« La femme doit se battre et vivre de la sueur de son front. Car, l’homme n’est pas une banque pour la femme…»
En ce mois de mars exclusivement dédié aux femmes et à leurs luttes de tous les jours pour leur émancipation et le respect de l’ensemble de leurs droits, la rédaction régionale de Guinéenews basée à Labé est allée à la rencontre de Kadiatou Maladho Bah, l’unique sous-préfète en exercice dans la région administrative de Labé et sans doute l’une des rares à l’échelle du territoire national. Enseignante de profession, la sous-préfète de Fougou (dans la préfecture de Mali) est depuis les premières semaines de 2022 sous la tutelle du ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation. Nommée dans un premier temps à Gaya (toujours à Mali), elle est depuis mars 2023 mutée à la sous-préfecture de Fougou. Dans cette interview qui suit, elle nous explique comment elle a intégré le cercle des administrateurs guinéens, comment affronte les préjugés sexistes de certains hommes à son endroit. Elle parle de sa collaboration avec ses concitoyens, les difficultés qu’elle rencontre dans l’exercice au quotidien de sa fonction régalienne, les problèmes sécuritaires dans sa juridiction… Lisez plutôt son entretien en exclusivité !
Guinéenews : comment avez-vous rejoint l’administration déconcentrée ?
Kadiatou Maladho Bah : j’étais à Conakry et je suis enseignante de profession. Je relève du ministère de l’Enseignement Pré-universitaire et de l’Alphabétisation. Je suis à la formation continue même si je suis maintenant administratrice. Cela n’enlève rien en moi en tant qu’enseignante. J’en suis fière d’être enseignante. Si parmi tant de femmes on te nomme sous-préfète, c’est une grande confiance qu’il faut mériter en l’exerçant comme il se doit. On m’a d’abord envoyée pour la première fois dans la sous-préfecture de Gaya où je n’ai fait que deux mois. C’est de là également que j’ai été mutée depuis le 26 mars 2022 à Fougou.
Guinéenews : il parait, c’est même avéré que vous êtes la seule femme sous-préfète dans la région administrative de Labé !
Kadiatou Maladho Bah : bon… ! Selon ce que j’ai moi aussi appris, je serais la seule pour le moment.
Guinéenews : cela vous fait quoi d’être l’unique sous-préfète de toute une région comme Labé ?
Kadiatou Maladho Bah : (rires). Ce n’est pas grand-chose. Je voudrais avoir plus de collègues femmes. Mais pour le moment, je suis la seule. J’assume pour le moment en attendant que d’autres ne me rejoignent. C’est un plaisir pour moi…
Guinéenews : comment arrivez-vous à gérer Fougou au regard de votre statut de femme ?
Kadiatou Maladho Bah : à Fougou, tout se passe bien. Sauf que les gens ne sont pas habitués à voir des femmes commander à des postes de ce genre. Donc même lors des premières rencontres, c’est comme si les gens ont tendance manifester une certaine réticence. Ils observent, ils ne sont pas confiants et se disent : c’est une femme. Il y a beaucoup de choses mais, je pense que la femme ne se résume pas à la négation. Elle n’est pas égale à la négation. Ce n’est pas des bagages qu’on vient prendre, c’est juste partager ce qu’on a dans la tête et l’expérience de la vie.
Guinéenews : le fait d’être une femme, est-ce que certains notamment des hommes ne sont pas tentés de braver votre autorité ?
Kadiatou Maladho Bah : (rires). Non ! Je n’accepte jamais cela. Car, je respecte tout le monde sans distinction mais, je reste droit dans mes bottes en ce qui concerne mes ordres que je donne ou des décisions que je prenne.
Guinéenews : on dit souvent aussi que le pouvoir des femmes est compliqué, avec parfois des abus d’autorité ?
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Kadiatou Maladho Bah : Pas du tout. Surtout que les gens connaissent maintenant le rôle de chacun et chacun reste dans son domaine sans transgresser le droit des autres.
Guinéenews : Fougou compte combien de districts ?
Kadiatou Maladho Bah : Fougou a 8 districts et il y en a un qui n’est pas codé. Sinon, il y a 8 districts pour le moment.
Guinéenews : comment faites-vous pour vous déplacer, pour aller à la rencontre des populations ?
Kadiatou Maladho Bah : pour ce qui est de la population des fois, ils viennent, d’autres fois, c’est moi qui prend l’initiative de me déplacer vers elle. C’est vrai que ce n’est pas facile souvent facile à cause de l’enclavement. Mais, il y a de ces districts où je suis obligée de prendre la moto pour m’y rendre. Et franchement à moto, ce n’est pas souvent agréable à pratiquer. Mais lorsque qu’on veut servir sa patrie, ce sont des sacrifices à payer et doit l’assumer. On se déplace, on fait des fois des petites tournées dans la sous-préfecture. Histoire, de voir comment ça se passe et parfois ils viennent au centre.
Guinéenews : Parlez-nous de votre collaboration avec la commune rurale ?
Kadiatou Maladho Bah : la collaboration est bonne depuis que je suis ici. C’est vrai que quand on travaille avec une personne ou plusieurs personnes dans le cadre professionnel, il faut s’attendre à être confronté souvent à certaines difficultés d’incompréhensions. De toutes les façons, nous visons le même objectif qui est le développement de Fougou. Donc, c’est dans ce sens qu’on travaille en harmonie, en parfaite synergie possible.
Guinéenews : vous êtes une dame et le problème d’insécurité est une gangrène surtout dans les sous-préfectures, expliquez-nous comment vous y prenez ?
Kadiatou Maladho Bah : l’aspect sécurité, la criminalité, je dirais plutôt Dieu merci face à cette situation dans ma juridiction. Cette stabilité, on la doit en grande partie à la présence des gendarmes qui sont là et qui veillent à travers des patrouilles organisées dans les districts et par moment au chef-lieu même de la sous-préfecture. Tout le monde sait qu’ils sont là parce qu’à un moment lorsque je n’étais pas encore arrivée, il n’y avait pas de gendarmerie. Depuis qu’on a pris fonction, on a attiré l’attention des autorités qui nous sont venues en aide. Nous avons deux gendarmes et il y a de ces choses que les gens ne se permettent plus.
Guinéenews : quand des violences sont commises, surtout sur des femmes, je suppose qu’elles viennent directement vers vous pour se plaindre ?
Kadiatou Maladho Bah : au début, les gens étaient habitués à venir faire tout le temps recours au sous-préfet. Mais, j’ai dit que les rôles ou les missions bien partagées. Et chacun doit assumer la tâche qui lui est confiée. C’est pour cela, nous nous sommes tous battus pour avoir des gendarmes. Quand ils viennent, ce sont les gendarmes qui gèrent directement ces questions de violences basées sur le genre. C’est vrai qu’il y a une amélioration dans la lutte contre les violences. Mais avouons-le, il y a encore des cas résiduels qu’on doit éradiquer. Il y a toujours des hommes qui battent leurs femmes et il y a des femmes qui battent leurs enfants. Mais avec la pédagogie et l’application des lois, ils commencent à comprendre que le tout se gère au niveau de la gendarmerie.
Guinéenews : en Guinée, c’est comme si le poste de sous-préfet est réservé aux hommes. A l’occasion de ce mois de mars quel message avez-vous à adresser aux autres femmes ?
Kadiatou Maladho Bah : le message est très simple. Je leur dis tout simplement de se lever et de travailler. Puisqu’on veut être comme les hommes, on doit accepter de travailler, de souffrir comme des hommes ou de travailler plus qu’eux. On dit tout le temps que : ce que femme veut, Dieu le veut. Et si les femmes décident de se lever, on ira vraiment de l’avant. C’est pourquoi on est en train de se battre. Partout où on se rencontre quand on dit qu’il y a une femme sous-préfète, c’est déjà un repère. Et on souhaite que cela prospère en s’élargissant à plusieurs autres sous-préfectures. Ainsi, ils comprendront que ce poste n’est pas réservé qu’aux hommes. Il est aussi fait pour les femmes que nous sommes. A l’occasion donc de ce 8 mars-ci, je demanderais aux femmes de se lever parce qu’on dit tout le temps que la femme est le baromètre de la société. C’est pour cela qu’elle doit se lever, se battre et vivre de la sueur de son front. L’homme n’est pas une banque pour la femme. C’est vrai qu’il y a des coutumes et des religions qui mettent des limites.
Entretien réalisé par Alaidhy Sow depuis Labé pour Guinéenews.org
