Les 80% des tissus « Lépi, Kendeli, Forêt sacrée » et le « Bakha », vendus sur nos marchés sont des contrefaçons en provenance de l’Asie. Ces tissus qui représentent nos valeurs culturelles, sont devenus « la propriété» des trafiquants et autres pirates, qui en confectionnent frauduleusement et en quantité dans les unités industrielles, installées dans les villes des pays asiatiques, pour inonder le marché national et ceux de la sous-région. Ces « faux pagnes » qui ne sont pas de même qualité que ceux sortis des mains ingénieuses de nos artisans, on en voit désormais de toutes sortes de couleurs et bradés sur le marché. Ainsi, on assiste impuissant à une concurrence ardue contre les artisans et les teinturières guinéens. Constat suite à une visite de terrain.
Dans la matinée du lundi 31 janvier dernier, notre équipe s’est rendue sur le grand marché de Madina, plus particulièrement au marché Avaria, réputé pour le commerce des produits contrefaits. Comme clients à la recherche des beaux tissus de qualité supérieure, Made in Guinée, nous voilà dans une boutique de vente de pagnes où sont exposés les tissus locaux, tenue par dame Mayeni Camara, très connue, parce qu’ancienne sur les lieux. A peine présentés, qu’elle nous montre les différentes qualités de ses marchandises et leurs prix. Pourquoi les différents prix pour les mêmes produits ?
Dame Mayeni, sur notre insistance, nous explique que les tissus exposés ne sont pas tous confectionnés ici, d’autres proviennent de l’extérieur. C’est-à-dire importés. « …Venez par ici ! Ces Lepi viennent tout droit du Fouta…Ici c’est Forêt sacrée de N’Zérékoré !…ça c’est Bakha de la Haute-Guinée …Là-bas c’est Dubaï c’est moins cher. Faites votre choix », nous oriente la commerçante avant de nous apprendre que depuis quelques mois, le marché est envahi par ces tissus contrefaits.
« Au départ je ne vendais que les pagnes fabriqués ici en Guinée. Mais il est arrivé un moment, je ne pouvais pas tenir face à la concurrence. Les produits venant de Dubaï, Chine, je ne sais encore d’où, ont envahi le marché et s’achetaient comme des morceaux de pain. Vous savez, les clients aiment tout ce qui est moins cher. Et pour arrondir l’angle, je me suis mise à la danse…Je sais que ce n’est pas bon pour nos tissus locaux. Mais que faire ? Les Chinois sont rentrés dans la fabrication de nos tissus», regrette la vendeuse.
Non loin de là, un magasin de pagnes locaux, tenu par une autre femme connue sous le nom de « Tantie Ami». Dans ce magasin, on y trouve uniquement le tissu local (Forêt sacrée). Interrogée sur la « vague » des faux pagnes sur le marché, Mme Ami explose en colère en soutenant que c’est par amour de la culture guinéenne qu’elle contenue à vendre les tissus locaux : «Il y a de cela cinq ans que je vends le textile ‘’Forêt sacrée’’. Mais, je ne fais pas que vendre ! J’ai toute une équipe à Lola pour la confection du pagne avant d’envoyer sur Conakry pour revendre. Mais depuis début 2021, nous faisons face à un véritable problème dans l’écoulement de nos produits. On rencontre beaucoup de modèles piratés sur le marché. Et ces modèles sont trois fois moins chers que ce que nous nous vendons. Naturellement, ceux qui ne connaissent pas la valeur préfèrent acheter le tissu bas de gamme. Cette situation nous fait tellement mal ! C’est à cause de l’amour de notre culture que nous continuons de vendre encore », déplore Aminata.
Sur le marché de Madina donc, chacun sait où trouver la qualité. Exposé à même le sol, le textile guinéen « made in China » gagne du terrain. Et tenez-vous bien ! Alors que les prix des tissus locaux varient entre 70 à 250 mille francs guinéens, celui importé se vend entre 45 et 50 mille francs guinéens. Et pourtant en 2019, le président déchu, le Pr Alpha Condé s’était levé contre cette piraterie.
Quand Alpha Condé mettait les commerçants en garde contre la contrefaçon de pagne Indigo !
On se rappelle si comme c’était hier. A l’occasion de la célébration de la journée internationale de la femme le 08 mars 2019, le Président de la République d’alors a menacé les commerçants qui se livraient à la vente des tissus guinéens contrefaits. Il avait promis ce jour-là de les faire arrêter et saisir leurs biens. « Aujourd’hui, nous sommes contents que les femmes guinéennes portent des habits fabriqués en Guinée. Alors je préviens les commerçants, nous allons envoyer les inspecteurs dans tous les marchés de Guinée, tout commerçant qui sera pris en train de vendre les pagnes fabriqués de contrefaçon sera arrêté, ses biens saisis et emprisonné», menaçait Alpha Condé devant la foule de femmes en liesse au Palais.
«Nous ne voulons pas que le travail de nos femmes qui se battent sous le soleil, soient sans résultats à cause des trafiquants. Nous les prévenons, le commerçant qui sera pris avec le pagne piraté, non seulement ses biens seront saisis, mais il sera lui-même condamné», Insistait Alpha Condé sur l’esplanade du Palais ce vendredi 8 mars.
Les nouvelles autorités sont-elles informées ?
Au ministère de l’Industrie et du Commerce, on nous apprend que la situation est connue. « Nos services d’inspection et de contrôle sont saisis. Nous sommes tous informés de ce que nos produits locaux soient contrefaits à partir de l’étranger et revendus sur nos marchés. Cette concurrence déloyale faite contre les braves artisans guinéens est une réalité que nous combattons depuis des années, mais hélas ! Nous avons espoir qu’avec l’arrivée du nouveau ministre, nous allons encore dépêcher des équipes commandos qui vont aller sur le terrain. Nous allons travailler avec la douane, les chambres de commerce et les commerçants. Et on est sûr que cette fois-ci sera la bonne », rassure A.S, un collaborateur du ministre Bernard Gomou.
Retenons que cette situation est préoccupante au niveau du département et très inquiétante pour les commerçants du textile local. Ils poussent aujourd’hui un cri de cœur et sollicitent l’intervention des autorités pour freiner la fraude. Si d’ici là, aucune mesure n’est prise pour règlementer le secteur du commerce, c’est la mort d’un pan du commerce guinéen et la disparition de nos bras artisans. Ce trafic des pagnes imités est un handicap majeur pour le développement de la filière textile en Guinée
Un fléau continental
En Afrique de l’Ouest et dans l’ensemble de l’Afrique, au total, ce sont 742 millions de mètres de contrefaçons qui seraient écoulés chaque année. Les consommateurs sont attirés par les prix très compétitifs des tissus chinois si nous tenons compte des rapports issus des services de l’inspection et du contrôle qualité du ministère du Commerce de l’Industrie.
Selon une étude du bureau d’études sud-africain UQALO, parue en mai dernier, le marché annuel africain du African Print Fabric, est de 1,9 milliard de mètres en volume, générant un chiffre d’affaires de € 2,3 milliards, coût usine. La Chine en est le premier producteur mondial, en volume et valeur. L’Inde est aussi très impliquée dans les contrefaçons. Des articles qui entrent en fraude en Afrique, le Nigeria étant le premier marché de l’African Print Fabric, avec 38% de la demande totale.
Une enquête réalisée par Mamadama Sylla et Louis Célestin