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Guinée – Kassory à la primature : La confirmation d’une évidence ou le début des hostilités ?

Dans quelques années, la nomination de Kassory Fofana à la primature apparaîtra peut-être comme le premier acte d’une guerre de succession. L’accession de « Don Kass » au poste de premier ministre aura en tout cas été, à sa manière, un tour de force : si le relatif anonymat de Saïd Fofana ou Mamady Youla les préservait en partie des frondes des caciques du RPG, il en va tout autrement du nouveau locataire du Palais de la Colombe, dont les ambitions présidentielles sont à la fois réalistes et affichées. Le constat appelle interrogation : Pourquoi Alpha Condé a-t-il décidé de confier les clés du gouvernement – et sans doute bien plus – à celui, qui, hier encore, était l’un de ses plus sérieux pourfendeurs ? Cette analyse propose une entrée dans un monde où le succès appartient à ceux qui savent se rendre plus machiavéliques que Machiavel. Car l’agitation qui entoure le choix de la primature ne doit pas tromper : C’est 2020 qui se joue dès aujourd’huiderrière la décision d’Alpha Condé.

Trop de promesses pour un seul poste

Les attermoiements et les spéculations autour de la nomination du premier ministre ne reflètent pas seulement l’impatience des journalistes : Ils sont aussi l’écho des hésitations et des incertitudes réelles qu’Alpha Condé a dû éprouver face au choix de la primature. Et pour cause, explicitement ou tacitement, le poste de premier ministre avait suscité de trop nombreuses promesses. Au sein même du RPG d’abord. Des sources bien informées nous ont confirmés des tentatives encore tardives de sabotage de la fusion GPT/RPG, vendredi dernier, au sein même du Parti Présidentiel. Samedi encore, la présence de Kassory Fofana au rassemblement du parti avait été accueillie dans un enthousiasme apparemment forcé. Le choix d’Alpha Condé ne vaut pas unanimité et consensus : Kassory le sait, et il devra manœuvrer habilement dans le futur pour conserver une apparence d’unité politique au Rassemblement Arc-en-ciel. Il s’agira notamment de convaincre les « caciques » comme Damaro Camara, président du groupe parlementaire de la majorité présidentielle ou Salim Cissé, le secrétaire général du parti.

Mais l’hostilité déborde très largement le cadre du seul RPG : Sidya Touré, qui n’a encore renoncé à aucune de ses ambitions politiques ne cachait pas, lui aussi, sa volonté de voir l’un de ses proches accéder au poste de premier ministre. Pour lui, comme pour d’autres, la primature apparaissait comme le meilleur tremplin vers la magistrature suprême. Au-delà de la déception évidente, l’inquiétude est ici redoublée par l’identité même du nouveau premier ministre, qui peut faire craindre au leader de l’UFR une transhumance de sa base électorale habituelle. Basse-côtier – comme, en majorité, l’électorat de Sidya Touré –, Kassory Fofana ne pourra pas s’étendre politiquement sans rogner sur les voix d’un parti, l’UFR, qui apparaît par ailleurs en perte de vitesse. Pour Sidya Touré, la nomination de « Don Kass » apparaît donc comme une double douche froide.

Cellou Dalein Diallo, quant à lui, reste apparemment indifférent au choix de la primature. Et pour cause, le statut de chef de file de l’opposition devrait, en principe, lui imposer la sagesse de ne pas se soucier des tribulations de la mouvance. Avec la personne de Kassory Fofana, Cellou a pourtant trouvé un challenger à sa taille pour de futures élections présidentielles. Si on rappellera que le nouveau premier ministre avait été l’un des incubateurs de la carrière politique du président de l’UFDG, on se souviendra aussi qu’en politique, aucune alliance n’est éternelle. Kassory pourrait bien devenir demain, l’homme à abattre du côté de l’Union des Forces Démocratiques.

La primature : Tremplin électoral ou piège politique ?

Les défis qui attendent Kassory Fofana à la primature sont nombreux. Les plus importants engagent l’avenir même de notre pays : son destin historique, son unité nationale, le développement de ses structures économiques, la « normalisation » de ses institutions publiques. Ces défis sont connus et ont été rappelés à de nombreuses reprises ces derniers jours. Kassory Fofana a sans doute les compétences techniques et l’habileté relationelle pour les relever, avec l’aide des collaborateurs ministériels qu’il nommera ces prochains jours. Mais, pour le nouveau premier ministre, le défi politique personnel paraît au moins aussi inquiétant encore que le défi national. On l’a dit : Kassory Fofana n’avait caché ni ses intentions pour la primature, ni ses ambitions pour la Présidence. On en tirera une question : Le poste de premier ministre est-il vraiment un bon tremplin pour Sekoutoureya ?

Partout dans le monde, la primature est un couteau politique à double tranchant : si elle offre à celui qui en porte la fonction une présence médiatique, un réseau international, et une expérience inégalables, elle l’expose aussi à une pression et à des risques réputationnels forts. Le premier ministre est, de tous, le plus exposé. Il est celui dont on sait le mieux les intentions et dont on connaît le mieux l’agenda. Il amalgame toutes les hostilités, et concentre toutes les attentes. La préparation d’une élection présidentielle impose au contraire – le cas d’Emmanuel Macron en France l’a bien montré – une certaine discrétion, et une disponibilité de tous les instants. Être premier ministre et candidat demande un art difficile du « dédoublement » et de la dissimulation. Kassory Fofanapourra-t-il mener les deux tâches de front ?

La fusion du GPT dans le RPG : une bombe à retardement

Ce point renvoie à ce qui, au-delà même de la nomination du premier ministre, apparaît en fait comme l’événement décisif de la semaine passée : la fusion du GPT dans le RPG Arc-en-ciel. L’intention de cette fusion est clairement affichée : il s’agit, pour Kassory – et indirectement pour Alpha Condé – de donner aux cadres et aux militants du RPG des « gages » de sa fidélité politique. Au-delà même de la primature, l’acte de cette unification apparaît comme une véritable déclaration de succession : le président aurait-il, avec la primature, sceller le choix de celui qui, en 2020, devra prendre sa relève ? Rien n’est moins sûr, pour au moins deux raisons :

D’abord, parce que rien ne dit que la nomination de Kassory Fofana au poste de premier ministre ne cache pas en fait un « pacte » sur le troisième mandat. L’idée serait simple : le premier ministre fédérerait son réseau et s’appuierait sur son identité ethnique pour garantir à Alpha Condé une modification sans heurt de la constitution, et par suite une réelection en 2020 ;  en échange Alpha Condé assurerait à Kassory Fofana un avenir présidentiel après son départ de Sékoutoureya (– ou, ce qui n’est pas impossible, après sa mort ?). Quant on connaît le talent politique des deux hommes, le pacte ressemble davantage à un pari risqué qu’à une entente tranquille. La trahison peut en effet venir des deux côtés : de Kassory Fofana, qui anticiperait sur ses ambitions présidentielles pour tenter un passage en force en 2020 si le vent tourne mal pour Alpha Condé (et, qui sait si le vent ne peut pas être manipulé par « Don Kass » lui-même ?) ; mais aussi de l’actuel président de la République qui pourrait bien décider de revenir, après coup, sur son engagement initial. Dans tous les cas, la porte de Kassory Fofana est étroite. Elle n’en est pas moins grand ouverte.

Mais le risque vaut peut-être surtout du côté des caciques du RPG. Quelle marge de manœuvre Kassory Fofana pourrait-il avoir au sein d’un parti qui, en bonne partie, lui reste hostile ? La raison ethnique, ne nous le cachons pas, est évidente. La Haute-Guinée, avec Ousmane Kaba, Damaro ou Lansana Kouyaté, a encore de belles ressources politiques. Mais il y a là aussi une raison politique : Kassory n’est pas franchement un militant de la première heure ; et son « opportunisme » pourrait bien finir par lui être reproché en interne. Le problème est ici banalement logistique : sur quelle structure Kassory Fofana pourrait-il s’appuyer pour préparer une éventuelle campagne en 2020 ? Dans le cadre de quel parti pourrait-il mener à bien ses ambitions politiques ? Au sein du RPG, la crainte du sabotage serait sûrement trop lourde à porter. Pour rêver de Sékoutoureya, Kassory Fofana devra, il le sait, s’appuyer sur une équipe de militants entièrement dévoués. La cellule de communication sera ici particulièrement importante, surtout quand on sait qu’aucune base électorale ne lui est encore pleinement acquise. Sur ce point, le nouveau premier ministre devra aussi élargir son réseau à l’international, non seulement du côté de la diaspora guinéenne, mais aussi du côté institutionnel. Nul doute que, pour cela au moins, le Palais de la Colombe sera le meilleur tremplin.

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