Dans cette deuxième partie de son interview, le Pr Lansana Condé se décoiffe davantage et nous plonge dans son autre univers riche en expériences. Ecrivain, critique littéraire, acteur de cinéma, cet homme de culture retrace les ennuis dont il a essuyé à travers son duvet.
C’est à l’Institut de Kankan que le torchon a commencé à brûler avec la première autorité de ce temple du savoir de l’époque. Et pour cause la rédaction d’une pièce de théâtre intitulée : “Comment meurent les Dieux ou la fin des dictateurs qui ne veulent pas abandonner le pouvoir”. Ce qui est une conclusion de son étude critique du roman ‘’Dramouss’’ de Camara Laye. Il a aussi opposé un refus catégorique d’adhérer au PUP (Parti au pouvoir sous Lansana Conté, ndlr). Ainsi, pour toutes ces principales raisons, le Pr Lansana Condé sera écroué quatre fois de suite.
Chef de Département Lettres et linguistique, à travers ses propres recherches sur les arts traditionnels, cet homme de culture va émettre un projet de création d’une option Arts dans son Département. Revu, ce projet sera érigé en programme de construction d’un Institut des Arts, dont après moult tractations, sera édifié à Dubréka et baptisé ‘’Institut Supérieur des Arts de Guinée (ISAG)’’. Il a été récemment rebaptisé ‘’Institut des Arts Mory Kanté de Dubréka (ISAMKD).
Muté à Dubréka en qualité de Directeur Adjoint de l’Institut chargé des études, il sera ‘’violenté’’, dit-il, et bousculé dans les bras de la retraite.
Acteur de cinéma, communicateur traditionnel à travers la structure RENACOT (Réseau National des Communicateurs Traditionnels) dont il a dirigé les destinées pendant 11 ans, à la satisfaction générale des partenaires de terrain, le Pr Lansana Condé s’élève contre les nombreuses injustices dont il a été victime. Et pour lesquelles, il n’a bénéficié d’aucune récompense morale, ni matérielle… C’est un film oral. Lisez son interview
Guineenews© : Vous dites dans la première partie de votre interview, que vous aviez été ‘’violenté pour enfin être bousculé dans les bras de la retraite’’. Pouvez-vous nous donner d’amples explications à propos ?
Professeur Lansana Condé : Avant de répondre directement à votre demande, permettez-moi de m’élargir sur la question pour qu’il y ait plus de clarté pour une large compréhension. Vous savez, je me suis toujours élevé contre les injustices et comme j’ai commencé à écrire très tôt, j’ai fait des critiques qui n’ont pas toujours plu au pouvoir d’antan.
J’ai écrit une pièce de théâtre à Kankan quand je servais à l’université intitulé, ‘’comment meurent les Dieux ou, la fin des dictateurs qui ne veulent pas abandonner le pouvoir’’. Cette pièce de théâtre date de 1992-1993.
Ensuite, j’ai fait l’étude critique de ‘’Dramouss’’ de Camara Laye en 1992. Et sur la base juste des textes et de l’analyse textuelle, j’ai abouti à la conclusion que Camara Laye, s’était trompé de cible. Lui, il avait écrit pour dénoncer le régime de Sékou Touré. Mais il y a des éléments dans le texte, qui disculpe systématiquement Sékou Touré et qui engage plutôt le Général Président. J’ai étudié le roman jusqu’à aboutir à la conclusion, que celui qui devrait tirer la Guinée de cette situation, devait venir de l’étranger avec sa petite valise, comme Camara Laye l’a vu dans le rêve. Mais que cet homme s’appuierait sur une couleur qui serait la couleur jaune.
Guineenews© : On peut croire à partir de votre conclusion que vous voulez parler de l’actuel Président de la République ?
Professeur Lansana Condé : Je vous parle de l’année 1992 et en ce moment le Pr Alpha Condé n’était même pas passé à Kankan. Ni vu, ni connu n’était pour moi le Président Alpha. C’est l’analyse du texte qui m’a amené à ce résultat. Ce résultat n’a pas plu à certains milieux et ça m’a valu de passer en prison 3 ou 4 fois au commissariat de Kankan.
Plus tard, lorsque à travers mes recherches sur les arts traditionnels de Guinée, j’ai mis un atelier particulier, atelier au sens français du terme, les étudiants y ont pris un tel goût, qu’ils sont allés exiger que l’on l’inscrive dans le programme. Et au sortir de deux années, j’ai émis un projet de création d’une option Arts dans notre Département. Ceci parce que partout ailleurs à coté de nous, on parle de ‘’FLASH’’ (Faculté des Lettres des Arts et des Sciences Humaines) et pourquoi pas nous. Le projet a intéressé le Recteur, à telle enseigne qu’au lieu de loger ce projet dans mon Département, il a préféré la création pure et simple d’une Ecole. C’est ainsi qu’il m’ordonna de revoir le Projet. Le projet revu devait être introduit par l’Université au niveau des instances supérieures. Malheureusement à l’époque, entre notre Recteur et le ministre Eugène Camara, il y avait une espèce de rivalité, le Recteur se voyant déjà ministre à la place de Eugène. Il fallait savoir aborder le ministre pour que le projet porte, parce qu’on ne peut pas lui demander d’apporter de l’eau au moulin de son adversaire. C’est ainsi que le Pr Mamady Kourouma qui était à l’époque Conseiller du ministre fut désigné comme porteur du projet. Et je fus associé puisqu’ayant déjà fait tous les travaux concernant ce projet. Le Projet a été finalement retenu après les touches du Pr Mamady Kourouma. Mais, le ministre Eugène a décidé que cette école n’allait pas être construite à Kankan. Le projet va être transféré à côté de Conakry, à Coyah ou Dubréka. Coyah a déclaré n’avoir pas de place, Dubréka a proposé l’ancienne villa Syli et c’est là, où on a installé l’Institut Supérieur des Arts de Guinée. Tout pour vous dire que l’ISAG est simplement une de mes initiatives. Puisque c’est moi qui avais quand même initié la chose, il fallait que je sois à côté pendant le démarrage. J’ai été muté de Kankan à Dubréka en qualité de Directeur Adjoint chargé des études.
Mais une bonne personne m’en voulait et après ma mutation à Dubréka, cette personne connue voulait que je reste à Kankan, afin d’achever son sale boulot contre ma personne. Car, il avait décidé de ne me lâcher qu’après m’avoir broyé véritablement. C’est un de ses adjoints, à qui je voudrais rendre hommage en ce moment-là et qui se reconnaitra, m’a alerté et conseillé de quitter cet Institut parce que le Recteur de Kankan voulait ma peau.
Pour la petite histoire, il m’avait offert je dois l’avouer une voiture. Après deux semaines, il me propose d’intégrer le PUP (Parti de l’Unité et du Progrès). Mon refus fut catégorique tout en lui disant de me laisser dans la culture. Car je suis un homme né pour la culture et je préfère ne pas me jeter dans la politique. Face à ma position, il rétorqua : « Tu ne viens pas avec nous ? Ah ! qui n’est pas avec nous est contre nous ».
Les déboires ont commencé là. Malgré que je n’ai fait que quelques jours de détention au commissariat à cause de mes écrits, le Recteur a voulu me frapper à distance. Et c’est lui qui a dit à Fassou Siba ceci : « Celui que vous avez là, il est très dangereux. Il écrit facilement des rapports contre ses collègues et puisque c’est la ville du président, faites attention et si vous le gardez là, il va faire sauter la ville et c’est vous qui allez répondre devant le président. D’ailleurs, c’est un jeune frère à Alpha Condé…». Vous voyez combien c’était lourd comme charge. Voilà un peu comment Fassou, à qui ma présence portait ombrage quand même il faut le reconnaitre, a trouvé le moyen de se débarrasser d’un adjoint un peu trop voyant.
Dès que toutes ces affabulations ont été portées au niveau du ministère, on m’a enlevé à Dubréka. C’est à 23 heures qu’ils sont venus taper à ma porte pour me dire que j’ai une passation de service le lendemain.
Je tiens à vous informer que je fus mis à la retraite après 40 ans de services, pendant qu’à l’époque, l’âge de la retraite était fixé à 45 ans.
Voilà pourquoi et comment, j’ai affirmé être violenté puis jeté dans les bras de la retraite.
Guineenews© : Aujourd’hui s’empilent certes dans votre bibliothèque plusieurs de vos écrits. Pouvez-vous nous citer quelques-uns ?
Lansana Condé : Oui, j’ai écrit et je continue de le faire. Je vais essayer de vous citer quelques-uns ou au besoin si j’oublie, on fera appel au petit ordinateur.
Il y a ‘’Lecture de Safrin’’, ‘’Ecriture bien tissée d’écrivain métissé’’, ‘’Comment lire dézirluzion’’, ‘’La femme dans le roman africain’’, ‘’Comment meurent les Dieux’’, ‘’A temps’’, ‘’Nuriga’’, ‘’Coeuruption’’, ‘’Confiance comme science’’, ‘’Français toit émoi francn’kophone’’, ‘’Message de sage’’, ‘’l’amour faut-il y croire ?’’,‘’Motnument’’, ‘’Question de la pluralité culturelle guinéenne 1+1+1+1=1’’, ‘’Contine’’, ‘’veillée villageoise‘’, ‘’La chanson de la voie du temps’’ qui est un recueil de poème, qui se trouve présentement sur le tapis de la maison d’édition L’Harmattan Guinée.
Pour votre information, j’ai été aussi créateur de troupes. A la Faculté Agro zootechnique de Dabola et de Kankan, j’ai créé la troupe ‘’Faso Sofas’’. Parmi les pièces de théâtres réalisées, je peux citer, ‘’Faux pas ou FAPA’’, ‘’Soo Kamérénba’’
En tant qu’acteur de cinéma, j’ai joué un prépondérant rôle dans le film ‘’Conakry’’ et dans les documentaires de sensibilisation ‘’Mon village 1 et 2’’.
Guineenews© : Présentement à la retraite et malvoyant, comment comptez-vous léguer votre contribution à la formation ou à l’encadrement de la jeunesse dans tous ces différents secteurs?
Lansana Condé : Dans ces secteurs que l’on pense que je maitrise, je ne sais pas qu’est-ce que je peux apporter, mais ma disponibilité est telle que, j’ai souvent des petites consultations personnelles. Il y a des gens qui acceptent de me faire confiance et qui viennent me poser certains problèmes relatifs à un ou l’autre secteur, et je leur apporte mon appui.
Quant au secteur de l’enseignement, je vous ai dit que j’ai accepté d’aller prendre un cours à l’Institut Supérieur des Arts Mory Kanté de Dubréka. Surtout pour ce qui est de l’éducation d’une manière générale, je fais des propositions de projets.
Pour preuve, tout récemment, j’ai rencontré le Secrétaire général de cet Institut, pour lui dire que l’Institution est en train de trahir sa mission.
Lorsque moi j’initiai la chose, l’objectif majeur était de promouvoir la musique guinéenne. Et dans mes prévisions, on aurait dû créer une section organologie, c’est-à-dire, c’est là où on fabrique et répare les instruments de musique. Si cette section avait été créée, l’institut pouvait faire des balafons avec un label. Et la qualité de ces balafons ferait que ça pouvait être vendu à l’échelle mondiale.
Les Konis qui sont en train de disparaitre, s’il y en avait à suffisance et on imposait sa pratique comme discipline dans la formation, on n’aurait pas continué à mépriser cet instrument au point que cet instrument est en train de disparaitre.
Si on n’avait pris à bras le corps le problème des djembés, là aussi on n’aurait pu être un point d’exportation de cet instrument, surtout qu’il a conquis le monde.
Vous savez dans ce pays, il me semble que briller est un délit. Au lieu de faire la promotion de nous-mêmes, nous préférons faire la promotion des autres.
Guineenews© : Cette autre casquette de communicateur traditionnel dont vous portez aussi, peut-on en savoir plus ?
Lansana Condé : C’est lorsque j’ai quitté l’Institut de Dubréka, que je suis venu présenter ma situation à Hadja Saran Daraba sur recommandation d’une de nos très chère amie d’enfance, Madame Hawa Fofana, qui a été d’ailleurs Gouverneur à Kindia. C’était l’épouse d’un de nos camarades musiciens du Tinkisso Jazz de Dabola, feu M’Bady Soumah que l’on a retrouvé plus tard au sein du Bembeya jazz national.
Lorsque j’ai appris à celle-ci que j’avais quitté Dubréka et les conditions dans lesquelles j’en étais parti, elle m’a demandé de passer à la COFEG pour rencontrer Hadja Saran Daraba. Quand je lui ai expliqué ma situation, j’ai senti qu’elle était peinée et qu’elle n’avait pas de solutions à me proposer immédiatement. Dans un élan de générosité, elle m’a dirigé vers le REFMAP, histoire de trouver une occupation et de nouer des contacts.
Un peu plus tard, il y avait l’assemblée générale du Réseau National des Communicateurs Traditionnels (RENACOT) dont Hadja Saran Daraba avait dirigé la mise en place en Guinée. Ce réseau initié par l’OIF, était censé regroupé les griots pour leurs interventions dans la médiation d’une manière générale. C’est ainsi qu’elle a puisé dans sa réserve d’intelligence pour calculer, si ce n’étaient rien que les griots, des régions comme la forêt, cela aurait été désavantageuse. Elle a ainsi élargi le concept à tous ceux qui dans notre passé historique ont été des intermédiaires, entre le chef et le peuple en terme de communication. D’après cette proposition, il a été constitué ce réseau qui comportait, les Dyéli, farba, fina, thiapourouthia au Mali. Il y avait aussi les chasseurs, les forgerons, les marabouts, les féticheurs. Bref tous les éléments culturels déterminants avaient leur place dans ce réseau. L’assemblée générale s’est tenue au palais du peuple et bien que tard venu, j’ai été intégré et élu vice-président du réseau. Au fil des ans, j’ai été sollicité au poste de la Présidence de ce Réseau et pendant 11 ans, j’ai dirigé les destinées de ce réseau. Les satisfécits de l’UNICEF, SOLTHIS GUINEE, l’UNFPA, Search for commund ground attestent à suffisance, que toutes les missions qui nous ont été confiées, ont été menées avec beaucoup de sérieux. Et les résultats leur ont apporté le minimum de satisfaction.
Guineenews© : A entendre votre récit au cours de cette interview, on peut retenir que vous vous êtes investis considérablement au service de l’éducation et de la culture guinéenne. Un parcours métissé de joies et de peines. Aviez-vous un cri de cœur à libérer ?
Lansana Condé : Oui ! Les nombreuses injustices dont j’ai été victime, n’ont pas été récompensées ni matériellement, ni moralement. Pour ces faits, je dirai que je n’en suis pas très heureux. Mais je dois l’ajouter et au tréfonds, je n’en veux à personne parce que ce que j’ai fait, ça n’a pas été l’objet d’un contrat avec qui que ce soit. Je l’ai fait par conviction intime. Lorsque j’ai écrit mes textes, ce n’était pas pour plaire à quelqu’un ou parce que quelqu’un me les avait commandés. Je me dis tout simplement, qu’au regard de l’histoire, une juste place devait être faite à ces efforts et c’est aussi simple que ça. Sinon, je n’ai de plainte à porter contre personne.