Economiste et homme politique, Aliou Bah est président du Mouvement pour le Développement et la Liberté (MoDeL), une formation politique, membre de l’opposition guinéenne. Dans un entretien accordé à Guineenews©, il dresse son regard sur le projet d’intégration monétaire ouest-africaine en perspective pour l’année prochaine au sein de l’espace CEDEAO.
Sans perdre de vue la récente interpellation de deux membres du FNDC qu’il commente à sa façon, il se penche également sur la médiocre prestation de l’équipe nationale guinéenne lors de la 32ème édition de la Coupe d’Afrique des Nations tenue récemment en Egypte.
Guineenews© : la Guinée s’achemine vers une intégration monétaire sous-régionale. Quels avantages le pays a-t-il à gagner dans ce projet en vue ?
Aliou Bah: il faudrait bien d’abord que la Guinée accomplisse les préalables pour être qualifiée à être membre de cette zone économique. Au préalable, il faut savoir que ce sont les pays membres de l’UEMOA partageant le franc CFA qui sont mieux prédisposés à intégrer cet espace, dans un premier temps. Deuxièmement, ça concerne les pays membres de la CEDEAO, dont la Guinée. Il va falloir que ces pays remplissent des critères de convergence pour qu’ils soient membres. L’échéance qui a été fixée, c’est 2020 pour que l’ECO soit adopté et mis en circulation, en remplacement du franc CFA d’une part, mais en élargissement pour intégrer les pays membres. Mais jusqu’à présent, il y a des débats : est-ce que l’ECO va fonctionner selon les critères du franc CFA. Au cas où cela arriverait, ça risque fort de créer si vous voulez des mésententes, parce que le franc CFA est directement affilié à l’euro et considéré comme étant une monnaie sous contrôle des autorités françaises.
Vous savez, le débat est incessant sur le paternalisme réel ou supposé de la France par rapport à l’espace. Ce sont des débats qui sont entretenus, décriés par des activistes et encouragés par certains dirigeants. C’est un débat interminable. Maintenant, il faut savoir aussi des réalités géopolitiques autour de cela. Des pays comme le Nigeria, le Ghana, la Guinée, la Sierra Leone, beaucoup de pays d’ailleurs qui ne sont pas membres de la zone CFA, qui sont des pays anglophones, qui sont concernés, est-ce que ces pays-là sont réellement prêts à s’associer, à renoncer à certaines de leurs marges de manœuvre pour être dans la collégialité. Ce sont là des questions qui se posent et auxquelles on ne peut pas trancher. Je pense qu’il y a un rendez-vous prévu le 14 septembre prochain pour lancer les opérations, parce que 2020 est fixé comme une sorte d’échéance pour adopter l’ECO et voir progressivement comment les pays vont rejoindre.
Pour le cas de la Guinée, moi, je suis de ceux qui encouragent la Guinée à réussir une intégration économique et monétaire. Parce que dans un espace économique commun, on est obligé de respecter les critères qui vous lient aux autres, entre autres la discipline budgétaire. Aussi, le fait qu’on ait une banque centrale commune. C’est toujours important, parce que les pays vont éviter le financement des déficits par la planche à billet. Ce qui veut dire à priori que vous devez travailler et travailler dur pour que la monnaie qui sera mise en circulation dans votre économie soit proportionnelle à la production réelle. Et aussi, les rapports que vous avez avec les autres pays. Une économie qui ne s’intègre pas aujourd’hui n’a aucune chance de survivre face aux puissances. Le monde se globalise. Les économies sont interconnectées. Ce sont les géants qui ont la voix au chapitre. Donc, une économie de petite échelle comme celle de la Guinée n’a aucune chance d’évoluer de façon solidaire, parce que c’est un risque de survie. Mais pour le moment, je ne vois pas les dirigeants guinéens actuels visionnaires et responsables à ce point pour s’imposer une telle rigueur et réussir l’intégration. Vivement l’alternance politique, parce que tout est lié ! Et nous espérons que le MoDeL, à travers la confiance de nos compatriotes, va participer aux sphères de prise de décision en arrivant à la gouvernance à partir de 2020. Ce qui va certainement accélérer les réformes nécessaires pour que la Guinée parle d’une voix sûre et responsable au sein d’un espace économique commun.
Guineenews© : restons justement dans le sillage de cette alternance. La semaine dernière, deux membres du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) ont été interpellés par les autorités. Comment le MoDeL a-t-il accueilli cette nouvelle ?
Aliou Bah: nous avons condamné au premier degré ce kidnapping suivi de la séquestration de deux compatriotes, en l’occurrence Sékou Koundouno et Oumar Fonikè Manguè Sylla, dans les locaux de la DPJ (Direction centrale de la Police judiciaire, ndlr). Le MoDeL est membre à part entière du FNDC, tant aux niveaux de l’organe de pilotage, de la plénière que des antennes à la base. Alors, ceci est inacceptable. C’est pourquoi nous avons contribué à œuvrer non seulement pour leur libération, mais aussi nous avons porté plainte contre ceux qui les ont séquestrés, qui les ont privés de liberté sans que cela ne soit justifié et ceux qui ont subtilisé les T-shirt du FNDC, parce qu’ils peuvent les utiliser pour des objectifs subversifs et mettre cela à l’actif du FNDC. Tout cela est pris en compte.
Je suis de ceux que le MoDeL a désignés pour nous représenter dans les plateformes de discussion du FNDC. J’ai porté la voix du parti. Encore une fois, ceci est condamnable. Mais ce sont des manœuvres du pouvoir qui visent non seulement à nous intimider, mais aussi à nous décourager par rapport à la lutte citoyenne que nous sommes en train de mener. Donc, la justice, aujourd’hui, est domestiquée, utilisée comme un instrument de règlement de compte ou de répression de ceux qui ont un discours légal, un discours républicain, qui veulent sauver les acquis démocratiques pour que la Guinée aille de l’avant.
La justice protège les imposteurs et ceux qui sont en train de promouvoir l’illégalité avec les moyens de l’Etat. Ce qui est inacceptable. Mais cela ne change en rien notre détermination. Bien au contraire, ça renforce notre motivation, parce que nous sommes convaincus de la noblesse et de la justesse de la cause pour laquelle nous nous battons.
Guineenews© : l’autre actualité, c’est la récente participation du Syli national à la CAN 2019 en Egypte ; une participation qui a permis de mobiliser environ 11 millions d’euros pour la Guinée contre 4 millions d’euros pour le Sénégal, finaliste de la compétition. Votre aperçu là-dessus ?
Aliou Bah: c’est un véritable scandale, parce que chez nous, tout est question d’argent. On a compris, les Guinéens ont compris que l’équipe nationale sert d’opportunité d’enrichissement pour des cadres véreux de l’Administration publique, de la Fédération guinéenne de football, du ministère des Sports et d’autres opportunistes qui n’ont jamais rien fait de sérieux pour gagner dignement leurs vies. Et à chaque fois que l’équipe nationale se qualifie, on se lance dans des campagnes de collecte des ressources dont on ne fait jamais de compte-rendu.
L’affairisme qui gouverne la Fédération guinéenne de football aujourd’hui est mise à nu. Le ministère est irresponsable. Ce sont des scandales qui méritent des sanctions et que le MoDeL a vigoureusement condamnés. Non seulement l’humiliation dont le pays a été victime à travers cette élimination honteuse, parce qu’on peut être éliminé, mais la manière compte beaucoup.
Le désintérêt qu’ils sont ont pour le drapeau et le symbole national, la cupidité de nos dirigeants qui ne pensent, qui ne raisonnent, qui ne respirent que pour l’argent. Tout ça, ce sont des choses condamnables. Nous pensons que ce sont les traits caractéristiques de la gouvernance d’Alpha Condé. Aucun secteur de la vie socioprofessionnelle en Guinée ne se porte bien. Partout, on nous parle d’argent. Il y a de la corruption à grande échelle.
Il y a des détournements de deniers publics. Il y a une impunité qui est garantie à tous ces responsables-là. Malheureusement, c’est cela la Guinée d’Alpha Condé. Et c’est pour toutes ces raisons que nous voulons nous débarrasser démocratiquement de ce régime, pour que notre pays puisse retrouver son honneur, sa dignité et s’inscrire dans la dynamique du progrès.