En Guinée, le destin politique est-il lié à celui syndical ? Tout porte à le croire au regard de l’histoire sociopolitique de notre pays depuis son accession à l’indépendance en octobre 1958. Plusieurs leaders syndicalistes ont accédé aux postes politiques les élevés ‘’aux rivières du Sud’’.
Hadja Rabiatou Sérah et Louis M’Bemba Soumah, deux figures de proue
De Sékou Touré à Rabiatou Sérah Diallo en passant par le Dr Ibrahima Fofana, Louis M’Bemba Soumah, etc, les syndicalistes ont joué un rôle prépondérant dans le système politique de la Guinée depuis l’accession du pays à l’indépendance en 1958. A l’occasion de la célébration de son 60e anniversaire, Guineenews a allé à la rencontre des syndicalistes Hadja Rabiatou Sérah Diallo, actuelle présidente du Conseil Economique et Social (CES) et Louis M’Bemba Soumah, Secrétaire général de l’Union syndicale des travailleurs de Guinée (USTG), deux figures emblématiques du syndicalisme, qui ont traversé à la fois des moments de gloire mais aussi de douleurs. Armés d’abnégation, de courage, et de détermination, les syndicalistes guinéens ont œuvré pour l’amélioration des conditions de vie et de travail des Guinéens parfois au prix de leur vie.
Dans son entretien accordé à notre rédaction, l’actuelle présidente du CES et ancienne Secrétaire générale de la CNTG a indiqué que le rôle des syndicalistes dans la défense des intérêts des travailleurs, c’est l’écoute et le dialogue comme enseignent d’ailleurs « les différentes conventions de l’OIT (Organisation internationale du Travail) ». Avec le dialogue et l’écoute, on peut diagnostiquer la souffrance des travailleurs, laisse-t-elle entendre. Alors que « au niveau de l’exécutif, nous prenons les grandes décisions, on se concerte, nous montons les stratégies pour savoir comment est-ce qu’on va aboutir à notre objectif pour la défense des intérêts des travailleurs et de leurs familles ».
D’ailleurs, l’actuel Secrétaire général de l’USTG sait bien que le combat syndical n’a jamais été un fleuve tranquille. « Au début, on était à la merci des préfets. Les autorités locales nous créaient chaque fois beaucoup de problèmes. Il fallait souvent qu’on fasse recours au ministère du Travail. Nous avons eu beaucoup de difficultés. Il nous arrivait parfois de passer la nuit dans des véhicules », se souvient-il. Louis M’Bemba Soumah pense qu’aujourd’hui « l’USTG est devenue gênante parce que c’est le seul syndicat qui ose dire la vérité à qui de droit et face à face. Les autorités ont pris comme politique, la division pour régner. Elles sont en train d’œuvrer par mille manières ». Le syndicaliste reconnait qu’actuellement, l’inter centrale syndicale qui a fait la fierté en 2006 et 2007 pour pousser le défunt président Lansana Conté à dissoudre son gouvernement en nommant un Premier ministre peine à faire passer son message. Suite à l’augmentation du prix du carburant à la pompe le 1er juillet 2018 et la concession du port conventionnel à Albayrak, l’unité syndicale s’est fissurée entrainant des cascades de désaffiliation et de désunion. « A l’heure actuelle, nous sommes dans une sorte d’imbroglio total entre les syndicats. Les autorités les divisent pour pouvoir faire ce qu’elles veulent. Je crois qu’ils ont même posé le problème en disant qu’elles souhaiteraient mettre en place une seule centrale syndicale en Guinée pour l’avoir en poche et la manipuler. », soupçonne le syndicaliste Soumah.
La présidence du Conseil national de la transition (CNT), Rabiatou Sérah parle
Il est rare en Guinée de voir les femmes occuper de hautes fonctions de responsabilité. Rabiatou Sérah Diallo a brisé ce mythe en se hissant au sommet. En 2010, après les accords d’Ouagadougou, elle se voit propulsée à la tête de l’organe de transition au grand dam des hommes syndicalistes et politiques qui visaient ce poste. « Au niveau du continent, cela a été un réconfort, une ouverture et montre que l’on peut faire confiance aux femmes, on peut leur confier des responsabilités parce que les femmes, nous n’avons pas besoin d’une deuxième vitesse. Nous allons de l’avant. Cela a été une ouverture pour toutes les femmes pour accéder aux responsabilités du mouvement syndical et occuper de hauts postes de responsabilités », se réjouit-elle.
La présidente du CES est consciente que « on ne choisit pas d’être responsable. On ne s’engage pas à lutter pour le pays, pour avoir des bénéfices ou pour obtenir des postes de responsabilité. C’est une question de confiance. Quand j’ai été choisie pour être à la tête du CNT, je n’étais pas en Guinée. Je suis la première femme depuis 2005 à accéder à ce poste de responsabilité. On ne travaille pas pour des récompenses et avoir des responsabilités. Mais quand on vous confie des responsabilités, il faut les assumer dans l’intérêt supérieur de la nation ». Malgré les difficultés en Guinéen, elle dit avoir « beaucoup d’espoir pour l’avenir de la Guinée ».
Influence syndicale sur la politique
Par ailleurs, son camarade syndicaliste, Louis M’Bemba, est revenu sur le rôle joué par le syndicalisme pour l’accession de la Guinée à l’indépendance en 1958. Selon lui, Sékou Touré étant syndicaliste « pratiquement, c’est lui qui a mené la Guinée à l’indépendance. Bien sûr, cela n’est pas facile. Sékou Touré était un combattant qui s’est battu syndicalement ensuite politiquement. Il a eu à faire respecter la Guinée en l’amenant très loin. Il a mis les Guinéens dans de bonnes conditions parce que pendant son règne ils n’étaient pas dans les mêmes souffrances actuelles. Les Guinéens avaient le minimum pour vivre. Il faut le reconnaitre ».
Par rapport à l’influence syndicale sur la politique, le Secrétaire général de l’USTG, ministre entre 2009-2010, affirme que « le syndicalisme a beaucoup aidé la Guinée pour sa stabilité » en rassemblant « toutes les forces vives de la nation pour pouvoir donner un équilibre à ce pays qui allait à vau-l’eau ».
Aujourd’hui, le syndicaliste constate que « le Guinéen ne veut pas être aidé » parce qu’ils n’observent pas souvent les mouvements de grève lancés. Mais, cela n’est dû à rien d’autrenqu’à la pauvreté, soutient-il.
Qui du régime de Lansana Conté et d’Alpha Condé est plus approchable ?
Louis M’Bemba ne va pas du dos de la cuillère. « Personnellement, Conté, je l’ai eu à le rapprocher. Il était plus approchable, il avait de l’écoute. Je me rappelle le jour où je lui ai parlé, en ce moment, nous préparions une grève, il nous a tous réuni. Et j’ai profité pour lui dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Il était avec tout son gouvernement. Je lui ai dit : « votre entourage est pourri. Ils sont là assis derrière vous tous. Aucun ne vous dit la vérité, on vous trompe. On entendait ce jour les mouches voler dans la salle ». C’est quelque chose que personne n’osait dire. Les ministres me regardaient avec hargne. (…). Malheureusement, tel n’est pas le cas avec Alpha Condé. Même si vous lui parlez, il s’enflamme. Je lui ai dit pour aider un chef, il faut lui dire la vérité. C’est dommage », conclut-il.