Site icon Guinéenews©

Siland Kuti : Musicien non-voyant, de ses remords à son engagement.

Je vis de la musique et de l’apport financier de beaucoup de personnes, qui sont parfois des fans ou des mécènes.  Franchement, c’est le plus grand échec de ma vie. Aujourd’hui, je ne cacherai pas mes remords et je suis d’ailleurs sur le point d’être vidé de la maison dont j’occupe 

Amara Camara alias ‘’Siland Kuti’’ est un artiste musicien, instrumentiste, chanteur, compositeur, arrangeur et non-voyant. Né en 1977, il est le fils de feu Facinet Naby et de feue Mariam Williams. Marié à une femme, il est père de 5 enfants dont 3 garçons et 2 filles.

Siland Kuti a effectué son  cycle primaire et celui secondaire en Sierra Léone. C’est en 5ème année de l’école primaire, qu’il va subitement et de manière incompréhensible perdre la vue. Sans tarder, il va s’orienter à l’école des non-voyants où parallèlement, la musique est enseignée. C’est dans cette école qu’il va apprendre la musique. Siland Kuti arrivé en 1ère année de l’université, va perdre le fil des études au profit de la musique.

Le quotidien électronique Guineenews a rencontré l’artiste musicien Siland Kuti dans le quartier de Kipé dans la commune de Ratoma.

Un continuel sourire aux lèvres avec des lunettes noires au style de ‘’Stevie Wonder’’, sans retenue ou langue de bois, il parle, décrit les circonstances mystérieuses dans lesquelles il a perdu la vue et comment il est venu à la musique.

L’artiste qui a passé toute son enfance et son cycle d’études en Sierra Léone, Siland,  est fier de l’être. Car, il fait découvrir ses origines avant de dépooser définitivement sa valise en Guinée.

Très confirmé et convoité dans le domaine des arrangements et de la programmation, Siland Kuti parle de ses touches imprimées sur les albums des artistes guinéens et jette son regard critique sur la musique guinéenne.

Autant, dit-il, qu’il réécoute ses œuvres, cela constitue ses beaux souvenirs. Le plus mauvais souvenir est qu’il n’arrive pas à faire ce qu’il veut, et ne parvient même pas à nourrir sa famille.

A découvrir dans cette interview, les sources de revenus, les projets de l’artiste non-voyant et surtout sa face cachée, qui est d’être curieusement un chauffeur aveugle. Interview

 Guineenews : Siland Kuti n’est pas né aveugle ou non-voyant. Pouvez-vous nous expliquer comment tout cela est arrivé ?

Siland Kuti : Assez mystique, je dirais que jusqu’à présent, je ne parvient pas à expliquer ce qui s’est passé. Très jeune à l’âge de 7 à 8 ans, si mes souvenirs sont bons, comme un rêve cela me revient toujours. J’ai vu une femme dont je ne peux décrire le teint ni le visage, et qui s’est présentée en face de moi portant un parapluie. Un mouchoir blanc en main qu’elle a déposée sur ma tête et avec un déclic sur l’ouverture du parapluie, telles des brumes, j’ai ressenti un noircissement au niveau de la vision. Tout est parti de là.

Guineenews : Quand et comment êtes-vous venu à la musique ?

Siland Kuti : C’est en 1981 que je suis venu à l’école des aveugles où je suis resté pendant une année auprès de mon maitre du nom de Sam Campbell. Il m’a appris les toutes premières leçons de la musique. Et plu tard, avant l’arrivée des expatriés américains en 1982 et qui ont contribué à ma formation, je fus le chef de la chorale en fin 1982. En fin d’année 1983, j’ai aussi effectué des voyages au Canada et à Singapour pour la recherche des fonds au bénéfice de l’école des aveugles de la Sierra Léone.

Guineenews : Dites-nous dans cet enivrement pour la musique, comment êtes-vous arrivé en Guinée ?

Siland Kuti : Disons que c’est en 1992 en compagnie du groupe musical dénommé’Blend musical flames’’, que nous avions foulé le sol guinéen pour des prestations. C’est sur invitation de feue Rougui Barry, ex maire de la commune de Matam et de l’Agence des spectacles ‘’Conakry Magakhoui’’ de feu Aly Badara Diakité, que notre groupe composé de 8 non-voyants et d’un Ingénieur handicapé au niveau des nerfs, a pu découvrir  le public guinéen.

Guineenews : Finalement, Siland Kuti s’est sédentarisé en Guinée. Pouvez-vous nous parler de la suite de votre aventure et de votre motivation d’élire domicile en Guinée ?

Siland Kuti : Oui plusieurs comme vous, ne savent pas que je suis originaire de la Guinée. C’est mon pays d’origine et je suis de Forécariah, ma grand-mère paternelle est peule de Kankalabé (Dalaba) et mon épouse est de Bodié. Je suis un bon Guinéen qui, par le destin s’est retrouvé de l’autre côté de la Sierra Léone.

Guineenews : Musicien touche à tout, de la guitare au chant, à la batterie et à l’orgue, comment vous vous êtes retrouvez finalement comme arrangeur ou programmeur ?

Siland Kuti : J’ai encore les larmes aux yeux quand il s’agit de parler de mon maitre à tout faire qui est décédé. Paix à l’âme de Papady. J’ai évolué entre lui et les frères Bangoura de la belle vue. Depuis l’école des non-voyants, feu Papady était un éminent bassiste dans l’orchestre national de la Sierra Léone et il a été celui qui a encouragé Siland et son équipe de foncer vers la réussite. Donc, il a été celui qui m’a initié aux techniques d’arrangement et à la programmation en compagnie des frères Bangoura. Progressivement, je me suis dit qu’il faille persévérer et seul, j’ai fait le reste du travail et c’est ce fruit dont je savoure la réussite aujourd’hui.

Guineenews : Certains arrangements ou programmations de nos artistes au niveau de plusieurs studios de la capitale sont signés de vous. Pouvez-vous nous situer sur quelques-unes de vos touches imprimées sur les albums des artistes guinéens ?

Siland Kuti : J’avoue que la liste est très longue. C’est l’artiste Jah Max Mara qui nous a découvert et en ce moment il était étudiant à L’IPGANC. C’est après notre spectacle dans cette université, qu’il est venu nous dénicher à la maison afin d’arranger son premier album reggae. Ce fut un coup d’essai et un coup de maitre. Ensuite, ce fut Djéli Sayon, Alphadio Dara, Pathé Moloko et plusieurs autres. J’ai assisté en compagnie de feu doyen Rakech Touré à la réalisation de l’album ‘’Si a yata yèton’’ de feu Sékouba Fatako.

Après la réalisation de plusieurs albums du genre mandingue et pastoral, je me suis tourné vers la musique urbaine. J’ai posé mes touches dans le hip hop notamment avec les Kill Point, Légitime défense, Khareman et tant d’autres. Il faut signaler que je n’étais pas seul dans l’équipe. Il y avait Pablo, Johny Wisdom, ainsi que Justice Bans. Finalement, j’ai pu introduire tout le groupe bien que ce n’était pas aisé pour tout le monde de comprendre la musique guinéenne. 

Guineenews : Quel est votre regard sur cette musique dont vous avez côtoyée durant nombreuses années ?

Siland Kuti : Je suis conscient que cette musique a beaucoup avancé. C’est le soutien qui n’est pas en place au niveau des artistes, des arrangeurs ou programmeurs, des studios d’enregistrement, ainsi qu’au niveau des producteurs. Cet évident fait, pousse aujourd’hui les artistes de se tourner vers la facilité en prostituant la musique guinéenne, qui est pourtant très riche à travers son folklore. Avant et même maintenant, plusieurs musiciens d’autres pays,  viennent puiser chez nous tout en gardant leur couleur locale. Pendant que nous autres, devenons de plus en plus esclaves de leurs rythmes.

Par ailleurs, il faut reconnaitre que cette jeunesse n’a pas de réel espace pour s’exprimer comme dans les autres pays. Si ce n’est le palais du peuple, c’est son esplanade et tout récemment, c’est le chapiteau qui reprend progressivement la relève et sans compter les espaces des hôtels de la place. Il nous faut un palais de la culture digne de nom, des sonos et lumières de dernière génération.

La promotion de la musique est encore enfermée. Au niveau des radios ça commence à résonner surtout avec Kalack radio qui diffuse 24h/24 la musique guinéenne.

Il faut les moyens pour faire avancer et la musique et les artistes.

Guineenews : Qu’est-ce que votre esprit retient aujourd’hui en bon et mauvais souvenir dans votre parcours musical ?

Siland Kuti : Autant je réécoute les albums dont j’ai arrangés et qui ont fait du succès, les beaux souvenirs me reviennent. Rassurez-vous, que j’ai fait près de 95% des albums de cette nouvelle génération. Donc, ce ne sont que des beaux souvenirs qui défilent quand j’entends le travail effectué sur ces différents albums.

Mon plus mauvais souvenir continue à me suivre et c’est parce que je n’arrive pas à faire ce que je veux et je ne parviens même pas à nourrir ma famille. Vous vous rendez compte que j’ai servi cette culture guinéenne pendant 25 ans. Jusque-là, je ne sais plus par où recommencer et par où terminer.

Guineenews : Dites-nous donc comment vous parvenez à vivre en ces moments qui courent ?

Siland Kuti : Je vis de la musique et de l’apport financier de beaucoup de personnes, qui sont parfois des fans ou des mécènes.

Franchement, c’est le plus grand échec de ma vie. Aujourd’hui, je ne cacherai pas mes remords et je suis d’ailleurs sur le point d’être vidé de la maison dont j’occupe. Si tout ce monde était venu à mon secours, certainement que je n’allais pas rencontrer tous ces problèmes qui m’arrivent aujourd’hui. Il y a eu tant de promesses qui n’ont pas été réalisé.

Guineenews : Plus clairement, pouvez-vous nous détailler ce passage concernant ces tas de promesses,  en nous aidant à connaitre ces différentes personnes qui vous ont lâché et vous font couler des larmes ?

Siland Kuti : Ce n’est pas la peine de déterrer la hache de guerre. Ils se connaissent et se reconnaitront certainement à travers cette interview.

Je tiens aussi à vous rappeler que durant tout ce temps, aveugle, je faisais la musique aveuglement. C’est-à-dire que mon intention ou mon objectif n’était pas au niveau de la recherche d’argent. Plutôt, j’avais en cœur de défendre cette culture en croyant qu’un jour, je serais reconnu dans ce métier et que je serai mis à ma place. Tous les artistes qui venaient me voir nantis ou pas, ils occupaient la même place dans mon cœur et cela ne m’a jamais empêché de travailler correctement.

Siland Kuti : A vous entendre, n’êtes-vous pas découragé de ce monde artistique ?

Siland Kuti : Découragé ? Non ! Seulement ça me fait peur. Je ne suis pas découragé et j’ai encore le courage de continuer

Guineenews : De quoi avez-vous peur ?

Siland Kuti : J’ai encore l’énergie de continuer sur la même voie. Je vous rappelle, qu’il y a eu d’autres artistes qui se sont retrouvé dans la même position dont j’occupe actuellement, et qui n’ont pas pu supporter. Finalement ils sont à l’au-delà et leurs enfants sont en train de souffrir énormément.

Plusieurs opportunités se sont présentées à moi pour aller à l’extérieur, aux Etats-Unis, en Europe et un peu partout dans le monde. Je suis resté une fois pendant 2 mois à l’extérieur et ce sont tous les jours des pleurs au niveau de ma famille. C’est ainsi, j’ai pris la décision de revenir au pays pour ma famille et par patriotisme. C’est une décision dont je ne regrette pas malgré la situation dans laquelle je vis actuellement.

Guineenews : Vous n’êtes pas un artiste découragé et peut-on connaitre vos projets pour l’avenir ?

Siland Kuti : J’ai des projets qui sont en cours et d’autres qui viendront après.

J’ai planifié au niveau de quelques écoles, la formation gratuite en musique des enfants, et des personnes handicapées.

J’ai en projet aussi, la formation de mes enfants en musique et certainement, ils assureront un jour la relève.

Sur le plan musical, j’ai un album de 10 titres en chantier. Sa finition est bloquée pour fautes de moyens. C’est l’occasion pour moi de me tourner vers les mécènes et les personnes de bonne foi, afin de me venir en aide pour finir et sortir cet opus.

Guineenews : On aurait appris malgré votre non voyance, que vous parvenez à rouler quelque fois en voiture. Vous le confirmez ?

Siland Kuti : Je le confirme car je l’ai fait et je continue de le faire.

Guineenews : Pouvez-vous nous donner vos quelques cours de conduite miraculeuse ?

Siland Kuti : J’ai toujours quelqu’un à coté qui me guide. Soit il me dit d’aller un peu à droite, à gauche, ou il m’alerte que je suis au beau milieu de la route ou je suis en face d’un obstacle. Je ne roule jamais à vive allure. Pour aller chez moi, je connais ou se trouve le rond-point, tous les carrefours, le nombre de dos d’âne et approximativement les distances qui les séparent. C’est une question d’habitude et je ne le fais pas tous les jours.

Guineenews : Pouvons-nous dire que vous n’êtes pas un handicapé ?

Siland Kuti : Oui, je ne le suis pas puisque l’homme possède 5 organes de sens. Si j’octroie 20% à chaque sens, la somme ferait 100%. Ainsi, je n’ai perdu que les yeux, il me reste les 80%, donc je n’ai rien perdu. 

Entretien réalisé par LY Abdoul pour Guineenews

Quitter la version mobile