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A Conakry, le Mont Combodge continuera à surplomber une partie de la capitale (Dossier)

A Conakry, la décharge de Dar-es-salam, plus connue sous le nom de « Combodge » (une déformation du mot Compost, dérivé de compostage) constitue à la fois un problème environnemental, sanitaire et même sécuritaire.  Si l’abandonner est en perspective, la destruction de cette montagne de déchets de tout genre n’est pas à l’ordre du jour.

Depuis la passerelle de Kénien – à quelque cinq kilomètres de la décharge –, Alhassane Camara voit le sommet du tas d’ordures qui fume. Même avec les grandes pluies de ce mois d’août, la décharge de la carrière fume. « On dirait une montagne en pleine ville », estime le jeune homme de 26 ans. « C’est le Mont Combodge », ironise-t-il. Un mont artificiel. Ouverte dans les années 80, pour une population de 500 mille habitants, elle devrait être délocalisée au bout de 20 ans. Mais cela n’a jamais été le cas. Elle a plutôt continué à être surchargée avec l’augmentation de la population. En 2023, Conakry compte plus de trois millions d’habitants qui produisent en moyenne 1800 tonnes de déchets par jour (chiffre ANASP). Mille à 1200 tonnes de cette production sont  mises à décharge, donc drainées vers la décharge de Dar-Es-Salam. « Le reste de cette production se trouve malheureusement dans les caniveaux, sur les places publiques, parce qu’on n’est pas encore parvenu à faire adhérer complètement la population aux contrats de gestion des déchets », précise Souleymane Traoré de l’Agence Nationale de l’Assainissement et de la Salubrité Publique (ANASP), sur cette production.

Souleymane Traoré de l’ANASP

Qui s’occupe des ordures à Conakry ?

Conformément à la Stratégie de professionnalisation de la gestion des déchets – qui vise à professionnaliser toutes les interventions sur la chaîne de gestion des déchets –, le gouvernement a signé un contrat de gestion des déchets de Conakry avec des opérateurs professionnels privés. Une filiale du groupe turc Albayrak est donc chargé de la collecte des déchets, alors que l’italienne PICCINI est chargé de l’exploitation de la décharge de Dar-Es-Salam (pesée des quantités qui rentrent à la décharge, maintenance des infrastructures à la décharge mise en décharge). Parallèlement, dans les communes, les collectivités signent avec des PME qui parviennent à ramasser une partie des déchets depuis leurs lieux de production. C’est l’ensemble de ces intervenants – suppliés par l’ANASP qui dispose de son propre parc de camions de ramassage d’ordures –   qui met en décharge les 1 000 à 1200 tonnes avancées par l’ANASP. Au premier quadrimestre de 2023, ces intervenants ont ramassé et mis en décharge 59% des déchets produits à Conakry. Pour l’ANASP, il ne s’agit pas de substituer aux opérateurs techniques, mais d’intervenir que lorsque cela est nécessaire.

Source des chiffres : ANASP.

Graphique : Guinéenews.

Comment une décharge qui a vu sa superficie initiale de 25 hectares à 15 –   en raison de l’urbanisation –  arrive-t-elle à accueillir autant de quantités de déchets ? Les autorités en charge de la gestion des déchets ont parfois fait du régalage. Et elles comptent encore sur cette opération pour permettre à la décharge de tenir encore les trois prochaines années. Le temps que le centre d’enfouissement des déchets, prévu sur 100 hectares à Baritodé (dans Coyah), soit opérationnel. En attendant, Souleymane Traoré reconnaît les difficultés à gérer la décharge. « Il faut dire que c’est par manque d’alternative que cette décharge continue d’être utilisée…  Certaines dispositions techniques n’ont pas été prises lors de l’ouverture. Ce qui fait que sa gestion devient très compliquée », exprime le directeur adjoint de l’ANASP.  

Maladies, habitations, petits métiers…

Ceux qui subissent les graves conséquences de la saturation de la décharge, couplées à celles de sa gestion compliquée, sont les populations riveraines de la décharge. Ismaël Soumah, habitant de Dar-Es-Salam, a encore en mémoire l’éboulement en 2017 d’une partie de cette décharge. Le drame avait fait une dizaine de morts. Mais ce que craint beaucoup ce cinquantenaire en cette période de grande pluie, ce sont les maladies diarrhéiques. « Pendant la saison sèche, nous sommes exposés aux maladies respiratoires. Pendant celle des grandes pluies, la décharge entraîne des maladies diarrhéiques », se plaint-il. « D’ailleurs, il n’y a pas que les maladies diarrhéiques. Ce qui se passe, c’est que l’eau de la pluie entraîne des ordures issues de la décharge dans le quartier. Les gens marchent dans ces ordures. En plus, comme nous ne couvrons pas la plupart de nos aliments en vente, les mouches quittent ces saletés pour venir se poser sur les aliments. Au même moment, vous avez la fumée qui se dégage par endroit de cette montagne d’ordures. Cela est source de diverses maladies comme les accidents vasculaires cérébraux, les affections respiratoires, les cardiopathies, les cancers… », explique le médecin Alhassane Barry.

Pendant que certains se plaignent des ordures et de ses conséquences, d’autres habitants du quartier ont fini par s’habituer à la saleté et aux odeurs nauséabondes. « Nous sommes nés dans ces saletés et à leurs odeurs. Nous sommes habitués », assume Mohamed Mara, la trentaine. Mara et ses amis ont même érigé une cabane dans la partie sud-ouest de la montagne. C’est là qu’il se retrouve pour se distraire entre la musique, l’alcool et lr chanvre indien. Au-delà de tout, Mara aimerait voir cette montagne dégager de son quartier. « Il serait bon quand même de la dégager d’ici… Quand nos vieilles personnes vont à l’hôpital, on leur demande si elles fument. Or, elles ne fument pas. C’est la fumée qui se dégage des ordures qui les rend malades. Je me dis que nous aussi nous n’y allons pas nous échapper », craint-il.

Ces jeunes, traités de délinquants par un habitant du quartier, ne sont pas pourtant les seuls à se trouver un logement à Combodge. Des familles entières y ont trouvé des habitations de fortune. « Je n’ai pas le choix. Lorsqu’en 2017 notre concession a été détruite après l’éboulement, ma famille s’est déplacée. Je n’avais pas d’autres choix que de venir rester ici avec les amis », explique pour sa part Moussa Camara.

Sur cet éboulement, Moussa Camara a encore au travers de la gorge comment le gouvernement d’alors avait dédommagé les victimes. « Ils ont donné 20 millions comme dédommagement. Comment les gens peuvent quitter leur concession pour 20 millions. Surtout qu’on n’est pas sans savoir en Guinée qu’une concession peut abriter une quinzaine de personnes », dénonce-t-il. Lui qui dit être au chômage.

Radar, le point culminant du Mont Combodge

Fatoumata Sylla, elle, n’habite pas à Combodge. Mais c’est là que cette lycéenne passe le reste de ses journées en compagnie de sa mère. Cette dernière passe ses journées à brûler les pneus pour en tirer les fils de fer. Des fils qui servent à fabriquer des rondelles pour soutenir les fourneaux de cuisine artisanale. « Je ne veux pas vous parler. Chaque jour, nous ne recevons que des journalistes et des ONG qui nous font parler après on ne voit aucune retombée », nous oppose la mère de famille à notre question à savoir pourquoi elle fait ce travail. Sa fille nous confie discrètement que c’est grâce à ce travail que sa maman survient aux besoins de la famille. « Allez-y vers Radar, vous y trouverez beaucoup de gens qui vont vous parler », ajoute la jeune fille avec un ton moqueur. De fait, Radar est le point culminant de la montagne d’ordures. De là, on a une vue sur une partie importante de la ville. Mais Radar est aussi réputé être le refuge des bandits.

Il n’y a pas que la brûlure des pneus comme activité à Combodge. Enfants, jeunes hommes et femmes y passent souvent leurs journées à la recherche d’objets recyclables. « C’est de ça que nous vivons », témoigne Mohamed Mara.

Dans deux ou trois ans, ceux d’entre les populations de Dar-Es-Salam qui ne veulent pas de la décharge pourront la voir fermée. Mais la montagne devrait encore rester là. « Techniquement, ce qui est envisagé et qui est envisageable n’est pas de déménager, mais de fermer cette décharge », explique Souleymane Traoré. Les études portent donc sur une fermeture qui respectera les conditions environnementales et sociales requises.

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