Nous en reparlons encore, de ces vieux véhicules de transport de charbon, au risque de susciter une onde d’interrogations, quant à l’utilité de l’évocation répétitive d’un tel sujet. Il est vrai qu’une certaine frange de l’opinion considère ce type d’information comme, à peine digne de la rubrique des faits divers. Pourtant, nous l’avions dit dans un précédent article, la dépréciation de ce sujet tient du fait qu’il est méconnu et négligé. A dessein même, nous semble-t-il.
Qui d’ailleurs, outre le charbonnier, lui-même au bas de l’échelle sociale, pour s’intéresser à ce qui apparaît comme sale et rebutant, aux yeux de tous? Détrompons-nous cependant car, ce secteur d’activités mérite toute notre attention, en raison même de son incidence élevée sur notre vie quotidienne. En l’affirmant, nous sommes loin de l’exagération. Si nous considérons que le charbon de bois, cet ingrédient indispensable à la cuisson de nos aliments est d’une importance à la limite, vitale, que dirions-nous alors, du moyen par lequel il nous parvient. Si le premier est important, le second l’est, tout autant. Les deux sont indissociables. Il n’y aura de charbon dans nos cuisines, que s’il est transporté par véhicule, de son point de collecte au foyer du consommateur. C’est aussi simple que ça ! En parler, consiste à réhabiliter ce transport amplement dévalué, à qui il faut rendre ses lettres de noblesse, en le consacrant comme activité de même niveau d’utilité et de prestige que les autres. Cela doit aboutir à ne plus considérer un véhicule de transport de charbon, comme un engin remisé, digne du musée ou de la casse.
Déjà, la glace se brise. Des citoyens commencent à marquer leur ‘compréhension’ ou leur ‘acceptation’ par moult réactions dont la trame essentielle repose sur une pointe d’humour à la limite de la condescendance ou du chahut. On l’agrée volontiers, puisque constituant les prémisses d’une intégration du phénomène dans le microcosme ambiant de la circulation routière.
On entend émettre, ici et là, des avis et commentaires plus assagis et plus compréhensifs, l’air de dire que si ces vieux camions n’ont pas encore trouvé remplaçants à leur hauteur, c’est moins pour leur vétusté, que pour la solidité et la résistance qui les caractérisent. Les tenants de cette opinion rappellent les contraintes que ces véhicules subissent à aller embarquer le charbon. Une collecte qui les entraîne de plus en plus loin, dans les profondeurs de nos zones rurales. Il s’agit, bien souvent, de districts et hameaux parmi les plus reculés et inaccessibles qui soient, situés dans les préfectures voisines de Conakry: Dubréka, Boffa, Boké, Coyah, Forécariah, Kindia. On en ramène également, en faible quantité certes, de l’intérieur du pays, de retour de voyage, le plus souvent pour une consommation domestique.
Le charbon se faisant rare, au fur et à mesure de la destruction du couvert végétal, sa collecte devient de plus en plus difficile. Cela conduit alors les acteurs de ce fructueux commerce à attendre des jours entiers dans les derniers villages où on continue encore à produire cette denrée précieuse, au péril du couvert végétal. Deux cas de figure se présentent alors à eux : certaines fois, le chargement est déjà prêt, le camion est déplacé, juste pour l’enlever et le transporter en ville. Mais, il arrive aussi que, pour cause de rareté du produit, les véhicules attendent des jours entiers, même parfois une semaine dit-on, pour trouver de quoi les remplir. Ces longs délais, ajoutés aux difficultés d’accès et à la rareté des moyens de transport qui s’aventurent dans ces coins perdus, amènent à comprendre pourquoi ce n’est pas demain la veille, le remplacement de ces camions. En effet, l’expérience a prouvé qu’il n’est pas donné à n’importe quel véhicule d’assurer ce rôle. Comme le dit la publicité : tôle, c’est pas tôle ! Ces véhicules connaissent la piste et la brousse; ces véhicules chargent, à en étonner plus d’un; ils sont lents, certes, et souvent en panne, mais ils arrivent toujours à destination. Ils se renversent bien quelquefois, mais, ce qui surprend plus d’un, ils se relèvent toujours pour continuer leur chemin.
L’accident de l’un d’entre eux, survenu au carrefour Kagbelen, vient confirmer cette série de mérites étonnants que nous leur trouvons.
Ce matin, alors que les eaux de ruissellement de la dernière pluie recouvraient encore la chaussée, les usagers qui se sont réveillés tôt ont eu la surprise de voir un vieux camion Mercédès, sans immatriculation, à la mine peu reluisante, affalé sur son flanc droit, juste après le carrefour, en direction de la cimenterie. Pas loin de lui, des dizaines et des dizaines de sacs de charbon sont entreposés sur une bonne longueur, le long de la chaussée. On a peine à admettre qu’ils constituent le chargement de ce vieux camion renversé la nuit, à une heure tardive, tellement la quantité paraît énorme. Et c’est pourtant le cas. Ce camion de transport de charbon, à l’image des autres, était rempli à ras bord. Les sacs débordaient de tous les côtés, tant en longueur qu’en largeur et hauteur. Une situation qui, inévitablement, compromet le centre de gravité, affectant dangereusement la stabilité du véhicule. Il a suffi qu’il arrive en ce lieu, marqué par de nombreux et profonds nids de poule pour que l’équilibre nécessaire à son roulage soit compromis. Il est donc tombé de lui-même, sans avoir heurté quelque obstacle que ce soit. Chauffeur et apprentis s’en sont tirés à bon compte. Pas de mort. Pas de blessés. De même, le camion n’a pas ‘souffert’ outre mesure, du fracas de sa chute. Quelques bobos sans gravité, sur la caisse et la cabine. Il est vieux et en a sans doute vu de bien pire, depuis qu’il arpente les pistes cahoteuses et ravinées des districts les plus isolés imaginables, à la recherche de cargaisons de charbon.
Aux premières heures du jour, la police a été prompte à baliser les lieux pour empêcher l’embouteillage, rapide à s’installer en pareilles circonstances. Le recours à une grue a vite remis notre vieille carcasse sur pieds et, tenez-vous bien, son conducteur a relancé le moteur d’un quart de tour, à l’étonnement général. Et il a continué, pour une ‘consultation’ chez son garagiste habituel, seul à même d’établir le vrai diagnostic résultant de sa chute. Sa cargaison phénoménale, quant à elle, est restée sur place, le temps qu’un autre camion, plus gros, vienne la récupérer, peu de temps après. Peut être bien que vous avez souri ou ri, à nous lire. Nous notons que vous devenez sensible au sujet évoqué. Et c’est autant de gagné pour nous.
La réhabilitation de ce secteur de transport, passe nécessairement par une meilleure attention des autorités sur son fonctionnement quotidien.
Pour autant, nous devons retenir que la dose d’humour et de ‘célébration’ utilisée dans ce texte ne peut en aucune manière, servir d’excuse ou d’encouragement à un quelconque refus des transporteurs de charbon de se mettre en règle, conformément aux textes en vigueur.
La sécurité et la pérennité de ce transport de charbon sont à ce prix.