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Suspension des bureaux des chambres d’agriculture: le dessous d’un «coup de force» controversé

C’est avec surprise et stupéfaction que le monde agricole et par ricochet tous les Guinéens ont connaissance le mercredi 6 juillet dernier de la décision D/2022/0082/MAGEL/CAB du ministre de l’Agriculture et de l’Élevage, Mamoudou Nagnalen Barry. C’était à fois sur les antennes des médias d’Etat que sur toutes les plateformes de réseaux sociaux dudit ministère. Laquelle décision suspendait tous les bureaux et Présidents des Chambres Nationales, Régionales et Préfectorales d’Agriculture de Guinée.

Une suspension que le ministère de l’Agriculture motivé par les raisons suivantes : « les mandats de cinq ans (renouvelable une seule fois) des membres de l’Assemblée Consulaire et du Bureau des Chambres sont expirés ». Cette décision qui met fin aux activités des organes d’administration et de gestion au sein desdites chambres, autorise « le secrétaire général de la Chambre Nationale d’Agriculture de gérer les activités courantes jusqu’aux nouvelles élections ».

Déjà le 23 juin dernier, le ministre Mamadou Nagnalen Barry avait subtilement lézardé le mur de la Chambre d’Agriculture par la décision D/2022/0069/MAGEL/CAB pour mettre en place un mécanisme de distribution des engrais acquis, selon lui, par l’Etat guinéen. Il définit ses modalités et ses conditions à lui. Il décide unilatéralement que désormais, « chaque opération de vente de l’engrais doit être validée par la co-signature d’un représentant de la Chambre Préfectorale d’Agriculture et d’un représentant de la Direction Préfectorale de l’Agriculture et de l’Élevage, les sorties des magasins de stockage de Conakry, ceux du port et des locaux de la Chambre Nationale de l’Agriculture doivent être validées par la co-signature du secrétaire général de la Chambre National d’Agriculture et du directeur national de l’Agriculture ; tous les paiements doivent se faire par Orange Money via un compte marchand ou sur les numéros de comptes du Trésor domiciliés dans les agences de la Banque Centrale… »

Ayant ainsi réussi à ouvrir la brèche dans le mur, sans aucune résistance des principaux acteurs du monde paysan qui pensait avoir affaire à un ange, Mamoudou Gnalen frappera par la suite au cœur de la Chambre le 6 juillet en mettant à l’égard l’ancienne équipe, dirigée jusqu’ici par El hadj Mamadou Bobo Diallo, communément appelé ‘’Bobo Denken’’. C’est un coup de plus et un coup de trop, a-t-on entendu rétorquer dans l’entourage de l’homme contre la décision du ministre Barry. C’est ainsi que la résistance s’organisa dans leur rang.

Comme persuadés que la justice est véritablement la seule et l’unique ‘’boussole’’ de tous les actes administratif et judiciaires qui seront posés durant cette phase transitoire que vit la Guinée et d’ailleurs comme cela fut solennellement déclaré par le président de la Transition, chef de l’Etat, le colonel Mamadi Doumbouya à la prise du pouvoir le 5 septembre 2021, Elhadj Bobo Denken et les siens décident, de bon aloi, d’attaquer la décision du ministre devant la justice.

Judiciarisation du dossier : l’arrêt de la Chambre Administrative de la Cour Suprême très attendu

Conformément aux dispositions de la saisine de la composition de la Chambre administrative de la Cour Suprême en son article 49 de la loi organique, L/2017/No 003/AN du 23 février 2017, portant attribution organisation et fonctionnement de la Cour Suprême, la Chambre Nationale, par le biais de son avocat, saisit le président et conseillers composant la Chambre administrative de la Cour Suprême, Elle lui adresse une signification d’une requête à double fin :

d’une part, de pourvoi en annulation contre la décision D/2022/0069/MAGEL/CAB du ministre, portant ‘’mise en place du mécanisme des distributions des engrais d’une part’’,

Et de l’autre, de pourvoi en annulation contre la décision D/2022/0082/MAGEL/CAB portant ‘’suspension des bureaux et présidents des chambres nationales, régionale et préfectorale d’Agriculture de Guinée en date du 06 juillet 2022 d’autre part’’.

Il n’en fallait pas pour mettre le ministre de l’Agriculture dans tous ses états. Irrité par cette démarche, le ministre Barry décide de passer à la vitesse supérieure en fonçant sur les magasins d’entrepôt des engrais. Sans attendre bien sûre l’aboutissement de cette procédure judiciaire engagée auprès de la Chambre administrative de la Cour Suprême. Alors que, cette procédure engagée rend suspensives toutes les décisions prises par le ministre, enseignent des juristes qu’on a par ailleurs contactés.

En faisant donc fi de tout, le ministre de l’Agriculture ordonnera, tout de go, l’ouverture des différents magasins pour faire sortir les stocks d’engrais. A la grande surprise des membres du bureau suspendu. Il met donc en application son plan de dispatching.  En violation de toutes les dispositions et de tous les règlements en vigueur, s’insurge l’Avocat de la Chambre d’Agriculture que nous avons pu rencontrer à la faveur de nos investigations.

Pour le camp de Mamadou Bobo Diallo, le ministre avec ces décisions, ‘’viole sur toute la ligne les prescriptions législatives ou règlementaires’’. Car, argue-t-il, ‘’conformément à la loi NL/95/031/CTRN portant ‘’création de la Chambre d’Agriculture et les Chambres régionales d’Agriculture de Guinée’’, quand le mandat des dirigeants des Chambres Nationale, Régionales, Préfectorales est échu, de nouvelles élections doivent être organisées immédiatement sans délai. Mais la démarche du ministre Mamadou Nagnalen ne semble aller à l’antipode de cette disposition.

Selon l’avocat de la Chambre d’Agriculture, Me. Ahmadou Kourouma, ‘’aucun texte ne lui donne le droit de dissoudre les présidents des différentes chambres.’’

Que dit donc la loi en pareilles circonstances ?

D’après nos investigations, la loi en la matière stipule ce qui suit : ‘’si par extraordinaire, les organes de chambre régionale d’agriculture qui contreviennent aux prescriptions législatives ou réglementaire doivent être dissouts par l’autorité de tutelle. Cela n’est possible qu’après avis motivé du bureau de la Chambre Nationale d’Agriculture.’’

Ce qui n’est pas le cas. Un dysfonctionnement administratif que l’avocat des Bureaux de la Chambre Nationale d’Agriculture, qualifie de ‘’violation manifeste des prescriptions législatives ou réglementaires. Violation des clauses de la convention signée en date du 18 janvier 2021 entre la banque Afriland First Bank et la Chambre Nationale d’Agriculture de Guinée représentée par son président Mamadou Bobo Diallo, dit Bobo Denkèn ».

Pour lui, ‘’si l’Etat guinéen s’est engagé pour la fourniture des engrais que le ministre Nagnalen Barry est en train de distribuer aujourd’hui à tout va, il faut préciser cependant qu’il n’est nullement débiteur. Les vrais débiteurs et qui sont exposés à une poursuite pénale, qui se trouvent être les dirigeants de la Chambre Nationale d’Agriculture, tous représentés par leur président Mamadou Bobo Diallo dit Bobo Denkèn.’’

 Toujours à en croire l’avocat de l’homme d’affaires et président de la chambre nationale d’agriculture, ‘’déposer le prix de ses engrais par Orange Money (OM) ou au Trésor public, cela porterait des préjudices irréparables non seulement à la Chambre, mais aussi à la banque Afriland First Bank, à AFRIXIMBANK, aux fournisseurs et surtout à la population paysanne qui va tout de suite connaitre une rupture ou une fourniture tardive’’.

Ces intrants agricoles distribués aujourd’hui à tout va, appartiennent-ils vraiment à l’Etat guinéen ?   

Selon Me Ahmadou Kourouma, l’avocat des Bureaux de la Chambre d’Agriculture, ces produits que le ministre est en train de distribuer, n’appartiennent guère à l’Etat guinéen, mais plutôt à la Chambre d’Agriculture qui est une structure indépendante.

« Courant 2021, dans le but de soutenir l’importation et l’achat des intrants agricoles (semences, pesticides, engrais) en faveur des organisations paysannes membres de la Chambre Nationale d’Agriculture de Guinée afin de leur permettre de faire face à la problématique de l’autosuffisance alimentaire, à leur bien-être et aux conséquences de la COVID-19, la banque Afriland First Bank Guinée a sollicité et obtenu auprès d’AFRIXIMBANK dans le cadre du programme d’assistance, une ligne de crédit d’un montant de quatorze millions de dollars US. Ce montant est utilisable sous forme de confirmation de lettre de crédit et/ou de refinancement de lettre de crédit en faveur des fournisseurs de la Chambre Nationale d’Agriculture de Guinée. Ce crédit accordé à la Chambre Nationale d’Agriculture par les fournisseurs étrangers et par la garantie de la banque Afriland First Bank a fait l’objet d’une convention de huit pages en date du 18janvier 2021. En exécution de cette convention, la Chambre Nationale d’Agriculture à date, a reçu plus de 85% de ces engrais et assure pleinement le dispatching et le dépôt de l’argent au compte de Afriland First Bank conformément aux dispositions du point 9.4 qui dispose une « domiciliation ferme et irrévocable de toutes les recettes et de tous les contrats de ventes de ses membres dans nos livres pendant toute la durée de vie du crédit.

L’emprunteur s’engage et s’oblige à domicilier au profit de la banque toutes les recettes issues de la vente desdits produits, tous les contrats de ventes de ses membres dans le livre de la banque, pendant toute la durée de vie de son crédit, en garantie de remboursement. Que l’ordre ainsi donné à tous ses membres, est irrévocable et ne pourra être modifié sans l’accord de la banque. Que tout détournement des recettes donnera lieu en sus des intérêts moratoires à des poursuites pénales du chef d’abus de confiance. »

L’acte posé par le ministre de l’Agriculture perçu par Me. Kourouma comme une ‘’expropriation’’

A l’arrivée du CNRD le 5 septembre 2021, la Chambre Nationale d’Agriculture de Guinée a décidé de soutenir les nouvelles autorités en se mettant entièrement à sa disposition et à soutenir également la population paysanne évidemment dans le cadre de lutte pour l’autosuffisance alimentaire et le bien-être des citoyens », rappelle le Conseil de la Chambre d’Agriculture de Guinée. Puis d’ajouter : « à la grande surprise de tout le monde paysan et même des Guinéens, le ministre de l’Agriculture qui vient d’arriver, décide de suspendre les responsables de la chambre et fait main basse sur les engrais et les produits phytosanitaires obtenus après plusieurs tracasseries et de nombreuses démarches. L’acte posé par le ministre Mamoudou Nagnalen Barry est aujourd’hui perçu comme une expropriation forcée de la Chambre Nationale d’AgricultureLe ministre, après plusieurs tentatives de récupération sans succès, s’est résolu finalement à prendre une décision infondée et insensée et sans aucune base légale de récupérer les engrais de la Chambre Nationale de l’Agriculture. Au nom de l’Etat et ordonne le paiement par orange money et au Trésor Public… Nous avons saisi la Chambre Administrative de la Cour Suprême qui ne tardera certainement pas à prospérer dans le sens de l’annulation de la décision querellée. D’autant plus que ces engrais et autres intrants n’appartiennent ni à l’Etat Guinéen ni au ministère de l’Agriculture et de l’Élevage. »

Au ministère de l’Agriculture où nous sommes rendus, on nous a purement et simplement remis les deux décisions du ministre. Celle portant sur la mise en place du mécanisme de distribution des engrais et celle portant suspension des bureaux et présidents des chambres. Aucune explication sur les raisons profondes de ces décisions inattendues.

A suivre.

                         

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