Accusations contre accusations, témoignages à prendre avec des pincettes… l’affaire opposant la société de transformation de noix d’acajou Cashew Holding SA au Colonel Moussa Tiégboro Camara et Cie devient simplement un casse-tête sur toute la ligne. Le tribunal de Kaloum s’est déclaré incompétent pour la juger. Dixinn et Mafanco sont alors attendus.
L’amertume de Me Modibo Camara de Cashew Holding SA
vendredi 8 juin, après la décision du juge Mohamed Chérif Sow déclarant le Tribunal de première instance de Kaloum, territorialement et matériellement, incompétent pour juger l’affaire, Me Modibo Camara était amer.
« Le tribunal a dit tout sauf le droit. On l’avait déjà pressenti dès l’introduction du dossier », a réagi l’avocat. « La citation a été introduite dans des conditions très difficiles. A deux reprises, le Procureur nous a obligés à lui remettre la copie de la citation au motif qu’il l’égarait à chaque fois », a dénoncé Me Modibo Camara.
« Mais le fait pour le tribunal de se déclarer incompétent n’enlève en rien aux faits qui leur sont reprochés – abus d’autorité et tentative d’extorsion de fonds au préjudice de Cashew Holding », insiste-t-il.
La fin de la partie est encore loin!
Pour Me Modibo Camara, la partie est loin d’être finie. Ainsi, il a annoncé un procès contre les colonels Tiégboro et Balla Samoura devant le tribunal de première instance Dixinn et une autre contre le conseiller de Moussa Tiégboro devant le tribunal de première instance de Mafanco. Les cinq prévenus pourront donc être repartis entre les deux juridictions dans des procédures différentes.
Plus d’un mois après avoir annoncé la poursuite de leurs actions contre les militaires et leurs co-prévenus, Me Modibo s’abstient désormais de tout commentaire sur le dossier. Que se passe-t-il ?
« La communication n’est pas traitée à ma convenance. Avec les médias, il y a des paramètres que je n’arrive pas à comprendre », nous a indiqués l’avocat, exprimant ainsi son insatisfaction de la qualité du battage médiatique qu’il a dirigé, début juin, autour de ce dossier.
De leur côté, les prévenus sont prêts à répliquer et même à brandir « leurs preuves ». Dans des entretiens avec Guineenews, les colonels Moussa Tiégboro Camara, Balla Samoura et Moussa Camara ont donné leur version des faits. Des versions qu’ils auront certainement à réitérer devant les tribunaux.
Prêt aux débats !
La sortie médiatique du collectif des avocats de Cashew Holding SA dont le bâtonnier Me Mohamed Traoré, le 23 mai dernier, avait mis Tiégboro dans tous ses états. Le Secrétaire général à la Présidence chargé des Services spéciaux a alors violemment riposté aux « agissements irresponsables » des avocats.
Selon Tiégboro, les employés guinéens ont travaillé dans des conditions inhumaines à l’usine de Cashew Holding SA. Pendant ce temps, dit-il, « les expatriés touchent 200 millions de francs guinéens par mois. »
Quant à l’avocat Modibo Camara qu’il qualifie de « troubadour », Tiégboro dit qu’il « touche un salaire mensuel de 65 millions ». Tiégboro est intransigeant sur la question: l’usine ne reprendra que lorsque les conditions de travail répondront aux normes du Code de travail.
« Que nos parents soient traités de la sorte et que des avocats se permettent de se constituer en faveur de cette société sans chercher à comprendre le fond du sujet… Je suis désolé de ce comportement irresponsable », s’est même indigné Tiégboro.
Mais les avocats dont le bâtonnier Me Mohamed Traoré et le vétéran Dinah Sampil répliquent qu’il ne lui revient pas de fermer une usine parce que les travailleurs seraient mal traités. « C’est l’inspection du travail et le tribunal du travail qui règlent les conflits entre travailleurs et employés », lui rétorquent-ils.
Outre « les mauvais traitements » infligés aux travailleurs, les salaires astronomiques évoqués, laissent croire à Tiégboro qu’il y a « du blanchiment d’argent » dans cette histoire. Confiant, Tiégboro est prêt à confronter Me Modibo et Cie à la barre. Il l’a d’ailleurs démontré en se présentant aux deux audiences sur la forme (du tribunal de Kaloum). Ce qui semble aussi faire la force de Tiégboro, ce sont les victimes « des traitements inhumains » de l’usine. Sauf que les avocats aussi ont leurs victimes. Celles de la fermeture de l’usine où elles gagnaient leur vie.
Modibo, « pas un avocat »
Tout comme Tiégboro, le colonel Balla Samoura réfute les accusations des avocats de Cashew Holding SA. S’il peut être cité dans ce dossier, c’est plutôt à cause d’une ex-employée de Cashew Holding. Selon lui, celle-ci (dont il a tu le nom) l’avait interpellé sur un licenciement abusif dont elle a été victime dans la société d’Ighor Stativka.
« Après l’avoir écouté, je lui avais dit que le règlement d’un tel problème ne relève pas de mon domaine », a-t-il indiqué. Le colonel Samoura a néanmoins cherché à en savoir plus auprès de certains responsables de la société. C’est ainsi, qu’il a essayé de joindre au téléphone un certain Antoine. Antoine étant injoignable, on lui a transmis le numéro de Modibo. Si celui-ci est connu comme un avocat, le colonel nous l’a présenté comme un des responsables de la société. « Il se dit avocat, mais dans la société, il est présenté comme le responsable d’achat et un des associés de Cashew », indique le gendarme.
« C’est le colonel Tiégboro qui connaît bien qui il est », a-t-il poursuivi. En effet, Tiégboro n’a jamais présenté Modibo comme l’avocat de Cashew Holding SA. Mais comme un employé de la société payé à des dizaines de millions de francs guinéens.
Balla Samoura n’aurait eu que quelques trois secondes de communication avec Modibo avant qu’ils ne se quittent subitement au téléphone, l’avocat étant « très remonté ». « C’est là que mon intervention s’est terminée. J’ai dit à la dame de trouver une autre solution à son problème puisque ses gars sont tous en colère », nous a indiqués l’officier de gendarmerie.
Les colonels Balla Samoura, Moussa Camara et Guiprotech, la société de gardiennage
En sortant toutes ces explications, le colonel Balla a voulu nous rassurer qu’il n’est ni de près, ni de loin lié à cette usine. Encore moins à Guiprotech, la société de gardiennage dont le nom revient régulièrement dans ce dossier.
Cette société de gardiennage, le colonel Moussa Camara a reconnu qu’il ne lui appartient pas. Mais, elle appartient à un frère à lui. S’il l’a mis au service de Cashew Holding SA, c’est parce que le patron Ighor Stativka « lui avait demandé d’assurer la sécurité de son entreprise ». Alors qu’il est accusé d’abus de pouvoir par les avocats de la société de transformation d’Acajou, Moussa dit qu’il était plutôt « ami » et conseiller militaire de l’Ukrainien Ighor Stativka.
Une version des faits confirmée par le Russe Alexandre Porodzinskt qui dit avoir été l’interprète d’Ighor Stativka. Le Russe qu’on a trouvé dans le bureau du colonel Moussa, au gouvernorat de Conakry, présente le jeune officier comme un Guinéen intègre.
« La Guinée peut être fière de ce fils (le colonel Moussa Camara). Je peux le répéter dix fois », nous a maintes fois réitérés le Russe. Il a aussi témoigné que le colonel Moussa Camara n’a jamais demandé même un franc pour tous ces services rendus à Ighor et à sa société. Les relations entre le patron ukrainien et l’officier de gendarmerie seraient parties d’un sauvetage apporté par le premier au second.
Selon le colonel Moussa Camara, il avait réussi à sortir Ighor d’une situation délicate qui l’avait même conduit à Direction de la Police Judiciaire (DPJ). C’est un Chinois qui réclamerait son dû à l’homme d’affaires ukrainien (il serait Biélorusse selon certaines de nos informations).
L’avocat d’Ighor indique que son client avait plutôt été victime d’un kidnapping de la part d’agents de la DPJ, et n’avait été payé qu’après le paiement de 7 000 dollars.
Ce que Ighor, le patron de Cashew Holding SA à dit par rapport à Modibo
Pourtant, dans un bref entretien téléphonique depuis le bureau de Guineenews et via le téléphone de son avocat Me Modibo Camara, Ighor nous a confirmé que c’était bien lui qui a instruit son avocat d’engager la poursuite judiciaire (contre les colonels Tiégboro, Moussa Camara et autres). Mais à entendre le colonel Moussa Camara, c’est comme si Ighor ne lui devait que des récompenses.
Alexandre Porodzinskt présente plutôt Modibo comme l’homme qui en veut à « son ami » Moussa Camara. « Modibo a commis une grosse erreur », estime Alexandre Porodzinskt.
Où sont passés les un milliard 387 millions de francs de Cashew Holding ?
De son côté, Modibo brandit ses preuves : une facture de 287 millions de francs guinéens signée du colonel Moussa Camara et dont nous avons obtenu copie. Cashew dit avoir versé 100 millions de francs guinéens pour le même service de protection.
Un document bancaire à notre disposition atteste le versement d’un milliard de francs guinéens au compte de « La Ville de Conakry » (le gouvernorat) – service dont relève le colonel Moussa Camara. Le colonel n’a pas reconnu un quelconque lien avec ce compte bancaire.
Epaulé par le bâtonnier Me Mohamed Traoré et le doyen Dinah Sampil, Me Modibo Camara veut bien démontrer que les autorités militaires ont abusé de leur autorité pour fermer l’usine. Et derrière leur décision, « une tentative sans succès d’extorsion des fonds à Cashew Holding ».
Tiégboro, lui, est aussi accusé de dénonciation calomnieuse. Il n’y a pas que les trois officiers militaires, il y a aussi le ministre Boubacar Bary, ministre de l’Industrie au moment de la fermeture de l’usine, et l’inspecteur général de l’Industrie Mamady 1 Dioubaté. Mamadouba Camara, un conseiller de Tiégboro, est quant à lui poursuivi pour vol de 500 dollars d’un consultant de Cashew Holding.
Durant des semaines, nos tentatives d’avoir les versions des faits de ceux-ci sont restées vaines. Ils pourront peut-être le faire soit dans nos colonnes ou à la justice tôt ou tard…
Mamadi Camara, l’homme par qui tout serait parti…
Tout serait parti de Mamadi Bérété, l’ancien responsable des Achats de Cashew Holding. Avec la complicité d’autres employés, Mamady Bérété aurait réussi à détourner 129 milliards de francs guinéens et plus de 54 mille dollars. Un détournement qui lui a valu quelques soucis avec la gendarmerie mobile numéro 2 de Hambdallaye, avant de se voir en liberté.
C’est ce Bérété qui aurait fait appel aux officiers militaires pour se soustraire de ses ennuis avec la police. Joint au téléphone par Guinéenews, Bérété a préféré nous renvoyer vers son avocat. C’était au mois de mai dernier.
« La procédure contre mon client suit son cours normal. C’est très facile de parler de détournement, mais le plus difficile c’est de le prouver », réplique l’avocat de Bérété à ses confrères de Cashew. Au contraire, l’avocat présente son client comme un homme crédible qui a beaucoup apporté à la société pendant que celle-ci était en manque d’argent. En conclusion, Me Kanté nous a indiqué que c’est la société qui reste redevable à son client, et que Cashew Holding sera poursuivi au moment décidé par son client.
En attendant, c’est son client qui est poursuivi au préjudice de la société de transformation de noix d’acajou. Et l’affaire se trouve au cabinet d’instruction du tribunal de première instance de Dixinn.
Affaire à suivre !