Au gré de la circulation, notre objectif fixe à tout hasard cette image très parlante. De par son caractère insolite d’une part, mais aussi de son coefficient apparent d’imprudence et d’insécurité. C’est du ‘’pris sur le vif’’ dont l’évidence interpelle. Un motocycliste sans casque qui transporte un handicapé des membres inférieurs, bossu en plus !
Ce que nous voyons là est une réponse à tous les rejets et manquements dont les handicapés souffrent. La nature a horreur du vide, dit-on. Le besoin de se déplacer pour régler les problèmes essentiels de la vie, reste une contrainte que nous avons tous en partage. Que nous soyons sur nos deux pieds et en bonne santé ou pas, nous avons tous un impérieux besoin de sortir de la maison. Ce n’est pas en restant assis que l’avenir se construit et que le bonheur frappe à la porte. Les handicapés, ces usagers-citoyens à la mobilité soumise à fortes contraintes, le comprennent bien aussi.
Voilà pourquoi, nécessité oblige, ces risques que vous percevez-là, à travers l’image, sont pris par le motocycliste et son passager. Le handicapé, sans membres inférieurs et bossu en plus, ne peut pas s’embarquer tout seul. Il a fallu le soulever et le déposer bien en équilibre sur la selle de la moto. Quelqu’un a dû assurer ce rôle, pendant que le motocycliste était en position départ pour garder l’équilibre et la stabilité de son engin. Il cherche des clients, sans faire vraiment de choix. Il a besoin d’argent. La fine bouche n’est donc pas de mise.
Mais, une autre hypothèse est possible : les deux se connaissent. Le motocycliste veut rendre service au bossu-paralytique qui ne demande pas mieux, tout en étant conscient des risques encourus. Il sait que son équilibre et sa stabilité sur la moto sont aléatoires. Elles dépendent de sa capacité à tenir fermement de ses mains incurvées, le cadre chromé du porte-bagages. Et là, à le voir à l’image, il ne semble pas l’oublier. Il faut se rassurer, il ne bougera point ! Le reste se jouera dans la capacité du motocycliste à bien conduire. La même chose est à espérer de la part des autres usagers, qui partagent la route avec lui.
Mais, en vérité, l’idéal serait que pareil déplacement ne soit pas permis. On le voit : l’infraction est là, le risque aussi. Un motocycliste, sans casque protecteur et un passager simplement ‘’posé’’ ou ‘’déposé’’ sur la selle, sans jambes et qui ne compte que sur ses bras pour se tenir.
On peine à s’empêcher de douter. Et des questions bien ‘’négatives’’ assaillent l’esprit: et s’il est pris de malaise ou de crampes en chemin ? Si son conducteur pilote mal et qu’il les renverse? S’il rencontre plus mauvais que lui, qui les heurte ?
Pensons-nous que les difficultés de déplacement dont souffrent les handicapés soient une excuse pour cautionner de telles pratiques ?
Il reste entendu que pour ce passager infirme, nous éprouvons sympathie et solidarité. Ce qui nous conduit à lui souhaiter, ainsi qu’à tous les autres comme lui, de toujours pouvoir se déplacer, le plus facilement possible, en centre urbain et partout ailleurs.
Les handicapés sont, en général, victimes d’une forme de ségrégation en termes de mobilité. L’accès aux transports en commun du secteur privé leur est presque entièrement fermé, pour divers motifs. Les chauffeurs de taxi ou minibus indexés, énoncent des argumentaires fallacieux pour justifier leurs attitudes, sans convaincre grand monde. On les entend dire ici et là : « ça me retarde de prendre un handicapé. Pour qu’il monte, je suis obligé de descendre pour l’aider » ; « Souvent ce sont des adultes ou même de vieilles personnes, je ne peux pas les soulever » ; « Mes passagers ne les acceptent pas auprès d’eux. Ils refusent de se pousser pour leur faire de la place » « J’ai toujours eu des problèmes avec ce genre de clients. A chaque fois, c’était des handicapés des membres inférieurs. Leurs béquilles ne pouvaient pas contenir dans la voiture avec les autres passagers ». C’est ce qui se disait avant l’apparition du coronavirus, quand on bourrait les véhicules avec six passagers (deux à l’avant et quatre à l’arrière).
Dans la même veine, un chauffeur de minibus (magbana) nous a dit, en toute franchise : «quand je suis au volant, je ne les vois même pas, surtout s’ils sont proches de mon véhicule. Vous savez, ils sont souvent à ras du sol ou assis par terre. En toute franchise, je n’aime pas les prendre, surtout en saison de pluies. Ils sont souvent mouillés et sales et leur embarquement est très lent. Ça me retarde.»
Les arguments pour refuser les handicapés à bord des véhicules privés de transport en commun, sont légion. Les plus vexatoires et avilissants d’entre tous sont ceux qui les traitent de pouilleux ou malodorants. La plupart d’entre eux vit de mendicité. Mais, cela justifie-t-il qu’on leur tienne pareil langage vexatoire et outrancier?
C’est alors que, face à toute cette détresse et pour apaiser leurs souffrances, ils tournent le regard vers l’Etat. Ce protecteur de tous, qui, pensent-ils, peut ou doit apporter la réplique aux privés pour contrer cette forme de rejet systématique et avilissant, dont ils sont l’objet. Mais, hélas, celui-ci n’a rien planifié dans ce sens, ou presque !
Les quelques bus de transport public dont il dispose, ne sont pas accessibles aux handicapés locomoteurs, surtout. Il eut fallu trouver des moyens et du temps pour les embarquer et les débarquer à chaque arrêt. Ce qui n’est pas envisageable.
La seconde alternative qui reste, nécessite des investissements. Il faut, comme dans les autres pays, aménager les arrêts bus de façon que ces usagers handicapés, par un promontoire surélevé à la hauteur du plancher du bus, puissent accéder, à l’intérieur et en descendre librement, sans assistance aucune.
Comme ça, on leur restaure leurs droits et accès à la mobilité, au travail et à une vie décente et digne. Ils redeviennent alors, ce qu’ils n’ont jamais cessé d’être: des hommes !