Depuis tout le temps que nous rapportons des cas d’accidents de la circulation survenus à travers le pays, nous avons souvent omis de faire mention de l’assurance. Pas à dessein, rassurez-vous !
Que l’opportunité d’en parler s’offre à nous, bien vite nous la saisissons. Nous mettons tout de suite le sujet en relief, d’autant qu’il nous apparaît assez important pour être occulté. C’est un sujet central, certes largement partagé, mais non consensuel.
La raison de cette omission est à chercher ailleurs. Elle part de la source même de l’information que nous traitons. Dans les rapports d’accidents produits par les services de police et de gendarmerie routières, il est rarement fait mention de l’état d’assuré ou pas, des véhicules accidentés. Pourtant, cela mérite bien d’être connu car, il y va souvent de l’avenir immédiat des victimes. Leur sort peut en dépendre, dans une large mesure. D’ailleurs, dans la chaîne de gestion de la problématique de la sécurité routière à travers le monde, l’ONU a fait de cet aspect le cinquième pilier intitulé soins post-accident.
Il permet une traçabilité sur le sort des victimes après l’accident : les secours, la prise en charge, les soins, etc. En somme, tout le processus qui va de l’après-accident à la guérison ou à la réinsertion, s’il y a lieu.
En général, cela ne pose aucun problème, lorsqu’une police d’assurance existe. Au cas contraire, c’est le cash qui est réclamé aux victimes ou à leurs accompagnants avant les premiers soins. Une situation dramatique qui conditionne leur sort à la présentation de ce sésame protecteur ou au paiement de la somme réclamée. S’il arrive qu’elles soient indigentes, donc insolvables et que l’auteur de leur malheur ne soit pas connu ou ait fui, on a peine à imaginer la suite. Un cas de figure que personne ne souhaite envisager.
Et dire que nous n’avons parlé que de dommages corporels, omettant de rappeler, qu’en plus des soins hospitaliers à supporter, il arrive que s’ajoutent des dégâts matériels importants à réparer.
Mais le paradoxe, c’est que lorsqu’on parle de tout ceci, beaucoup pensent que ça n’arrive qu’aux autres, oubliant sans doute, que personne n’est à l’abri. L’accident peut arriver à chacun de nous !
Cet état de fait explique on ne peut mieux, la réalité qui prévaut chez nous. On estime entre 20 et 30 %, le taux de couverture en assurance automobile de notre pays. C’est, dit-on, le plus faible de la sous-région. Dans les années 90, nous étions à la même échelle que nos voisins de Côte-d’Ivoire et du Sénégal. Aujourd’hui, ces derniers avoisinent les 90%, s’ils ne les ont pas franchis.
Il est vrai que chez nous, ce taux indiqué n’a jamais été réévalué. Aucune étude n’ayant été menée dans ce sens.
Mais, au regard de la situation qui prévaut dans le secteur, il est fort probable qu’il n’ait guère évolué depuis des années.
Les raisons de cet immobilisme tiennent à des considérations de divers ordres, qu’un environnement grégaire vient plomber de plus.
Ainsi, au lieu d’être un réflexe parfaitement intégré et partagé par l’ensemble des détenteurs d’engins, l’assurance automobile suscite chez nous, plutôt des controverses.
Beaucoup s’interrogent encore, à tort ou à raison, sur son bien-fondé ou son utilité. « Pourquoi demande-t-on l’assurance à chaque contrôle, comme si c’était obligatoire ? » « Je ne vois pas la nécessité de m’assurer. D’ailleurs, c’est trop cher et après accident, on ne rembourse pas facilement et comme il faut. »
Autant d’arguments qui montrent combien cet acte, pourtant règlementaire, est si décrié par les propriétaires d’engins roulants.
Des griefs multiples que l’on brandit à la ronde pour refuser de souscrire à l’obligation qui est faite. Chacun y va de son argument ou de sa thèse pour pourfendre et démobiliser.
Cette situation peine à s’inverser, en raison de difficultés circonstancielles inopinées. Des efforts de redressement de la barre ont bien été entrepris, il y a deux ans de cela. Qui se sont aussitôt estompés avec l’arrivée de la pandémie de Covid 19.
Mais avant, le renouvellement total des instances dirigeantes avait été obtenu, notamment, au niveau de l’APAG, du FGA et de la carte brune CEDEAO. Un grand espoir était fondé sur les nouveaux cadres promus qui ont tout de suite entrepris une campagne contre la non-assurance, en direction des partenaires potentiels à la base que sont les conducteurs et propriétaires d’engins, regroupés au sein d’associations socio-professionnelles. Cette activité, conduite par le FGA, a permis de booster l’assurance, tant dans le grand Conakry que dans certaines villes de l’intérieur du pays. C’est cette dynamique que le coronavirus est venu interrompre d’un coup.
A l’heure qu’il est, tout affairement de grande envergure est renvoyé sine die, en attendant la fin de la pandémie. Cette situation porte préjudice au secteur. On note une certaine démobilisation chez des détenteurs d’engins qui sont victimes de la désinformation activée par la léthargie ambiante. Si l’on n’y prend garde, le coronavirus qui perdure va paralyser les activités et éroder le capital de mobilisation des clients potentiels vers les assureurs.
Pour autant et malgré tous les manquements et récriminations, il est à noter que l’assurance automobile demeure importante pour la protection des propriétaires d’engins.
Tentons plutôt de poser un diagnostic du secteur pour mieux comprendre le rôle ou la responsabilité de chacun dans les insuffisances constatées.
Responsabilités des assureurs dans ce désamour
Dans certaines compagnies, la qualité de l’accueil laisse à désirer. On le ressent dans la communication avec les clients. L’écoute, le langage et la pédagogie pratiqués ne sont pas au niveau optimum attendu. On n’explique pas bien aux clients les contrats auxquels ils souscrivent ou la gamme de choix qui s’offrent à eux et qu’on peut déceler au cours de l’interview. Ce premier écueil soulève bien des incompréhensions et des contentieux plus tard, au moment des procédures, en cas de sinistres.
De même, il y a des assureurs qui pratiquent une concurrence déloyale au détriment des autres compagnies. Ils proposent une sous-tarification à leurs clients pour mieux les ferrer.
Les faussaires, des opportunistes de grande nocivité
Flairant les profits immenses qu’ils peuvent tirer de ce secteur porteur qui évolue jusque là, plus ou moins bien, au plan national et sous-régional, les faussaires qui profitent toujours des failles ou faiblesses du système qu’ils veulent phagocyter, n’ont pas longtemps attendu pour l’infiltrer. Ainsi ont-ils entrepris de fabriquer des fausses attestations d’assurance et de cartes brunes CEDEAO.
Toutes choses qui entraînent d’énormes contentieux avec les clients et les juridictions et portent gravement atteinte à l’image et à la crédibilité de la corporation.
Les assureurs ont vite fait de trouver la parade pour annihiler la nuisance de ces contrefacteurs. Non seulement, ceux qui ont été pris sur les faits ont été traduits en justice et condamnés, mais aussi, ils ont conçu, en attendant de trouver meilleur bouclier, des attestations sécurisées.
Le calvaire des usagers à l’intérieur du pays
En cas de sinistre à l’intérieur du pays, les usagers ont de la peine à obtenir une prise en charge. Selon le lieu de survenance, les dossiers d’accident sont préparés et soumis aux assureurs, par la police ou la gendarmerie. Au départ, l’usager se montre patient. Il se dit être une victime assurée qui attend une réparation et se rappelle qu’à la souscription de son contrat, on lui a fait la promesse de l’assister en cas d’accident. Mais, voilà que les jours, les semaines et les mois passent. Toujours rien !
Et puis, un jour, on lui dit que son dossier est retardé, parce qu’au regard de la gravité de son accident, il faut l’avis de Conakry, avant tout règlement. Il est surpris, déçu et découragé. Sa colère éclate, légitime ! Ses récriminations sont largement partagées et produisent un effet démobilisateur dont s’empare plus d’un, pour réprouver l’assurance.
D’après les assureurs, les agences qui les représentent à l’intérieur du pays, ont une autonomie limitée. Ils indemnisent les victimes d’accidents corporels. En cas de gravité avérée, sur avis du médecin conseil, ils réfèrent les intéressés vers les centres de traitement spécialisés à Conakry. C’est à partir de là que les compagnies concernées prennent le relais pour la prise en charge subséquente.
Le rôle de l’Etat dans l’organisation de l’assurance
L’Etat n’a jamais perdu de vue l’importance de l’assurance dans le développement socio-économique du pays. Cet important secteur constitue un creuset où se logent à la fois, une épargne nationale, une matrice d’emplois et un fonds de solidarité pour les individus et la collectivité. Autant de facteurs à forte connotation sociale, qui contribuent à la croissance tous azimuts du pays.
C’est dans ce cadre que la libéralisation des initiatives privées, prônée le 3 avril 1984 a permis la création à ce jour, de treize compagnies d’assurances, regroupées au sein de l’APAG et sous la tutelle de la banque centrale.
L’Etat ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Pour mieux organiser le secteur et protéger les citoyens, il a pris des dispositions, tant législatives que règlementaires. Nous ferons l’économie de les citer toutes ici.
La dernière loi en date qui rend l’assurance automobile obligatoire est la L/2016/034/AN/SGG, du 28 juillet 2016. En novembre de la même année, le code des assurances publié au journal officiel de la République en a pris acte (chapitre V : Assurances obligatoires). De même, il a encore approuvé et certifié la création de l’APAG et du FGA (en son titre 3– Association professionnelle des assureurs de Guinée et son titre 5- Les organismes particuliers d’assurance- Chapitre 1 : Le Fonds de garantie automobile (FGA).
Il y a donc lieu de dire que le secteur a été bien balisé, pour permettre qu’il se développe au profit des citoyens.
Sanctions prévues contre le défaut d’assurance
De nouvelles mesures sont prises pour donner à comprendre l’importance que l’Etat attache à l’assurance automobile.
Ainsi le Département des transports à travers l’AGUISER (agence guinéenne de sécurité routière) a diffusé à l’intention de ses partenaires de terrain, un mémento comprenant 86 infractions au code de la route, parmi lesquelles le défaut d’assurance et les sanctions encourues.
Se référant à l’article 432 du code des assurances, cité plus haut, il a prévu dorénavant pour cette infraction, une amende forfaitaire allant de 1 000 000 à 5 000 000 de francs guinéens.
Ce qu’on ne dit pas assez
Les efforts déployés à l’interne par l’APAG et le FGA ne sont pas assez lisibles pour être compris et soutenus par l’ensemble des citoyens et surtout les propriétaires d’engins.
Par la théorie bien connue des assureurs et qu’ils intitulent la loi des grands nombres, l’assiette fiscale peut aisément se remplir. Encore faut-il compter avec l’appui constant des pouvoirs publics pour obliger les gens à s’assurer.
Cela permet de renflouer les caisses et de garantir à tous une prise en charge rapide et conséquente. L’explication est simple : plus le nombre d’assurés s’accroit, plus, il est facile aux assureurs de supporter les charges consécutives aux accidents. Plus vite et mieux ils remboursent. Surtout quand, au même moment, les mêmes accidents sont contenus, voire amoindris, par des efforts engagés et soutenus dans la prévention routière.
De même, il n’est guère fait état du débours annuel des compagnies d’assurance en matière d’accidents de la circulation, au titre des réparations des sinistres ou des évacuations sanitaires effectuées dans la sous-région. Les autres formes d’assistance à des victimes indigentes effectuées par le FGA sont de ce lot frappé d’omerta.
Bien des exemples tout aussi éloquents, d’interventions salutaires et coûteuses effectuées dans les pays membres de la CEDEAO, peuvent être cités à l’actif de la représentation guinéenne de cette assurance sous-régionale.
Comment booster l’assurance automobile
Nous évoquerons cet aspect par une liste de rappels, tels des recommandations.
L’APAG doit veiller strictement au respect de l’éthique professionnelle et à la moralisation du secteur.
L’Etat doit subventionner le FGA pour lui permettre de jouer pleinement son rôle d’organisme particulier d’assurance à caractère social.
Organiser les états-généraux de l’assurance ou à tout le moins, des journées portes-ouvertes en vue d’échanger au mieux avec les populations.
Rendre opérationnel le pool TPV, pour renforcer l’unité d’action et la synergie entre les assureurs et permettre un meilleur règlement des assurés.
Conclusion
Plus de 70% du parc roulant n’est pas assuré. C’est dire qu’il y a encore du chemin à faire…sans accident.
Mais, s’il nous était donné de choisir, nous dirions que mieux vaut être mal assuré, que pas assuré.
En cas d’accident, on a beau réciter des rabbanas, évoquer Jésus et ses apôtres, aligner des ‘alabè-annabè’, ‘wodignè’, (pardon, au nom de dieu et de son messager) on est tenu de réparer les dégâts causés, soigner les blessés et tout le reste qui va avec.
Admettons qu’on ne dispose pas des moyens pour le faire. Alors, les soucis commencent. C’est ‘’caillou’’ few. Wallahi ! Mais, il faut avoir fait l’accident une fois au moins, pour le savoir.