Entièrement consacré à la femme, le mois de mars est mis à profit par la rédaction de Guinéenews pour vous faire découvrir la réalité de ces amazones dans le monde rural.
Véritables « chenilles ouvrières » dans le développement et l’émergence des familles voire des localités, elles sont des actrices incontournables et incontestables dans la vie sociale et économique de notre pays.
A travers ce grand reportage, Guinéenews vous plonge au cœur des activités des femmes potières et vous fait découvrir les dures réalités auxquelles elles sont confrontées et ce qu’elles endurent au quotidien dans ces villages potiers à Lélouma.
Perçue comme un véritable art pour les uns, un mode de vie, une passion et un héritage pour les autres, la poterie, ce savoir faire ancestral résiste encore au temps par endroits à Lélouma malgré l’envahissement, la substitution de nos produits « made in Guinée »: couscousiers, canaris, pots et autres jarres par d’autre objets ou ustensiles en métaux plus modernes.
Les potières de Saaré Boussoura:
Ces braves femmes rythment la vie socio-économique de cette localité précaire et extrêmement enclavée. Située dans le bas-fond à mi-chemin entre Diountou et Thianguel Bori via Guelema et Saaré Sily, après plusieurs heures sur des montagnes avec des pistes impossibles d’une quarantaine de kilomètres environ, nous voilà à S. Boussoura, localité habitée par une communauté potière.
C’est un grand village avec des habitations généralement construites en banco qui nous accueille.
» Je suis sur la finition d’une jarre que j’ai entamée il y a quelques heures auparavant. Je fabrique ici divers articles comme des pots, des canaris, des couscousiers entre autres. Je tiens ça de mes parents qui avaient été initié aussi par leurs parents. C’est une sorte d’héritage au sein de notre famille. La poterie, nous l’avons dans notre sang. C’est toujours un plaisir pour moi de manier la terre et l’argile pour en faire des ustensiles utiles. C’est en quoi on reconnaît notre village Saaré Boussoura » se réjouit séance tenante Mariama Diallo.
Sur la même lancée, dame Fatoumata Binta, l’une des doyennes de la localité aborde : « depuis ma tendre enfance, j’ai toujours pratiquée la poterie. C’est à travers ce métier que j’ai été élevée. A mon tour, j’ai élevé mes enfants avec les revenus issus de mes activités potières. C’est une activité qui s’est toujours perpétuée ici à Boussoura. C’est notre identité » se félicite Madame avant de poursuivre : « Seulement les choses ont vraiment trop changé ces dernières années. Maintenant les revenus de notre travail sont très maigres. Nos produits ne connaissent plus l’affluence qu’il y avait avant. Nous avons d’énormes difficultés dans la production, l’acheminement et l’écoulement de nos produits », déplore la vieille visiblement frappée par le poids de l’âge.
Faire de la poterie nécessite de l’endurance et d’un savoir faire qui obéit à des étapes. De la recherche de la « bonne » terre ou de l’argile jusqu’à la première gorgée d’eau fraîche issue de la jarre, la distance est longue. Les outils aussi rudimentaires.
» Nous parcourons environ 2 kilomètres pour chercher la terre argileuse pour la fabrication de nos objets. Ce n’est pas n’importe quelle terre qu’il faut utiliser. Une fois à l’atelier, il faut la mouiller, avant de la sécher, piler, tamiser, malaxer, couper et en fin former l’objet à fabriquer » explique Mariama Diallo.
Poursuivant, elle ajoute : » une fois la jarre, les pots ou les canaris confectionnés et bien lissés, il faut ensuite les laisser sécher au soleil durant plusieurs heures avant de procéder à leur cuisson avec du bois pourris pour éviter que les récipients se cassent sous l’effet des fortes flammes. Ça nécessite d’une grande surveillance et énormément d’attention pour éviter les casses », nous enseigne t-elle bien occupée à polisser une jarre tout en nous confiant qu’elle peut en fabriquer jusqu’à 10 jarres par jour si tout le matériel est sur place et qu’elle est matinale.
Des difficultés des potières
Le manque de points d’eau, les problèmes liés à l’enclavement, l’abandon de nos produits locaux au profit du moderne, l’absence de moyens de déplacement adapté pour le transport du produit sont entre autres les handicaps du secteur.
» Malgré l’effort fourni et le travail abattu, nous ne profitons pas pleinement de notre activité. Pour rallier le marché hebdomadaire de Diountou ou de Thianguel Bori, nous sommes obligés d’utiliser des filets pour regrouper et attacher les jarres, les canaris ou les pots et les porter sur la tête et escalader plusieurs kilomètres sur des pistes à travers des montagnes extrêmement difficiles », déplore Oumou Ghadha Para.
Et d’enchaîner : » pour écouler ça aussi, parfois, c’est des difficultés aussi. Car les gens ont tendance à se tourner vers les objets modernes. Les prix aussi laissent à désirer mais on est conscient qu’ un jour ça va changer. Concernant toujours les.prix, avec certains clients, faute d’argent, on procède au troc. C’est à dire, on échange notre produit avec le riz, le maïs ou encore le fonio. Là aussi, le contenant équivaut au contenu », précise Oumou Ghadha Para.
Parfois aussi la chance sourit à ces braves femmes nous explique Boubacar Saaré Boussoura : » vous savez, parfois il y a des camions de sable qui partent vers la ville de Touba (Gaoual ndhr). Quand ces occasions se présentent, elles en profitent pour enfouir les produits dans le sable pour aller vendre. Par exemple à Touba, elles peuvent faire des beaux profits jusqu’à 300 000 GNF par jarre ».
A Saaré Boussoura, si la poterie est généralement reservée aux femmes, les hommes quant à eux s’adonnent à la vannerie ou à l’apiculture pour sortir la localité de l’ornière.
Si à Saaré Boussoura, les potières exercent encore ce métier ancestral pour subvenir à leurs besoins tout en gardant leur originalité, de l’autre côté de la préfecture située à environ une centaine de kilomètres de là, à Thiahé Tormosso, district autrefois réputée pour ses produits artisanaux notamment potiers, l’émergence à cassé les canaris.
Interpellé sur cette activité, le président dudit district n’est pas allé par quatre chemins.
» Ce métier, malheureusement, est en train de s’étendre ici à Thiahé Tormosso. On est aujourd’hui en train de perdre cette identité. Depuis qu’on a commencé à avoir le prix d’un sac de riz par l’entremise de nos jeunes depuis l’extérieur, les femmes ont abandonné cet héritage », déplore Mamoudou Diao Diallo.
« Actuellement, pour avoir une jarre ou un canari, on est obligé d’aller les payer à Ninguelandé (Pita) ou bien au centre de la sous-préfecture à Parawol. C’est vraiment très regrettable surtout quand on sait que Thiahé était une référence en cette matière. Aujourd’hui c’est un métier qu’on méprise » s’est-il alarmé.
Un savoir faire local menacé
Dans les villages visités et les potières interrogées, la nouvelle génération n’a pas accepté de s’intéresser à la poterie. Le regard est tourné ailleurs et la plus jeune potière rencontrée à au moins ses quarante ans. Une réalité qui fait mal à Mariame Diallo.
» Malheureusement aucune de mes filles n’a accepté suivre mes traces. Personne d’entre elles ne sait faire ce travail. Elles sont le plus souvent animées et attirées par les activités citadines ou autres préoccupations. Avec ça, dans quelques années, elles vont perdre cet héritage malheureusement » se désole la femme.
Faut-il aussi rappeler que le lieu où la terre et l’argile sont creusées serait sacré et que les impies ne sont pas tolérées. D’ailleurs des étrangers y viennent faire des sacrifices et des prières, nous a t-on appris.
Malheureusement, aujourd’hui, les localités sont en phase de perdre des trésors culturels énormes, faute d’appuis et de soutien. A l’allure où vont les choses, la poterie, ce savoir-faire ancestral, cette identité communautaire disparaîtra dans quelques décennies si rien n’est fait.