’élection du nouveau président à la Commission électorale nationale indépendante (CENI), ce mardi 26 mai, le président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) a accordé une interview à Guineenews©. L’opposant a réagi non seulement au changement opéré à la tête de l’organe de gestion des élections en Guinée mais aussi, Cellou Dalein a abordé d’autres questions d’actualité notamment la présidentielle de 2020 et la reprise annoncée des manifestations politiques.
Guineenews© : Monsieur le président de l’UFDG, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a élu un nouveau président. Quelle est votre réaction ?
Cellou Dalein Diallo : D’abord, nous avons dénoncé la manière dont monsieur Mamady Kaba a été désigné. En raison du fait que les dispositions légales ont été violées, parce que c’était au barreau de désigner le remplaçant de Me Salif Kébé. C’était clair dans la loi et dans l’arrêt dit par la Cour constitutionnelle pour constater la vacance du pouvoir. Pourquoi le pouvoir a refusé que la loi soit appliquée ? Ça déjà, c’est suspect. Après, il y a eu des tractations (…) Ils ont décidé finalement de retenir Cissé qui était un proche collaborateur de Kébé, qui a participé à cette mascarade, qui connaît bien la maison et comment on se met sous les ordres de l’exécutif.
Je ne m’attends pas à ce qu’il fasse preuve d’indépendance. Mais s’il le faisait ce serait bien pour le pays et pour la démocratie. Mais j’en doute parce que le pouvoir influence. Il y a eu des réunions au cours desquelles on a dit que Kaba va se désister parce celui qui est mieux à même de garantir l’intérêt du pouvoir, c’est-à-dire la conservation du pouvoir par le clan actuel, c’est Kabinet Cissé (nouveau président de la Ceni, ndlr). Parce que Mamady Kaba n’est pas aussi rassurant que Cissé.
La mouvance était divisée sur la question de savoir lequel d’entre eux pourrait assumer cette fonction. Mais en définitive, depuis avant-hier (dimanche 24 mai 2020), les clans se sont mis d’accord de prendre plutôt Cissé. Kaba a été appelé pour lui dire de se désister. C’est ce qui s’est passé.
Guineenews© : Est-ce que finalement pour l’opposition, ce n’était pas mieux que ce soit Kaba au lieu de Cissé à la présidence de la CENI ?
Cellou Dalein Diallo : Il y a un problème avec Kaba. Pourquoi le pouvoir n’a pas voulu que la structure qui en a le droit choisisse le remplaçant de Me Salif Kébé (ancien président décédé, ndlr) ? il faut se poser la question parce que c’était clair aussi bien dans l’arrêt de la cour constitutionnelle que dans la loi. Ils ne l’ont pas voulu parce qu’ils ont estimé peut-être qu’on ne peut pas contrôler comme on le souhaite les avocats que le barreau aurait pu désigner.
Maintenant, choisir Kaba ou Cissé, moi je ne les connais pas. Je ne connais ni l’un ni l’autre. Je ne sais pas qui est capable de faire preuve d’indépendance dans un système où le pouvoir contrôle tout. Si Cissé même a été choisi, il a participé à tout ce qui s’est passé récemment, je ne sais pas s’il est capable de faire preuve de responsabilité et d’indépendance. Certains commissaires de la CENI estimaient que Kaba était mieux indiqué. Mais moi, je ne peux pas vraiment donner un point de vue. Je sais que tous deux sont acquis au pouvoir et qu’ils sont prêts à exécuter les instructions d’Alpha.
Guineenews© : Le Front national pour la défense de la constitution (Fndc) a projeté des manifestations après le ramadan. Maintenant que le ramadan est fini, est-ce qu’on a des dates ?
Cellou Dalein Diallo : On va se retrouver pour fixer les dates et réorganiser nos troupes pour marquer par les manifestations notre frustration par rapport à la chasse à l’homme déclenchée par Alpha Condé contre les cadre du FNDC. On a plus de 280 détenus aujourd’hui. Vous avez suivi l’arrestation et la déportation à Kankan de nos membres de N’zérékoré. Ils sont au nombre de 44. Nous avons 46 en détention aujourd’hui. Sans compter ceux qui ont bénéficié de liberté provisoire avec paiement de sommes d’argent à titre de caution.
Malheureusement, la chasse à l’homme continue. Malgré l’appel lancé par l’OMS et les Nations-Unies pour désengorger actuellement les prions. Et malgré la pandémie et la trêve observée par le Fndc en raison de cette pandémie, Alpha Condé continue de dérouler son agenda. Et d’opprimer toute opposition à ce régime, en s’attaquant aux cadres membres du Fndc et à la coordination du Fndc notamment Foniké Mengué, Gomou, Cécé Loua. Ils sont 44 à Kankan parce qu’ils sont membres du Fndc. Il y a moins d’une semaine qu’ils sont allés kidnapper tous les responsable de l’UFDG à Kégnéko, une sous-préfecture de Mamou. Ils les ont naturellement séquestrés à la prison civile.
A Koundara, on a au moins une quinzaine de prisonniers… Et partout là-bas, ce sont des arrestations. Et puis, il y a le massacre qui s’est passé à Coyah. Dans ce pays, tu réclames l’organisation des élections à bonne date, on tue. Et c’est l’impunité totale pour les assassins. Tu demandes de l’eau ou l’électricité comme ça se passe dans tous les pays, on tue. Tu demandes d’enlever un barrage illégal, on tue. C’est l’impunité totale pour ceux qui agissent ainsi. Depuis qu’Alpha est au pouvoir, on a fait plus de victimes qu’au stade du 28 septembre en 2009. Si tu totalises depuis 2009 jusqu’à maintenant, il y eu a plus de 200 personnes qui ont été abattues, souvent à bout portant par les forces de l’ordre.
Il n’a jamais voulu qu’une enquête soit diligentée pour identifier les auteurs. Or, comme vous le savez, naturellement, l’impunité incite souvent, encourage la récidive. Cette impunité qui marque aussi le pouvoir d’Alpha, c’est une violence impunie qu’on ne peut justifier qui continue. Mais le FNDC ne peut pas rester indifférent lorsque lui il déroule et continue à dérouler son agenda.
Il continue de faire tuer dans l’impunité totale. A Kamsar même, l’auteur du crime, c’est un gendarme bien connu célèbre là-bas qui a abattu le jeune en face. Mais on sait qu’il n’y aura jamais de poursuite parce qu’Alpha ne veut pas que les policiers et gendarmes se fâchent. Il semble que le premier conflit qu’il a eu avec maître Sacko c’est lorsque celui-ci a mis en place une commission d’enquête.
A son (Me Sacko ndlr) arrivée il y avait 60 morts. Il a dit que c’est inadmissible. Il a instruit ce monsieur de dissoudre la commission d’enquête. Qu’il ne veut pas qu’on lui mette les gendarmes et les policiers sur le dos. Voilà dans quelle situation on est et c’est grave. Donc le FNDC va réagir. Nous allons nous retrouver.
Guineenews© : Quand ?
Cellou Dalein Diallo : Ecoutez, hier (lundi 25 mai, ndlr), c’était le lendemain de la fête. On va se retrouver incessamment.
Guineenews© : Les actions qui ont été entamées aussi au niveau de la Cour Pénale Internationale (CPI), est-ce que vous avez un retour?
Cellou Dalein Diallo : En fait, c’est un signalement. Nous avons demandé à notre avocat de faire état à la CPI, de ce qui se passe en Guinée. Parce que lorsqu’on dit aujourd’hui au monde qu’il y a eu plus de morts par les forces de défense et de sécurité pendant le règne d’Alpha qu’au stade du 28 septembre en 2009, les gens ne le croient pas. Mais nous avons tous les dossiers. Les victimes, leurs parents sont là. Leurs camarades sont là. Il y a des témoins. Mais on n’a jamais voulu mener une enquête. Donc il était important que le monde soit informé de ça parce nous n’avons pas suffisamment communiqué là-dessus. Et beaucoup de gens disent comment vous pouvez avoir des cas comme ça sans informer la communauté internationale. Nous répondons que que Human Rights Watch publie régulièrement des rapports, ainsi que la FIDH et Amnesty international.
Aujourd’hui la liste est là. Les parents des victimes, chacun a une version des conditions dans lesquelles son fils ou son proche a été tué. Alors Alpha qui se défend et dit que c’est l’opposition qui tue à chaque fois qu’on l’interroge. Mais il aurait pu confondre l’opposition. Mais pourquoi jusqu’à maintenant, il n’y a pas eu d’enquête. Pourquoi ce sont les militants l’opposition ? On est si cynique pour tuer nos propres militants qui font notre force et notre fierté ?
Il a essayé de séquestrer et de torturer les gens pour qu’ils disent que c’est nous qui les armons. Maintenant qu’il a porté le problème au niveau même de l’Union européenne, c’est une bonne chose. Nous avons toujours réclamé une enquête internationale. Maintenant qu’il se plaint et qu’on se plaint, on souhaite qu’une commission internationale vienne clarifier les choses.
Ils vont rencontrer les parents des victimes. Ils vont essayer de situer les choses et les présumés responsables. Mais le premier responsable, c’est celui qui a refusé en tant que président de la République que des enquêtes soient diligentées pour identifier les auteurs.
Guineenews© : Est-ce que vous pensez qu’une élection présidentielle peut se tenir en 2020 avec le fichier électoral actuel, cette CENI actuelle et la nouvelle constitution ?
Cellou Dalein Diallo : La position du FNDC est que nous ne reconnaissons ni l’assemblée ni la nouvelle constitution. Et nous sommes en train de travailler pour que les résultats issus de cette mascarade soient annulés. Et que nous reprenions les élections lorsqu’on aura réuni les conditions d’un scrutin équitable, transparent et juste sur la base d’un fichier sincère et consensuel.
Voilà les termes des appels lancés aussi bien par l’Union africaine, la CEDEAO, l’Union Européenne, la France, l’Angleterre, l’Allemagne, les Etats-Unis et qui sont exprimés clairement en demandant à Alpha Condé d’arrêter les violences et d’ouvrir un dialogue pour qu’on se réunisse afin d’aplanir nos divergences et aller à des élections inclusives et transparentes avec un fichier consensuel.
Il a défié le monde entier en disant non à toute idée d’ouverture même quand il a reporté de deux semaines. Qu’en tout cas, l’opposition n’intégrera plus le processus. Cette volonté d’exclusion continue de prévaloir chez lui. Nous aussi, on va se battre pour obtenir l’annulation des résultats de ce double scrutin qui n’en est pas un d’ailleurs. Comme on l’a suffisamment démontré (…)
Par ailleurs, nous n’avons de visibilité sur la pandémie. Et par rapport à ça, on ne sait pas. Mais en ce qui concerne le fichier, avec cette CENI sans aucune garantie de transparence, est-ce que vous savez que les résultats de la proportionnelle n’ont pas été proclamés ? Les tractations ont eu lieu à la présidence pour les autres partis. Il y en qui n’ont pas eu mille suffrages alors qu’il en fallait 37 mille pour avoir un député selon les résultats.
On a décidé de leur donner des députés parce qu’ils ont accepté d’accompagner le processus. Mais cela n’avait rien à voir avec les résultats. Il y en a qui n’ont pas eu 1000 voix à l’uninominal et à la proportionnelle mais qui ont obtenu 2 députés. Ce n’est pas une élection. Aller à une élection dans de telles conditions, où Alpha proclame les résultats qu’il veut. On se retrouve à la présidence pour affecter des sièges à des partis qui n’ont même pas eu 10% de ce qu’il faut pour avoir un député, comment on peut aller à des élections comme ça ? Ce n’est pas possible.
Guineenews© : Je ne sais pas si vous êtes au courant de la nouvelle polémique qui est née d’une différence entre le projet de constitution et la version qui a été promulguée et publiée. Le projet reconnaissait les candidatures indépendantes à la présidentielle alors qu’elles ne figurent pas dans la version publiée. Quelle est votre réaction ?
Cellou Dalein Diallo : (rire) Maintenant je connais Alpha. Il s’en fiche de la loi. Il fait ce que fait le dictateur. C’est l’expression accomplie de la dictature. Il s’en fout de la loi. Je vous donnais l’exemple de la distribution des sièges en dehors des résultats obtenus. Mais il est capable de tout. Je vous rappelle encore l’affaire des quartiers et districts. La cour suprême, la plus haute juridiction du pays rend un arrêt obligeant le gouvernement à mettre en place les quartiers et les régions. La loi était là déjà c’est clair. Mais il y a aussi l’arrêt, la décision de justice. Lorsque le président prête serment, il jure de respecter la loi et de faire appliquer les décisions de justice. Mais il ne fait pas ça.
Donc changer ça, mettre ce qu’il veut parce qu’entre temps on a décidé de ne plus tolérer ça. Ils ont complètement changé la constitution qui est censée être adoptée par le peuple et ça ne les dérange pas. Moi ça ne me surprend pas.
Guineenews© : Un dernier mot monsieur le président
Cellou Dalein Diallo : Il faut que les gens soient prêts. Le peuple doit défendre ses droits et ses libertés qui sont en permanence menacés par ce pouvoir. Et le FNDC ne tardera pas à les appeler à se mobiliser pour exiger naturellement le respect de nos droits et libertés.
Guineenews©: Merci
Entretien réalisé par Amadou Tham Camara et transcrit par Thierno Souleymane