Le secteur minier est incontestablement un pilier essentiel de l’économie guinéenne, avec pas moins de 80% des ressources d’exportation du pays. Pour autant, le bilan annuel qu’on peut dresser dans les mines, indique clairement qu’entre les annonces, les faits et autres résultats, l’écart reste grand. Même si, quelques oasis parsemées dans le désert, permettent de garder espoir.
Ces quelques exemples peuvent attester qu’il y a nettement mieux à faire dans le secteur minier et les activités connexes. Tout d’abord le prix de référence de la bauxite, dont l’arrêté conjoint devait entrer en vigueur en septembre 2022, fait encore l’objet de débat. Plus d’une année après, tous les paramètres ne sont pas encore maîtrisés. Les prix restent à harmoniser.
Parallèlement, il y a le rapatriement des recettes minières. Aucune lisibilité sur l’application de la décision, alors que le gouvernement annonçait l’effectivité de la mesure à hauteur de 50%, fin août 2023. Les quelques informations qui ont filtré des négociations ouvertes à cet effet, ont révélé un manque de préparation en amont, avant la prise de la mesure par les autorités.
Autre aspect où le rendez-vous a été également manqué, c’est celui de la construction des raffineries, notamment dans le secteur bauxitique. L’administration a eu beau taper du poing sur la table, le président de la transition n’a pas fini de demander des comptes à son ministre. En tout cas, aux dernières nouvelles, bis repetita, on était encore à un nouveau délai accordé aux sociétés. Pour que ces dernières donnent les études de faisabilité au gouvernement, afin qu’il se fasse sa propre opinion sur le contenu des documents.
Ce qui devrait lui apprendre à murir la réflexion, pourquoi pas, consulter au-delà de la sphère gouvernementale, avant de prendre ses décisions. Surtout qu’il y a des bonnes volontés et des compétences avérées parmi nos compatriotes, qu’on peut valablement mettre à contribution pour un changement qualitatif.
Cohabitation difficile entre les sociétés minières et les riverains
L’autre aspect à ne pas négliger dans ce récapitulatif, ce sont les relations entre les sociétés minières et les populations riveraines. Le cas de Chalco illustre, parfaitement bien, cette réalité.
En effet, dans la deuxième quinzaine du mois d’octobre passé, la société a annoncé la mise en congé technique de 806 de ses travailleurs. «Chalco est victime d’arrêts incessants du travail par des barricades et blocages communautaires et des grèves injustifiées de nos employés », explique l’entreprise dans une lettre adressée à la délégation syndicale. Et d’ajouter que «cela a entraîné un arrêt cumulatif du travail de 99 jours, en dix mois d’activités».
Une situation qui été tout, sauf confortable pour les employés, partagés entre regret et rejet de la décision de la direction générale de la juniore bauxitique. Ainsi que pour l’État guinéen, parce que le contrat de Chalco fait partie de ceux qui garantissent les 20 milliards de dollars que la Chine mettait à la disposition de la Guinée, sous Alpha Condé, pour la construction des infrastructures, notamment routières.
Un peu avant, au mois d’août, une société aurifère a vu ses activités fortement perturbées du côté de la Haute Guinée. Il s’agit de Kouroussa Gold Mine (KGM). «Oui effectivement, nous avons eu connaissance de cette révolte des jeunes, manifestement dirigée contre les recrutements effectués par la société KGM. Mais nous n’avons pas fait intervenir les forces de l’ordre. Nous avons privilégié le dialogue », déclarait à l’époque le préfet, Colonel Idrissa Camara, au téléphone Guineenews. Et d’ajouter: «nous étions en discussion et une mission est venue de Conakry. Mais sans protocole d’accord, ils se sont retournés. Cela aurait pu aggraver la situation. Cependant, nous avons réussi à calmer les esprits…»
Des cas et d’autres qui arrivent souvent, du fait du non-respect des dispositions légales de part et d’autre, ou du vide juridique que constitue le manque de textes d’application des lois, comme le code minier. Alors que paradoxalement, l’État fait l’impossible pour attirer des investisseurs, avec des exonérations que certains observateurs assimilent à de la légèreté, de la part des fonctionnaires qui négocient et signent des contrats, presqu’en catimini.
La corruption reste un double défi dans l’administration minière et environnementale
L’autre défi à relever dans le secteur minier pour la Guinée et ses partenaires, reste la lutte contre la corruption. L’année qui s’écoule a été ponctuée par des cas qui le démontrent clairement. Avec le département chargé de l’administration minière au cœur de la plupart des scandales.
D’abord, à la fin du premier trimestre de l’année (en mars), c’est le ministre des mines et de la Géologie qui est pris en flagrant délit de népotisme. Dans une lettre adressée à la société aurifère Sycamore, Moussa Magassouba recommande la société GPC pour un marché, foulant au pied les principes en la matière…
Trois mois plus tard, en juin, intervient le renversement d’une barge de 7 500 tonnes de bauxite, dans les eaux maritimes guinéennes. Dans la gestion de cet accident dénoncé par l’ex Directeur Général Adjoint de la société, Mamadou Saïdou BAH, abusivement licencié dans la foulée, c’est un gros parfum de corruption qui se dégage du ministère de tutelle et de Bel Air Mining. Ce, en dépit de la sanction financière de 60 milliards de francs guinéens infligée à la juniore bauxitique dirigée depuis octobre dernier, par l’ancien ministre d’Alpha Condé, Amara Somparé.
En tout cas, les semaines et mois qui ont suivi l’accident, beaucoup de responsables de ladite société ont été momentanément interpellés, avant d’être mis sous contrôle judiciaire pour certains. C’est le cas du directeur des opérations, Ross Douglas John Alexander Brilish qui a même tenté d’embarquer à l’aéroport de Conakry, en violation de l’interdiction de sortie de la Guinée, dont il faisait l’objet.
Des soupçons aggravés, suite à l’interpellation et l’audition de Karim El Ghawi, nommé Directeur Général dans des circonstances troubles. Conséquences, c’est plusieurs hauts responsables du département en charge des mines qui ont été convoqués et entendus à la direction centrale des investigations judiciaires de la gendarmerie. Une procédure dont la suite est très attendue, eu égard aux informations en notre possession. Même si, parmi les cadres concernés, il y en a qui estiment avoir fait correctement leur travail, au point de mériter des félicitations voire une décoration. Alors que d’autres sont plutôt dubitatifs, du fait que les enquêtes ne soient pas allées, plus loin. Entre autres, pour savoir comment et pourquoi le montant de la sanction financière de 65,5 milliards GNF proposée par l’équipe mixte d’enquêteurs a été revu à la baisse par le ministre, pour être fixé à 60 250 000 000 GNF.
Pendant que ce dossier focalisait l’attention des observateurs, c’est un autre scandale qui est intervenu au ministère des mines et de la géologie. Il s’agit de la fuite en novembre dernier, d’une lettre de réclamation de don, adressée par ledit département à la société CIMAF. Ce document signé par le conseiller économique et fiscal, sur ordre du ministre, «conditionne» le traitement favorable d’un dossier de l’entreprise par le fait pour cette dernière, d’honorer un «engagement» d’offrir à l’Etat deux (2) millions de dollars US. «Afin de permettre à l’administration minière de donner une suite favorable à votre requête, je vous prie de bien vouloir saisir officiellement le ministère des mines et de la géologie, de votre volonté d’honorer les engagements du directeur général sortant de CIMAF», écrit Yakouba Kourouma, dans ce document qui a inondé la toile…
Malheureusement, chez les voisins de l’environnement, en termes de gouvernance, le tableau n’est pas très reluisant non plus. Même si dans ce département, la ministre n’est pas éclaboussée, du moins pour l’instant, quatre de ses hauts cadres font officiellement l’objet d’accusations de corruption et d’autres pratiques illicites. Il s’agit de Dr Karim SAMOURA, Secrétaire général du ministère de l’Environnement et du Développement durable, M. Mohamed FOFANA, Directeur général de la faune et flore du ministère de l’Environnement et du Développement Durable, Mme Nana KOULIBALY, Point focal CITES Guinée, en service à la Direction générale de la faune et flore du ministère de l’Environnement et du Développement durable et enfin, M. Sidiki KOUROUMA, Directeur général de l’Office guinéen du bois.
Le procureur Général près la cour d’appel de Conakry a reçu, le 27 décembre, des injonctions à des fins de poursuite contre les responsables concernés : «… Coupes illégales de bois ; constitution d’un dépôt de produits forestiers, sans bordereaux d’entrée et de sortie et sans fiche de dépôt ; circulation des produits de coupes de bois sans bordereaux de route ; vente et exportation de produits forestiers, sans certificat d’origine ; violation de la réglementation relative à la circulation et au dépôt de produits forestiers ; commerce illégal ; corruption d’agents publics ; faux et usage de faux en écriture publique ; détournement de deniers publics ; blanchiment de capitaux», sont les faits dont ils sont reprochés.
Ce qui n’est pas sans rappeler, en septembre dernier, une histoire d’autorisation de remblai d’un domaine maritime qui avait conduit le directeur général de l’agence de gestion et évaluation environnementale à la gendarmerie, pendant que son adjoint, Jérôme Kpoghomou, était activement recherché.
Quelques motifs d’espoir
Dans cette atmosphère plus que préoccupante, il y a quand même de quoi espérer, quant à la capacité des cadres guinéens de faire preuve de compétence et de patriotisme. En témoigne la bonne dynamique enclenchée au niveau du Laboratoire National de la Géologie (LNG) par la Directrice Générale, Odia Magassouba, avant la mise hors service de ses installations, suite à l’ explosion du dépôt des hydrocarbures de Coronthie, qui jouxte ses bureaux. En guise d’exemple, les recettes de la direction seraient passées, d’environ 700 millions à deux (2) milliards GNF. Avec beaucoup d’équipements acquis et des cadres formés sur fonds propres. Ajoutées à cela, la récupération et la mise en fonction du Laboratoire du Camp Balanta de Kamsar.
Mêmes sentiments à propos de certains des établissements publics à caractère administratif (EPA) comme le fonds d’investissement minier (FIM). En tout cas, pour sa part, au sortir d’une réunion en novembre dernier, le conseil d’administration du FIM affichait une certaine satisfaction. Avec à la clé, 103 milliards GNF mobilisés jusqu’en août dernier, dont 20 milliards de pénalité, selon son président Kagbè Touré.
Également à l’Agence Nationale d’Aménagement des Infrastructures Minières (ANAIM) dont le chantier des logements sociaux à Kolaboui, est un exemple concret de pragmatisme et de rupture avec les anciennes pratiques. Tout comme l’installation du centre de dialyse à l’hôpital de Kamsar. Sans oublier la récupération des redevances minières, initiée par Mohamed ‘‘Lapi’’ Bangoura, avec le soutien du CA (conseil d’administration) et sa tutelle, la Présidence de la République.
Dans la même veine, on peut évoquer les gros chantiers en cours, au compte du projet d’exploitation du minerai de fer du Simandou. En dépit de l’abandon du port en eau profonde de Moribaya, au profit d’un dispositif de transbordement, la Compagnie du Trans Guinéen codétenue par Winning Consortium Simandou, Rio Tinto Simfer et l’État guinéen, suscitent beaucoup d’espoir dans notre pays et ailleurs, dans le monde. Même si, des voix s’élèvent pour demander que le contrat soit rendu public.
Les dernières signatures enregistrées le 22 décembre dernier ont ravivé la flamme. Désormais, tout porte à croire qu’il ne reste plus que «les garanties des maisons mères que les partenaires industriels doivent fournir à l’État» pour que ce mégaprojet, jugé comme irréversible, par maints observateurs, devienne réalité