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Explosion du marché des eaux minérales :  la santé publique est-elle sacrifiée sur l’autel du business ?

Nous consommons différents types d’eau : l’eau de robinet, l’eau de source, l’eau de puits, et l’eau minérale naturelle. En Afrique, selon l’ONU, 250 millions de personnes consomment de l’eau non potable. Ce qui fait exploser le marché d’eau minérale sur le continent. Selon les chiffres disponibles, la consommation d’eau en bouteille ou en sachet en Afrique était de 4.823 m³ en 2004. L’eau en bouteille est devenue un véritable trésor !

Traditionnellement dans nos villages, l’eau ne se vend ni ne s’achète. Elle est une ressource naturelle nécessaire au fonctionnement de notre corps et au bien-être de notre vie. Nous allions la chercher au marigot, à la rivière ou dans le puits. Cependant, avec la modernisation, l’urbanisation et les risques sanitaires, la situation a bien changé. Aujourd’hui, l’eau est devenue un véritable business. Quoi de plus normal ? L’eau potable doit respecter certaines normes. Sa captation, son traitement et sa distribution requièrent des investissements lourds qu’il faille rentabiliser.

Depuis environ trente ans, la Société Nationale de Distribution d’Eau a vu son image de qualité se ternir auprès du public. L’eau du robinet est-elle saine ou ne l’est-elle pas ? Ces préoccupations profitent aux producteurs d’eau en bouteille ou en sachet. Le malheur des uns fait-il le bonheur des autres ? Le secteur de l’eau embouteillée ou en sachet est aujourd’hui en pleine croissance. Que contient cette eau en bouteille ou en sachet que nous consommons ? Toutes les eaux dites minérales ou naturelles sont-elles les mêmes ? De quelles stratégies ces sociétés usent-elles pour nous séduire ?

À Conakry, chaque jour, des jeunes, étudiants ou déscolarisés sans formation, assiègent des carrefours, des rues, des domiciles et des bureaux pour proposer des sachets d’eau dite minérale aux populations. Des milliers de sachets d’eau s’écoulent à une vitesse éclair. Pour les consommateurs, c’est un peu cher mais pratique. Un sachet d’eau coûte 500 GNF.

«On ne peut pas garer la voiture pour acheter un sachet d’eau ! On se ravitaille en circulation. C’est rapide et pratique. Souvent, nous achetons des packs d’eau pour les mettre dans la voiture. Et c’est parti pour la journée », nous confie un rabatteur au poste de stationnement des minicars au niveau du marché Avaria à Madina.

D’où proviennent ces sachets d’eau « minérale » qui inondent le pays?

Combien sont-elles, ces sociétés qui produisent l’eau «minérale naturelle » dont nous raffolons sur le marché ? Qui les autorise à produire de l’eau minérale ? Ces centaines d’entreprises qui produisent des eaux minérales naturelles à consommation publique sont-elles enregistrées au ministère de l’Industrie et au ministère de la Santé ? Pas très sûr. Selon nos enquêtes, sur 100 entreprises répertoriées à travers les estampilles sur les sachets d’eau, seulement une dizaine fonctionne dans la légalité. Toutes les autres fonctionneraient sans autorisation. Elles travaillent dans la clandestinité, souvent dans les arrière-cours de domiciles privés. Certains, selon des informations reçues, opèrent à partir de forages installés dans leurs cours.

« Il y a beaucoup de fausses eaux minérales. Les gens puisent l’eau dans les fontaines. C’est l’eau du robinet qu’on met dans les sachets pour vendre. Il suffit d’avoir une petite machine qui ferme les sachets, et le tour est joué. Il n’y a aucun contrôle », soutient Alexis O., un habitant du quartier Bentouraya, zone supposée d’implantation de plusieurs usines clandestines de production d’eau dite minérale naturelle.

Cela se fait-il dans un cadre légal ? Pas très sûr. Les gens outrepassent les lois pour produire l’eau-sachet dans les quartiers. Or, pour le faire, il faut, comme le stipule la loi, « déposer un dossier au ministère de l’Industrie pour être agréé, puis passer par l’OMS, via le ministère de la Santé, pour les normes. C’est à ce niveau qu’il faut vérifier s’il y a les sels minéraux, etc. ». Cette étape n’est jamais franchie par les faussaires qui nous font boire pour étancher notre soif.

Certains consommateurs interrogés se disent satisfaits des produits qu’on leur propose chaque jour. Les gens boivent et les producteurs se font de bonnes affaires.

Cette eau est-elle bien traitée ?

« Je bois ces sachets d’eau depuis une quinzaine d’années et je ne tombe pas malade. On n’a pas les moyens pour acheter des bouteilles d’eau ! On ne peut se permettre le luxe de s’acheter des bouteilles de Perrier ! Nous nous contentons des sachets d’eau de 500 francs guinéens. Et nous n’avons aucun problème. C’est une eau bien traitée, propre et légère », apprécie Alsény B., un vieux tablier, assis à l’angle d’une banque privée de la place. L’eau minérale naturelle est entrée dans nos vies à tel point que son commerce est en forte croissance.

Nous nous sommes rendus dans l’une des usines de production d’eau, dont nous taisons le nom pour des raisons de commodité et de contre publicité. Les responsables n’ont pas accepté de répondre à toutes nos questions. Ils se sont contentés de nous expliquer le système de distribution et de commercialisation. « Beaucoup de consommateurs nous appellent pour dire que notre eau est de bonne qualité. Ceux qui parlent souvent du goût qui varie. Nous leur disons non ! Tout dépend de la nappe phréatique pendant certaines saisons et de la composition de sels minéraux. Voilà pourquoi vous constatez souvent que certaines eaux sont très minéralisées, riches en sodium et d’autres pauvres en sodium ou en calcium. Tout est contrôlé ici à notre usine. L’eau que nous produisons est bien traitée avant d’être mise en vente. Et nous travaillons dans un cadre légal », nous apprend un responsable de ladite société.

Quant au chargé de la section commerciale, la distribution d’eau se fait dans des conditions d’hygiène appréciables. « Tous ces paquets ne sont pas des commandes. Nous les livrons aux boutiquiers, aux détaillants, dans les bureaux, aux femmes vendeuses, aux jeunes garçons et filles dans les glacières. Tous ces vendeurs nous payent cash et ne reviennent jamais pour nous parler de la mauvaise qualité de nos produits. »

À la direction du Service National des Normes et Qualité, au ministère du Commerce et de l’Industrie, tous nos rendez-vous furent des fiascos. Les responsables de ce service important n’ont pas eu le temps nécessaire pour nous recevoir. Et malgré les critiques et les voix qui s’élèvent ici et là, près de 200 mille tonnes de sachets sont produits chaque année, selon les spécialistes de la statistique.

En Guinée, le déficit d’investissement ces dernières années aurait détérioré les canalisations de la SEG. La réputation de l’eau produite par elle est ternie. Ce qui favorise le business de l’eau dite minérale. Ainsi, depuis près de quinze ans, le marché de cette eau a connu une croissance de plus de 85%. Et loin d’être saturé, ce marché a encore de beaux jours devant lui.

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